Il y a quelques jours Blanche a demandé à sa fille Cheryl, l'amie de mon frangin Pierre, de l'amener magasiner au Walmart de Laval. Elle avait besoin d'un maillot de bain, de changer celui qu'elle avait, qu'était pas à la mode. Envie de se baigner surtout. Normal, en ce moment le mercure est crazy dingue au Québec, c'est même pas l'été des indiens mais l'été tout court. Il flirte avec les 40° "facteur humidex" comme on dit là-bas, enfin, comme le disent les mordus du bulletin météo. Fille, fils, petits-fils, tout le monde a filé ventre à terre au châlet du lac Gagnon, près de Duhamel, comté de Papineau siou plaît ! Le châlet c'est une institution au Québec. Beaucoup de québécois ont des châlets, pieds-à-terre de campagne. Souvent, un lac le borde. La nature a bien et mal fait les choses au Québec.
Le mal, hélas, pour commencer : L'été, les promenades champêtres, forestières ou montagnardes sont impossibles ! Personne ne fait ça se balader bucoliquement l'été : IMPOSSIBLE. Les bibites sont là. Elles veillent. "M'a dire comme on dit aujourd'hui : y s'est mis à faire des bibittes. Des bibittes pis des bibittes Des milliers d'grosses, des milliers d'p'tites Des grosses qui marchent, pis d'autres qui sautent pis des p'tites p'tites qui piquent..." Ça, c'est l'immense écrivain Yvon Deschamps qui dit ça (La Création / 1975). Comme tous les québécois il connaît le sujet. C'est donc pas la Roumanie et ses Carpathes le pays des buveurs de sang, c'est le Québec. Certaines espèces (multiples variétés) comme la mouche du chevreuil recouvre le niais qui a osé la ballade d'un nuage vrombissant et le dépouille de sa peau et de son sang en deux coups de cuillère à pot. Cette mouche-là a une particularité, elle rit. Quand elle décolle d'un corps humain vivant mais criant, se débattant, gesticulant et se flanquant des baffes sur toutes les parties de chairs visibles, quand elle décolle donc un morceau de peau sanguinolent entre les pattes, elle part d'un rire "zézéyant", effrayant et totalement sardonique. C'est hallucinant. La fuite seule, au grand galop, peut sauver le malheureux qui s'est aventuré dans la nature, l'été au Québec. Bon, j'exagère un peu, mais à peine...
Le bien, le génial, heureusement, pour terminer ce papier positivement, ce sont les cours d'eau et les lacs, innombrables. On dit qu'il y a autant de lacs que d'habitants au Québec. Plus de six millions ! Le Québec a quatre couleurs, uniques au monde. Celle du coeur attentif et généreux de ses habitants, du ciel, si particulier, des arbres, surtout pendant ce fameux été des indiens et celle de ses lacs.
Blanche a étrenné son beau maillot sexy de chez Walmart, y'avait du bonheur au bord du lac Gagnon cette fin de semaine-là. Tout le monde placotait, jasait, faisait des bulles, des ronds et des plongeons dans l'eau. On m'a rapporté que Blanche a fait trois fois le tour du lac, qu'elle a doublé cinq canots dont un à moteur, deux pédalos, et une gagne d'ados boutonneux qui faisaient le concours du meilleur nageur du lac Gagnon !
C'était fastoche pour elle, elle a un sacré entraînement. Ça fait plus de quatre-vingt ans qu'elle se baigne dans son lac. Je vous avais pas encore dit, mais Blanche a quatre-vingt-quatorze ans. Qui a dit que la vieillesse est une fatalité obligatoire ?
Quand on est en capacité physique et mentale bien sûr, vieillir est un bonheur. Mieux, un modèle pour "ceux qui suivent".
Blanche, je t'embrasse très très très fort. Tu es la reine, que dis-je, la sirène du lac Gagnon ! Tiens, je t'offre pour terminer quelques images de cet inoubliable film On the Golden Pound et les mots du coeur de Pierrot le Tendresse...
pierre perret - blanche par bisonravi1987