Délits d’Opinion : Comment expliquez-vous un tel basculement de l’opinion sur la question de l’accueil des réfugiés et des migrants ?
Yves-Marie Cann : En une semaine, l’opinion publique française a basculé sur la question des migrants et des réfugiés. Notre sondage ELABE pour BFMTV témoigne en effet d’un brusque renversement du rapport de force sur cette question. Alors que « seuls » 44% des personnes interrogées se disaient favorable à ce que la France accueille une part des migrants et des réfugiés les 1er et 2 septembre, ce sont désormais 53% qui partagent cette opinion. Cette progression de 9 points est d’autant plus remarquable qu’une telle évolution est rarement observée sur une aussi courte période dans les enquêtes d’opinion. De notre point de vue, ce basculement résulte d’abord d’une prise de conscience suite à la diffusion de la photo d’Aylan Kurdi dans les médias et par l’émotion suscitée par son impact. Cette photo insoutenable a incontestablement influé sur le débat public en France. Ce basculement est aussi favorisé par la mauvaise conscience qu’ont pu susciter les images venant d’Allemagne où, comme nous avons pu le voir ces dernières heures, les réfugiés syriens bénéficient d’une élan de solidarité sans précédent de la part de la population.
Délits d’Opinion : Les résultats du dernier sondage conforte-t-ils les divergences selon la CSP ou la sympathie partisane ?
Yves-Marie Cann : Sur la question de l’accueil des migrants et des réfugiés, l’approbation est désormais massive à gauche, mais l’opposition reste majoritaire à droite. Alors qu’ils étaient déjà majoritairement favorables à l’accueil de migrants et de réfugiés en France dans notre premier sondage des 1er et 2 septembre (avant la diffusion de la photo d’Aylan Kurdi), les sympathisants de gauche sont désormais 77% à se prononcer positivement, soit une progression de 9 points. C’est chez les sympathisants du Front de gauche que cette progression est la plus spectaculaire (80%, +24 points). Cette approbation majoritaire s’avère tout aussi massive parmi les sympathisants EELV (79%, +6) et ceux du Parti socialiste (75%, +7), de même que chez ceux du MoDem (76%, +9) et ceux de l’UDI (77%, +11). Seules deux familles politiques se distinguent par un refus majoritaire d’accueillir une part de migrants et de réfugiés en France : les sympathisants « Les Républicains » (60% d’opposés, en baisse toutefois de 7 points) et ceux du Front national (84%, -7). Dans le même temps, la proportion de personnes favorables à l’accueil de migrants et de réfugiés progresse dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Les couches populaires restent toutefois majoritairement opposées à cette perspective, qu’il s’agisse des employés (59% contre 65% il y a une semaine) ou des ouvriers (61% contre 71%). Et comme la semaine dernière, ce sont les cadres et les professions intellectuelles supérieures qui se prononcent le plus favorablement sur cette question, à hauteur de 69% (+12 points).
Délits d’Opinion : Pensez-vous que ce basculement est passager ou qu’il exprime une tendance plus profonde ?
Yves-Marie Cann : Nul ne peut prédire l’avenir mais le choc émotionnel provoqué par la photo d’Aylan Kurdi ainsi que les images venant d’Allemagne me semblent de nature à modifier durablement le regard que portent une partie des Français sur le sujet. Les décisions annoncées par l’exécutif et surtout les efforts de pédagogie qui les accompagnent me paraissent tout aussi essentiels. Toutefois, les responsables politiques et plus globalement les élites auraient tort de se voiler la face : les Français, sous l’effet du contexte économique et social dégradé que nous connaissons depuis plusieurs années, restent profondément méfiants sur la question des flux migratoires. Celle-ci reste donc un sujet très sensible, notamment auprès des catégories populaires qui se prononcent toujours majoritairement contre l’accueil de migrants et de réfugiés.