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Ernest Gagnon : ce fantôme qui ouatche....!

Publié le 15 septembre 2015 par Magazinenagg

«Dans tous les pays, a dit Châteaubriand, le chant naturel de l’homme est triste, lors même qu’il exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs.»


Ernest Gagnon : ce fantôme qui ouatche....!
Par Louise V. Labrecque
   En tout autre pays que celui-ci, le compositeur, écrivain, historien, folkloriste, organiste, Ernest Gagnon, né Frédéric-Ernest-Amédée,  le 7 novembre 1834, serait aujourd’hui, en 2015, cent ans après sa mort, une figure non seulement bien connue,  populaire, mais également légendaire. Pourtant, il ne lui a pas manqué de réalisations concrètes édifiantes, en son temps. Que s’est-il donc passé, ensuite, pour que sa mémoire soit ainsi oubliée, ou trop peu connue, de nos jours ? En effet,  son œuvre existe, que bien trop peu en ont pris connaissance, ne serait-ce que par ses livres, pourtant, elle est là, partout présente, comme un héritage, dans nos vies actuelles, sans que nous sachions à qui tout cela renvoie, dont le nom, même,  « Ernest Gagnon » n’allumant aucune lumière dans l’esprit de la plupart de nos contemporains. Pourtant, culturellement parlant, québécois et québécoises, nous devons beaucoup à cet homme de lettres exceptionnel, notamment de par son apport significatif à la musique, et à la chanson populaire, et cela en toute originalité. C’est que monsieur Ernest Gagnon, ne fait rien comme tout le monde, même si, comme tout le monde, il est habité de cette même simplicité: porter le message du peuple, par ses chants populaires, et son amour de la musique même.  Un amour entier, sans compromis, qui invite au respect. Ainsi, l’histoire, la grande, est aujourd’hui redevable, et, fort heureusement, quelques personnes ne sont pas sans savoir que nos vieux Noël portent sa signature, tellement qu’ils sont, de nos jours, toujours ainsi célébrés, de par ces plus beaux chants. Toutefois, pour expliquer cet oubli odieux, et puisque la seule chose à comprendre, parfois, c’est qu’il n’y a rien à comprendre, je souhaite, par cette humble publication, faire un peu de bruit, après ce long silence.
   Ainsi, et il était temps, le fantôme fait son entrée, cent après son décès, survenu à Québec, le 15 septembre 1915, nous invitant, de ce fait, à découverte - et  la redécouverte, espérons-le -,  de son œuvre, dont l’ouvrage célèbre, publié en 1865 : « Chansons populaires du Canada », lui valu  la reconnaissance, notamment chez cette frange des petites gens des villes et des campagnes, par laquelle il colora si bien, musicalement parlant, le tissu quotidien, par la transcription, certes,  de textes extraordinaires, mais également de par son travail d’organiste, aillant la recherche de toutes ces chansons françaises, reproduites textuellement, le plus fidèlement possible, au grain du quotidien, peaufinant ainsi le cœur même des gens, dans l’expression des choses simples, et de par les sentiments de la vie de chaque jour. De toute évidence,  comme l’exprimait Ernest Gagnon lui-même, à propos de son ouvrage : « voilà l’oeuvre de ce compositeur insaisissable qu’on appelle le peuple... »,  et,  c’est précisément ce précieux héritage, sans prétention aucune, que nous lègue Ernest Gagnon, de par cette ouverture sur le peuple, héritage culturel colossal, non seulement en amont  de la mémoire artistique historique et de la transmission orale de tous les chants de Noël, tels que nous les connaissons encore aujourd’hui, mais également de par l’apport philosophique et spirituel de tous ces chants, témoins du quotidien, dans de beaux arrangements, notamment de par le répertoire en musique classique, pour orgue et piano.  Or, donc,  je ne suis pas peu fière de vous présenter ce livre, par lequel, comme par miracle, l’écriture ne compte plus, afin de laisser place à la musique, dans la beauté des choses éternelles, tel qu’aimait à l’exprimer Ernest Gagnon lui-même, dans la générosité sincère et la richesse de toutes ses actions, en partage, se reflétant généreusement dans toute son œuvre, riche et singulière à la fois.  Ainsi, espérons qu’un tout petit premier pas sera fait, avec cet humble article, vers l’attribution de sa reconnaissance légitime, pleine et entière, afin que nous puissions, en toute dignité,  après la mise en lumière d’une redécouverte de certains éléments de ses travaux, nous en inspirer grandement, tant individuellement que collectivement. En effet, lire et relire ce recueil  CHANSONS POPULAIRES DU CANADA, s’inscrit, plus que jamais, au présent, tant l’apport à la vie de nos ancêtres porte l’empreinte musicale la plus naturelle du monde, et, possède  une puissance rare, comme un voyage dans le temps, celui du Québec d’antan, certes, mais également dans tout ce qui façonne l’être humain,  encore de nos jours, dans ses plus grandes espérances,  sa nature, son âme, son peuple fier et sa patrie intime. En effet, et n’ayons pas peur de l’écrire, le dire et le redire : ces chansons populaires sont l’héritage ancestral des Canadiens-français et demeure, avec ses cent mélodies, un ouvrage d’importance. Il fut même, plusieurs fois, réédité, et connut tant au Québec qu’à l’étranger, un succès énorme. Il est intéressant de lire les commentaires, sur chacune des mélodies, lesquels se rattachent toutes à des sources françaises. La conclusion du livre renvoie également à une observation savante sur l’origine des gammes, dont les modalités historiques furent très précieuses pour les théoriciens de cette époque, et devrait, à juste titre, me semble t’il, continuer d’alimenter les recherches et travaux des historiens musicaux de notre époque.   De la même manière, l’élan du succès  CHANSONS POPULAIRES DU CANADA, offre à Ernest Gagnon, fils et petit-fils de notaires,  l’inspiration nécessaire pour écrire, par la suite, d’autres ouvrages d’importance,  fondateurs de nos traditions, véritables perles littéraires et musicales. En effet, il nous faut retrouver l’enfance, pour saisir ce qu’a voulu dire le sens même de ce mot au Québec : « musique « , En effet,  c’est celle-ci, qui,  très tôt, - bien avant la littérature-, bouleversa  la vie du jeune Ernest Gagnon, dont le père de famille, notaire de profession, ne se doutait pas,  en faisant  l’achat d’un piano, -fait rare à l’époque,  dans les années 1850 -, afin de l’offrir à l’aînée de la famille, Bernardine, qu’Ernest en serait à ce point touché, voire happé, dans un ravissement émouvant et un élan musical rarissime. En effet,  le jeune Ernest, apercevant le piano, en fut tellement subjugué,  qu’il ne cessa de le regarder, des jours durant, au point de s’y endormir, un soir, sur le tapis, la tête posée sur les pédales de l’instrument. Plus tard, il insista, auprès de sa sœur Bernardine, afin de recevoir  des leçons particulières. Par la suite, il poursuivit ces précieux enseignements, auprès des premiers clercs de Saint-Viateur  -nouvellement arrivés au pays-, dans le cadre de son cours classique, en 1846, à l’âge de 11 ans, au Collège de Joliette, et, des années plus tard, ses humanités terminées, il fit un stage, afin de parfaire cette formation musicale, auprès de professeurs émérites, des jésuites, à Montréal, où il démontra des aptitudes et un degré de douance étonnant.   
   Finalement, ce n’est que bien plus tard que viendra  cette nécessité de raconter, avec et par les sons, une musique véritable, touchant au cœur des traditions populaires, de la bouche même des gens ordinaires, ceux qui sont dans la vraie vie, ceux qui chantent et transmettent, -souvent sans même y porter particulièrement attention-, les beaux chants du pays.  Pour ce faire, cent de ceux-ci, dont le nombre exact est sans aucun doute incalculable, tapissent son ouvrage majeur : « Chansons populaires du Canada ». De ce fait, cet ouvrage majeur pour le Québec constitue un véritable joyau culturel, artistique et musical, dont l’on ne saurait trop souligner ici la valeur inestimable. En effet, par ces chants, nous parlons toutes et tous une même langue : « on est pas canadien français sans cela », écrit-il, tant « tout le monde », au Québec d’avant 1900, en effet, du jeune enfant au vieillard, connaît, chante et fredonne,  plusieurs de ces chansons populaires. Par exemple, une de celle-ci : « À la Claire Fontaine »,  fut tellement chanté, qu’elle tenait lieu d’air national, au Québec, en attendant mieux… ! Pourtant, fort rudimentaire musicalement, elle fait jaser son monde, elle possède « le  don de l’oreille » , et devint, de ce fait, la plus populaire de toutes les chansons populaires, connaissant bon nombre de déclinaisons, et possédant, à ce jour, plus de 500 variations. Elle fut donc, en Nouvelle-France, notre premier hymne national, d’abord chanté par les coureurs des bois, et par la suite par tout le monde. Son origine étant un poème anonyme du 18ième siècle, elle devient, plus tard, un chant de résistance codé au Canada, lors des débuts de la conquête anglaise. Ainsi, métaphoriquement, « la claire fontaine » représente le fleuve Saint-Laurent, lequel était alors bordé de chênes.  De ce fait, chaque chant est comme un tableautin, richement coloré de son histoire propre, de ces témoignages populaires personnels, et par delà les temps et les époques : ils voyagent, se transforment, et reviennent à nous, ensuite, après des années de métamorphose, comme encore intact dans la force des élans qu’ils provoquent ; inspirants est certainement le bon mot ici. Ainsi, on se plaît à rêver : à quand un autre chant populaire, à la fois rural et urbain, repris du répertoire classique de ce livre ? Il serait bien, en effet, de reprendre ces chants, de nos jours,  pour en faire vivre encore et encore ses sons, ses textures, ses paroles et sa musique. Nous devons bien cela à Ernest Gagnon : honorer aussi concrètement sa mémoire, par une vie réellement engagée en musique, et remplie d’esprit fin et délicat, comme l’était le sien. En effet, c’est qu’il n’en manquait pas, justement, d’esprit, cet homme d’ici,  dont la nature même nous informe sur le sens sacré de ses actions et valeurs profondes. Oui,  monsieur Gagnon fut un homme lumineux, ayant su préserver un véritable sens de la famille, un sens profond du mot respect, allié tant à un bon sens qu’une logique de tous les instants, et une force tranquille, de ce fait, une foi adulte devant les mystères de son temps.  
   Ainsi, c’est de cette maturité affective, très tôt affirmée, qu’il débarquera, à l’âge de 19 ans, dans la belle ville de Québec, afin de s’y établir, au début des années 1850, après ses classes d’études musicales à Joliette,  et, ensuite, à Montréal.  Il ne se doute pas encore qu’il sera l’auteur de ce livre important :  Chansons populaires du Canada , lequel connaîtra un réel succès commercial, apte à éveiller toutes les curiosités. Pour l’heure, il vaque à ses affaires courantes, et trouve à loger dans un faubourg, tout en dénichant, malgré son jeune âge, un emploi d’organiste, au temple du coin, soit la belle église Saint-Jean Baptiste. Ce ne sera que bien plus tard, qu’il deviendra le célèbre organiste de la magnifique cathédrale/basilique de Québec, et cela pendant tant d’années, qu’il semble que son âme  y résonne encore, de nos jours… !   Pour l’heure, le jeune Ernest vaque, comme tous les jeunes gens sérieux de sa génération, à parfaire ses études.  Ainsi, à défaut d’être le plus talentueux, il en est le plus apprécié, sachant transcender l’instrument, pour illuminer, et toucher au cœur, de manière unique. De ce fait, l’éblouissement fut complet, en 1857, par l’écoute du « chant d’Adolphe Adam »,  aujourd’hui célèbre, MINUIT CHRÉTIEN, chanté par une délicieuse voix d’enfant,  à  l’église Saint-Roch, à Paris. Ernest Gagnon, alors jeune bousier, -fait rare à l’époque, surtout pour un canadien-français- s’y rendit,  afin d’étudier avec de grands maîtres, dont Henri Herz, Alexandre Goria, et le réputé musicien  Auguste Durand, lequel était organiste lui-aussi, à cette même église. Cette année-là,  à la veille de Noël,  lors de la traditionnelle messe de minuit, il fut immensément  touché, à l’écoute de ce chant profondément riche et beau, et saisit en son âme musicienne parfaite, le sens de ce mot gracieux : ravissement.  Ainsi, à l’âge de 22 ans seulement, Ernest Gagnon tomba éperdument amoureux, musicalement parlant, et fut intensément ému, au sens le plus noble, profond, et sacré du terme, et prit son petit calepin, lequel était inséré, en permanence, dans sa poche, afin d’y noter ses émouvantes impressions.  Assez surprenant, l’origine du fameux MINUIT CHRÉTIEN,  relève du compositeur parisien d’opéras comiques, Adolphe Adam, lequel fut mis en musique quelques années auparavant, ce qui ajouta, bien sûr, à sa surprise,  il va sans dire. 
   Ainsi, riche de ce moment d’une intensité musicale rarissime, il rentra sur Québec  avec, encore intacte, -et pour longtemps-,  la forte impression de ce merveilleux rêve musical qu’il venait de vivre, auquel se mêla, néanmoins, la réalité, afin de le remettre à sa juste place, de manière implacable. Qu’importe : avait-il alors en tête de l’offrir, dès l’année suivante, à ses contemporains ? La réponse est, bien évidemment, oui ! Et, c’est ce qu’il ne manqua pas de faire, avec une telle passion, un tel éclat musical et artistique, que cela dépasse l’entendement. Toutefois, avant cette consécration, il devra retourner à son travail quotidien d’organiste, à la splendide église Saint-Jean Baptiste, mais, en portant, toutefois, de plus en plus ombrage à l’organiste en chef de la prestigieuse basilique de Québec,  monsieur Antoine Dessane, français d’origine, cherchant noise, sans cesse, à Ernest Gagnon, au point de l’exposer publiquement dans les journaux de l’époque. Dès lors,  un débat à bâtons rompus se déploya, dans l’espace public, prenant la forme de lettres d’opinion, que s’échangeait passionnément les deux principaux organistes de la ville, publiées dans les journaux, et dont la teneur, parfois énigmatique, renvoyait surtout à des propos techniques du métier d’organiste,  et, souvent, dans de si savants « jargonnages »  du monde musical, que la population n’y comprenait rien, ou pas grand-chose. Néanmoins, la faveur populaire alla du côté d’Ernest Gagnon, tant est si bien qu’Antoine Dessanne, ne décolorant pas, quitta avec fracas son trône aux Grandes Orgues de la Basilique de Québec, en 1864. Par la suite, devinez qui monsieur le curé engagea afin de lui succéder ?  C’est ici que débuta, pour Ernest Gagnon, la plus belle période de sa carrière, et de sa vie.
Ernest Gagnon : ce fantôme qui ouatche....!
   En effet, il est admirable de constater, dans cet ouvrage « Chansons populaires du Canada », le travail méticuleux d’Ernest Gagnon, et le souci de transmettre dignement tous les chants de nos vieux Noël, par exemple, par le caractère vivant de la transmission naturelle de ses beautés sensibles, surtout compte tenu du fait que bien peu de gens,  sachant lire et écrire correctement, à cette époque, et incapables, de ce fait, de  livrer, par écrit, les partitions de ces chants précieux et  folkloriques. Il a donc fallu à Ernest Gagnon une somme de travail qui dépasse l’imagination, afin d’entrer en contact avec les gens, et, aussi, le clergé, omniprésent à l’époque, et gardien de la tradition. De ce fait, il est intéressant de remarquer qu’ Ernest Gagnon possédait une foi adulte, et tout en retournant aux sources de la religion, musicalement parlant, il n’avait pas ce côté infantile, ou moraliste, comme bien trop de gens de son époque,  reposant tout leur libre-arbitre, sur l’avis du curé, le clergé et la religion. De plus, ne croyant pas à un Dieu vengeur, il ne croyait pas non plus à la peur, afin d’expliquer la complexité de la vie, ou comme fondement religieux.  Évidemment, il possédait une vie intérieure fort riche et intense, et, de ce fait, était pleinement conscient de la portée historique importante de son travail, d’un point artistique, musical et religieux,  et du risque de voir tout cela se perdre,  au fil du temps et des générations. Ainsi, se fit-il  un devoir, tout en communiant avec Dieu, de léguer, avec sincérité,  sa juste part d’humanité, de par tous ces chants populaires, lesquels,  essentiellement, étaient  puisés à la source, et diffuser le plus simplement du monde, par tradition orale, de pères en fils, de mères en filles, et, de générations en générations, dans les familles, souvent fort nombreuses, tellement qu’il n’était pas rare, en ces années-là, au Québec, de compter dix à quatorze enfants pour une seule famille,  et cela à travers toute la belle province ! Ainsi, n’oubliez pas ce fait, en écoutant les gens ordinaires se raconter, afin qu’il puisse  publier, en 1865, ce livre si important de notre beau terroir québécois : CHANSONS POPULAIRES DU CANADA,  dont certains éléments ont quelque peu vieillis, certes, mais dont il subsiste l’essentiel de l’esprit de la plupart, et, c’est ce qui est intéressant, car ce livre continu ainsi d’être réédité, et cela à plusieurs reprises, au fil du temps. En effet, il n’est pas exagérer d’affirmer que cet ouvrage fit sensation, tant en France qu’au Québec. Un critique parisien de l’époque  exprima ainsi l’effervescence de ce succès : « Ces chansons sont les mêmes que chantait la France heureuse en d’autres temps; le peuple canadien continue de les chanter et la France ne s’en souvient plus. «  C’est cela, précisément, et sans aucun doute, le plus émouvant, le plus grandiose, le plus précieux, le plus chérissable, de l’apport des travaux de monsieur Ernest Gagnon à la culture québécoise, et qui en dit long sur l’homme, également. En effet,  nous ne redirons jamais assez merci. Un merci pour ce pays de l’enfance retrouvé, pour ce pays de l’intime, ce rapport au monde qu’est notre culture populaire, le cœur de mère, de notre vie, de notre pays, dans ce que notre patrie porte de plus beau, de plus noble et de plus puissant : ses arts, ses musiques et ses chants.  
Ernest Gagnon : ce fantôme qui ouatche....!
Certaines partitions, certains chants, n’existent que le temps qu’on les joue, que le temps qu’on les chante, après… ils se perdent ; parfois, pour toujours. Et, s’ils se taisent, plus ou moins brutalement, il n’en demeure pas moins qu’ils possèdent tous ce besoin de raconter ; c’est pourquoi les écrire, les réécrire,  les transcrire, évite cette impression pénible, d’où origine  le sentiment (inévitable ?) de cette perte, de par cette absurdité, cette perte de repères historiques, cet affront à la mémoire, ce non- sens.  Déjà, en ouvrant le livre « CHANSONS POPULAIRES DU CANADA », recueilli et annoté soigneusement,  par Ernest Gagnon lui-même, nous sommes  immédiatement touchés, tant il est facile de comprendre, par ce bel ouvrage, l’importance cruciale des arts, notamment de la musique, pour nos Lumières québécoises. Et, de ces chants et de ces musiques, prendre la mesure réelle de l’époque où ils furent initialement composés, et puis, chantés ; ce n’est pas seulement un regard sur la musique et notre folklore,  mais également sur nos origines, auxquels  nous convie Ernest Gagnon, par l’étude approfondie de ces chants populaires. À cet effet, le chant À LA CLAIRE FONTAINE, figurant dans une classe à part de notre héritable culturel, tant son importance historique ne soulève aucune ambiguïté, encore de nos jours, est complètement fascinant.  En effet,  cette chanson traditionnelle française, provenant d’un poème anonyme du XVII ième siècle, ne serait pas parvenue intacte jusqu’à nous,  sans qu’un esprit éclairé ne pense à la transcrire, tout simplement, puis, bien sûr,  à la publier. En réalité, il s’agit plus qu’une simple chanson, ce chant À LA CLAIRE FONTAINE,  fredonné et chanté par les indiens et coureurs des bois, devint, en quelque sorte, notre hymne national, en Nouvelle-France,  avant de connaître plusieurs modifications (près de 500 versions nous sont parvenues  et sont aujourd’hui connues).  Ainsi, le répertoire des chansons est vaste, de « Marianne s’en va au moulin », au célèbre « O Canada », en passant par plusieurs autres,  souvent complètement méconnues de nos jours, et ne demandant qu’à être revisitées,  pour les découvrir ;  ce qu’il est possible de faire, avec les partitions disponibles dans ce livre « Chansons populaires du Canada « , dont certaines furent également recopiées, dans différents recueils, qu’il vaut la peine de rechercher activement, pour que nous ayons le plaisir de réentendre ces chants anciens.  Ainsi, oui, la musique canadienne-française, ou la musique folklorique,  découlant d’une littérature écrite, était, là, partout présente, et non seulement l’œuvre d’une élite intellectuelle,  bien que peu de gens, en effet, savaient lire et écrire, en Nouvelle-France, dans les années 1800.  Ernest Gagnon  fit beaucoup en ce sens,  car il se mit réellement à l’écoute des petites gens des paroisses agricoles, pour en capter la petite histoire.  Notre patrimoine culturel s’est ainsi bonifié de tous ces chants de nos ancêtres, et même, des aïeux de ces ancêtres, lesquels étaient présents, en France, lorsque furent composés, par tradition orale, ces chansons.  Ainsi, d’aussi loin que nous pouvons nous souvenir, nous avons eu de vieux chants, des airs médiévaux, lesquels se sont modifiés au cours des générations, pour aboutir jusqu’à nous, sous des airs connus, tels que « Vive la Canadienne », par exemple, et  plusieurs autres dont l’héritage est commun avec tous les Canadiens d’expression française, et de tous les pays de langue française.  Justement, ce fameux chant « Vive la Canadienne » fut  notre hymne national, notre « O Canada », remplissant bellement cette fonction, au Québec, avant 1910. Ah oui ! Que de vieilles mélodies anciennes évoque t’elle, surtout lorsqu’Ernest Gagnon en déploie les beautés, dans son livre « Chansons populaires du Canada », en rapport avec un air bien connu, il y a encore plus longtemps, dont elle serait issue «  Terre de nos aieux » ! Ainsi, telle une fable spéciale, à portée sociale, ce chant pourvoit la parole de l’écriture, et de la littérature, même, afin de rayonner de ses milles soleils, à peu près partout. Les mutations sociales, en effet, ont amenés divers héritages esthétiques, différents métissages, au fil du temps,  et,  mis à part ces petites réserves, le « O Canada « demeure un chant important, intéressant, d’une écriture simple, débouchant sur la réflexion, et l’action, politique. En ce sens,  je vous invite à lire le livre d’Ernest Gagnon « Feuilles éparses », ainsi que dans « Pages Choisies », et « Nouvelles pages choisies », ainsi que  son ouvrage intitulé « Réminiscences et Actualités » (Québec, 1939), contenant des détails biographiques essentiels à cet effet.  Bien sûr,  sa fille, Blanche Gagnon,  a beaucoup travaillé sur les textes et travaux de son père, afin de bien saisir ce pouvoir de la parole nationale, notamment par ces chants précieux, et tellement pittoresques, de notre corpus.  Ainsi, Charles-Antoine-Ernest Gagnon (1834-1915) nous laisse un catalogue impressionnant de chansons folkloriques, dont les premières éditions parurent en 1865 et 1867. C’est un puissant contrepoids aux éléments critiques que d’affirmer que cet héritage constitue, en bonne partie, ce que nous pourrions appeler nos trop méconnues, hélas, « Lumières québécoises ». Ernest Gagnon : ce fantôme qui ouatche....!
De cet héritage culturel, le plus beau morceau demeure celui des Noël d’antan, ceux d’il y a très longtemps, il y a plus d’un siècle. Ceux-ci sont  tellement révélateurs de notre histoire, cette fête si importante au cœur des gens, que tous les chants de Noël représentent bel et bien l’expression  du  Québec  traditionnel. Aussi, comment pourrait-je ne pas vous entretenir du chant le plus beau, le plus émouvant, voire bouleversant de notre corpus, en effet, le magnifique « Minuit Chrétien » ! C’est que l’histoire de ce chant en nos terres québécoises connut un long chemin, et, sans même s’en rendre très bien compte, il se trouve encore, de nos jours, des zones d’ombres dans la genèse de ce chant traditionnel, à l’origine nommé : « Le Noël  d’Adam »,  lequel constitue plus encore qu’un cantique populaire,  étant, en somme,  comme le gardien de  la stature vivante de nos traditions. Musicalement parlant, il résume,  avec une solennité rare,  la fête de Noël, ainsi que les croyances profondes entourant cette célébration. Incontournable de cette belle fête de la nativité,  encore aujourd’hui, nous sommes fort nombreux à être grandement touchés, voire émus,  à son écoute, surtout s’il est interprété par une voix intense, forte et belle. Du temps d’Ernest Gagnon, il est facile d’imaginer alors l’envoûtement de ce chant sur la population, baignant dans une aura religieuse pratiquement omniprésente. Ainsi, tout au long de son histoire, le texte de cette chanson « Minuit Chrétien » a, plus souvent qu’à son tour, fait  l’objet d’ambiguïtés et de controverses. En plus d’avoir été qualifié de « socialiste », par ses détracteurs, sa pérennité fut également longtemps discutée, ce qui ne fit point démentir son succès, au contraire.
En effet, écrit en 1847, par Placide Cappeau, à Roquemaure, près d’Avignon, en France, il fut mis en musique, quelques années plus tard, par Adolphe Adam. Encore aujourd’hui, en France, plusieurs anecdotes savoureuses circulent toujours, notamment à Roquemaure, concernant la réelle provenance et la profondeur historique de ce chant fascinant. Il faut savoir que Placide Cappeau, négociant en vins et ami proche du poète Frédéric Mistral, - lequel sera nobélisé plus tard, en 1904 -, fut également lui aussi poète, et libre-penseur. On lui reprocha aussi, souvent, de « trop aimer la bouteille «. Ainsi, il n’avait pas tellement la cote de popularité, à cette époque, dans ce petit bourg où tout le monde connaissait tout le monde. Ainsi, il était fréquemment traité de « païen», ou de « néo-Belzébuth », et, bien qu’il fut très actif dans le milieu littéraire, notamment dans le sud de France, ainsi que dans les cercles poétiques des environs,  où il publia, en langue occitane, le très beau et presque célèbre poème « Le Château de Roquemaure », ce sont les trois premières strophes du « Minuit Chrétien » qui le rendirent célèbre, en soulevant la polémique : «Où l’homme Dieu descendit jusqu’à nous, Pour effacer la tache originelle, Et de son Père arrêter le courroux.»  On le compara alors à Voltaire, lequel préféra le culte de l’Humanité à celui d’un Dieu ; et puis, après le premier ravissement de l’écoute de ce chant grandiose, on se scandalisa, en se demandant : « mais comment ose-t-il écrire de telles paroles?»  Ainsi, on comprend fort bien comment il a fallu un certain courage à Ernest Gagnon, pour ramener chez nous ce chant magnifique, et l’introduire ensuite dans toute l’ Amérique du Nord, et, plus spécialement dans le Québec des années 1850. D’ailleurs, anecdote charmante, c’est sa première épouse, Caroline Neault, qui fut l’heureuse élue pour l’écoute de ce chant, pour la toute première fois ; se doutait-elle alors qu’elle vivait un instant historique ? ! ? Imaginez l’émotion, également, le jour où il fut mis en musique, puis magnifiquement chanté, devant la population, le 24 décembre 1858, en l’église Saint-Michel de Sillery, à Québec, par dame Marie-Louise-Joséphine Caron, fille de René-Édouard Caron, un homme politique québécois. Neuf ans plus tard, cette chanteuse donnera naissance à Louis-Alexandre Taschereau, lequel deviendra, en 1920, le premier ministre du Québec. Dans ce continuum glorieux, l’année suivante, en 1859, Ernest Gagnon sera le directeur musical d’un glorieux chœur d’artistes interprétant un Libera à quatre voix « Lacrymosa », extrait du Requiem de Mozart. Ce chant sera offert pour le centenaire de la mort du marquis de Montcalm, ce « sauveur du Canada ». Puis, cette même année, Ernest Gagnon fit les arrangements musicaux de la chanson populaire « Un soir à bord ».  Et, ce n’est que quelques années plus tard, en 1897, qu’Ernest Gagnon publiera « Cantiques populaires du Canada français ». Toutefois, la polémique du « Noël d’Adam » restera longtemps imprégné dans les souvenirs des gens, marquant même les esprits, et soulevant longtemps  les passions, au point où cette polémique, dont je viens de décrire quelques détails, dura un bon moment, principalement par la voie des journaux. Aujourd’hui, l’affaire semble classée, puisque le chant joue toujours, et fait figure, même, de classique, dans notre répertoire musical du temps des Fêtes. Ernest Gagnon aura donc réussi cela : ramener ce cantique extraordinaire, et, en même temps, inoffensif, preuve en est faite aujourd’hui, de par sa pérennité. Ainsi, l’on mesure le chemin parcouru, avec « Minuit Chrétien »,lequel se ramène si bien au cœur de nos Noël d’aujourd’hui, dans de puissants souvenirs d’enfance, se retrouvant dès les premières notes, soudainement intacts, de par sa véritable expression, dans toute la profondeur et  la richesse de mémoires émues. Oui, c e sont nos chants,  nos arts, notre culture,  nos gens, qui respirent, qui vivent, ainsi, dans d’émouvants petits tableautins du quotidien. C’est cela notre société : une nature riche, féconde, durable, grâce à tous ces chants d’Ernest Gagnon. À cet effet, l’historien folkloriste Louis Lacourcière en dresse un portrait intéressant, en mettant en lumière ce qui a fait la richesse de la collection d’Ernest Gagnon, à savoir la grande précision de la notation, la rigueur des travaux, et l’humanité toute entière de l’œuvre, laquelle inspire fort, de nos jours, les intellectuels, les musiciens et les artistes de haut niveau.
Ernest Gagnon : ce fantôme qui ouatche....!
    Pour en arriver là, toutefois, la route fut exigeante et surprenante, tout à la fois. En effet, quelques années auparavant, en 1857, fut fondée l’école Normale Laval, où Ernest Gagnon fut nommé professeur de musique. Lorsqu’il partit, l’année suivante, pour Paris, il fit la connaissance de grands maîtres musicaux, dont Rossini ; on devine aisément combien ce moment déterminant contribua, très certainement, à faire de Gagnon le pionnier des chansons traditionnelles de chez nous, lui, cinquième enfant des neuf enfants du notaire Charles-Édouard Gagnon, que rien, outre son talent précoce, ne destinait à une telle rencontre. En effet, imaginons un instant le jeune Gagnon, un certain lundi, dans les rues de Paris, au mois d’août 1858, prenant la route pour Passy, en s’en alla, le cœur battant, cogner à la porte du grand Rossini !  Le maître avait fait de la France son pays d’adoption, de toute évidence.  Il est amusant de lire le passage de cet épisode parisien, dans le livre de Gagnon « Feuille éparses », tandis qu’il n’avait que 24 ans,  et habitait 7, rue Voltaire (aujourd’hui rebaptisée rue Casimir-Delavigne). Par ailleurs, sa fille, Blanche, elle aussi, - dans une moindre mesure-, musicienne,  nous a offert des réflexions sur la vie de son père, Ernest Gagnon,  dont  le livre «Réminiscences…et Actualités »,  dans lequel elle relate, de manière intimiste et anecdotique, des pans de vie inspirants, tant musicaux que familiaux.  Nous apprenons donc qu’il venait d’un milieu typique, famille à la richesse relative, dont les  parents, tels que le furent plusieurs au siècle dernier, vouait fidélité et piété à  la religion chrétienne. Il grandit ainsi, sans complication inutile, entouré de l’amour des siens, à une époque où la langue maternelle était également une solide valeur, ancrée de tout son long dans son temps. De ce fait, l’amour et le respect de soi et de sa patrie furent le socle de son éducation musicale, dès l’âge le plus tendre, et, par la suite, c’est ce même esprit qui l’habita, en tant que professeur de musique. En effet, auprès de ses élèves, Ernest Gagnon était un véritable maître à penser, sachant réellement « élever » ses élèves, afin d’encourager « le génie national », par de sages paroles, par exemple « Excelsior ! » soit « Montez toujours ! », à son élève, mademoiselle May Légaré, qui commença ses études de piano à l’âge de six ans, et qui, déjà, se distinguait notamment dans une interprétation des Rhapsodies de Liszt, et un concerto de Henri Hertz. Plus tard, à l’âge de 14 ans, cette étudiante décrocha un prix prestigieux, dans un concerto en fa, de Mozart, et à 16 ans décrocha, avec brio, un diplôme de l’Académie de musique de Québec, en recevant les félicitations des juges du concours. C’est lors de cet évènement qu’elle reçu les sages paroles d’Ernest Gagnon, qui avait dit ce mot pour elle, « Excelsior ! » et qui demeura, toute sa vie, son letmotiv. Devenue complètement méconnue depuis, rangée bien comme il faut, avec tant d’autres, dans les oubliettes de notre Histoire, cette brillante pianiste, en son temps, donna des concerts extraordinaires à Paris, ainsi qu’à Montréal, à la salle Loyola. Il en va de même pour une autre élève, Hélène Le Bouthillier Lavoie, chanteuse canadienne-française, dotée d’une voix incroyable, puissante et belle, avec une sensibilité rare, délicate,  et un tempérament d’artiste,  ce qui  fit fureur à Paris, où l’on tenta, en vain, de la retenir, après ses études. Elle souhaitait une vie calme et paisible auprès des siens, et redoutait les affres d’une carrière à gérer et pour laquelle les attraits semblaient bien peu éloquents. Elle épousa le docteur Lavoie, de Sillery, et s’amusa à chanter, de temps en temps, dans des concerts, le plus souvent à l’église, ou dans les salons. Un soir, et cela fut sans doute un des souvenirs les plus pénétrant d’Ernest Gagnon, elle chanta chez lui, dans son salon, tandis qu’il l’accompagnait au piano. L’abbé Louis-Honoré Pâquet était présent, et fut tout à fait impressionné par cette voix extraordinaire. Il faut le dire : Ernest Gagnon l’avait fait chanté des fragments d’opéra splendides, dont le grand air de «  la Reine de Saba », de Gounod dont «  Plus grand dans l’obscurité. » Et, de cette voix, forte et puissante, on ne perdait rien des paroles, chantées avec une clarté émouvante. Il est fort possible que ce soit elle qui fit connaître, à l’époque, au Québec, le chant « Viens avec nous petit ! », de Godard, qu’elle enlevait, littéralement ! Et, il est facile de l’entendre encore, comme le relate si bien la fille d’Ernest Gagnon,  Blanche[1], dans l’interprétation « Des Ailes ! » de Charles René, - lequel est complètement tombé dans l’oubli de nos jours - :
«  Je rêve aux clartés éternelles     Je rêve aux amours immortelles    Des ailes, des ailes !  «  
     De ce fait, la carrière de Gagnon peut se diviser en deux grandes étapes : la première, où il fut essentiellement un musicien et un folkloriste, et, à la seconde, où domine surtout un homme de lettres, voire, dans ce continuum, un historien. De cette première étape, se déploie une sous-étape, de musicien du terroir, et, bien sûr, de musicien organiste. De plus, d’un style très « Vieille France », nous savons qu’il entretenait des relations épistolaires précieuses, avec plusieurs personnes liées à l’univers musical et littéraire de son temps. Aujourd’hui, alors que les études québécoises sont partout présentes dans les facultés et départements des universités du Québec,  et que le folklore national est une science documentaire ayant reçu la faveur des institutions, il est étonnant de remarquer combien l’œuvre d’Ernest Gagnon est encore à ce point méconnue de nos jours. Une chaire de recherche, à l’Université Laval, fut même fondée, et Montréal, bientôt, aura la sienne ; du moins, cela est à souhaiter vivement, en effet, pour qu’ici les publications, «  sans mention du comité de lecture » soient également appréciées à la juste valeur des travaux et recherches qu’elles représentent , et, sans mépris des élites, ou des  petits intellectuels de corridor, afin que la précieuse cueillette de nos airs anciens ne demeure pas vulgairement mise de côté, car produites par des autodidactes et des électrons libres, souvent, par ailleurs, bien lettrés, qui y travaillent comme des moines. En effet, combien honteux est le fait qu’ils soient si nombreux à l’être, à l’heure où j’écris ces lignes ! De même, Ernest Gagnon, s’est bien gardé de consigner des versions grossières de ces chants d’autrefois, et il l’exprimait ainsi, fort à propos : «  Je n’ai pas fait œuvre d’érudit, mais j’ai choisi les mélodies les plus pures qui s’apparentaient le mieux au répertoire des provinces de France ». Cela est peu dire de l’exprimer ainsi tant il semble qu’en effet, ces chants du terroir, jaillis ainsi simplement et spontanément du cœur du peuple, sans prétention aucune, et sans parti pris, eurent rien à perdre à se parer d’éléments harmoniques d’une époque ancienne, tout comme l’on ne va pas manger au casse-croûte « Chez Rita », vêtue d’une robe de gala. Or, ces très vieux airs nous sont offerts de manière authentique, avec, toutefois, une présentation soignée, sans exagération, en respectant le plus fidèlement possible, ce qu’ils sont : des trésors historiques, avec des notes quelque fois modernes et cependant archaïques, de ces airs insoupçonnés constituant nos chants du terroir :  des rondes, des berceuses, des « chansons de merveilles et de mensonges », des « jeux de mots », formules rimées, et calembours, souvent en comptine chantée ; c’était cela, souvent, le point de rencontre entre tous les gens, petits et grands. Oui, les petits enfants adoraient, par exemple, la berceuse « Sainte-Marguerite », et la ronde « Marion danse ». Également, les vieux Noël ne manquaient pas d’expression joyeuse, avec l’enchantement lyrique, les complaintes, les ballades, par exemple le célèbre et intense « Minuit Chrétien », mais, également,  les cantilènes religieuses, chantées souvent par les gens d’âge mûr, tel « Le Noël D’Aoste », et « Qu’as-tu vu Bergère ? » Bien sûr, plusieurs autres chants de Noël, dont la plupart sont encore chantés de nos jours, avaient la faveur populaire. Ainsi, Ernest Gagnon, je le pense, et sous toute réserve, fut un romantique, à nous ramener ainsi tous ces chants de France, et il est fort beau à songer qu’il combattit, à sa manière, un préjugé à l’effet, et c’est largement documenté, que les lettrés, à l’époque, étaient souvent considérés comme « les pédants de l’humanisme ».  Ainsi, sous la poussée du romantisme et de la poésie, l’engouement des petites gens allait du côté des chants populaires, ce qui amenait les lettrés à un autre niveau, tandis qu’ils furent longtemps perçus comme considérant le peuple de haut, les voyant comme des êtres triviaux, négligeable, et de nature à corrompre le goût. Or, voilà qu’arrive Gagnon, qui s’exécute simplement de manière admirable, tel un chef d’orchestre, à unir toutes les parties de son œuvre, dans un premier temps en collectant des données précieuses, en organisant son travail de façon à ce que le contemporain puisse retrouver, et apprécier, ces chants, lesquels sont, en somme, l’expression même de l’âme du peuple. Comment, ainsi, après la lecture du livre « Chansons populaires du Canada », ne pas comprendre mieux ce qui a dignement servi notre pays, les écrivains du passé certes, mais pas seulement, et qui, à part les musiciens, furent amoureux de l’âme canadienne française, sinon Ernest Gagnon lui-même, le père, en quelque sorte, de notre patrimoine, et de notre folklore. Aussi, sachons donc rendre hommage, avec tous les honneurs possibles, à ces beaux airs, puisés au recueil de Gagnon. Et, à remercier tous ceux-là, également, à se souvenir, dans ce même sillage : les Chemins de fer canadiens du Pacifique, les festivals très réussis, entre 1927 et 1930, de la chanson du terroir, des organisateurs coriaces tenant mordicus à présenter l’œuvre d’Ernest Gagnon, tel ce monsieur : John Murray Gibbons, sans oublier ces cantatrices passionnées et fort charmantes, telles Béatrice La Plame, Camille Bernard, et tant d’autres dont le nom est aujourd’hui complètement oublié. De même, le Château Frontenac, lieu culturel de Québec, qui suivit l’étoile scintillante Gagnon, pour lui permettre, enfin, de rayonner, comme il se doit, sur son époque. De ce fait, un nombre quasi illimité de chansons lyriques, dans le répertoire populaire, existaient, et étaient chantées ; il y en avait vraiment pour tous les goûts, pour toutes les circonstances, et pour toutes les occasions.  Le quidam avait ses chansons, de même que le ministre,  la mère de famille, les enfants, les amoureux, les travailleurs, et même les buveurs, tous avaient une chanson. Fait intéressant à noter : les chansons étaient, le plus souvent, joyeuses, très peu mélodramatique ou morose, comme c’est souvent le cas de nos jours. Le chant était vraiment un témoin souriant du quotidien, et il devait rendre heureux à le chanter, et l’entendre chanter ; ainsi, un bon chanteur possédait un vaste répertoire de chansons au rythme motivant, pour les durs labeurs, afin de se donner du courage moral et physique. C’est cela la beauté de la transmission orale : devenir un passeur de vitalité, de mémoire, d’éternité, en transmettant, dans les familles, et aussi auprès de ceux qui ont construit le pays, comme une énergie vitale : les paysans, les bûcherons, les draveurs et canotiers… ! Et, de tout cela, « les petites choses de notre Histoire », pour reprendre les mots évocateurs de l’historien Pierre-Georges Roy, nous pourrions en raconter tant encore… ! Honoré Beaugrand, également, dans des contes célèbres, fantastiques, de son livre « La Chasse-galerie ». Nous retrouvons, avec Ernest Gagnon, ce même esprit, à savoir « bien faire les choses », toutes les petites choses, mais avec ce genre de grandeur, de noblesse de l’esprit, dont les chants sont le témoignage, car, pour causer, il suffit de bien dire les choses,  pour les écrire, pour les chanter, cependant, il faut les savoir, toutes ces choses de notre Histoire. Ainsi, Gagnon rejoignait le meilleur de ce savoir, et c’est également ainsi qu’il écrivit ses autres livres, dont la très belle étude sur Louis-Jolliet, sans doute la meilleure biographie à être écrite au sujet de cet explorateur, et premier musicien canadien-français à aller en Europe, afin d’étudier la musique.
C’est donc avec ce bel élan que, de toutes les provinces de France, Ernest Gagnon a choisi les plus belles chansons, afin de ramener ce terroir ici, et nous faire connaître les atours mélodieux d’airs anciens, dont nous sommes aujourd’hui fiers dépositaires. Des artistes talentueux, par la suite, ont mis à contribution notre folklore. Il faut se souvenir, en ce sens, de l’immense succès, en 1911, au Monument National, de dame Béatrice La Palme, laquelle a joint à sa programmation des chants du terroir, harmonisés de si belle façon au thème de la Liberté, sans parler des autres :  une panoplie d’interprètes, dont la mémoire est aujourd’hui, hélas, complètement oubliée.  Mais, souhaitons voir émerger une volonté de « soulever le voile d’Isis », qui cache l’essence des choses , afin que l’esprit humain, donc la raison, s’en trouve davantage affirmée, autocritique, apte à se servir de son bon sens,  pour visiter ces œuvres, et cela dans les moments les plus exigeants de la conscience humaine historique : Ernest Gagnon, sa mémoire, et son héritage, n’en méritent pas moins.
Ainé d’une dizaine d’années de Wilfrid Laurier, Adolphe Chapleau, et Honoré  Mercier, Ernest Gagnon, rencontra, au cours de sa vie, plusieurs personnes de bien, lesquelles ont fait beaucoup pour lui, pour le pays, tout comme lui-même, par la suite,  aura contribué à sa juste mesure, à l’enrichissement de notre identité, de notre culture, de nos arts et traditions populaires. Ainsi, l’Histoire se souvient de lui comme l’un de nos plus délicats hommes de lettres, aimant goûter la belle mélodie, et dont l’harmonie, pour lui, ne devait servir qu’à une seule chose : soutenir le chant. En ce sens, l’opéra, à ses yeux, contenait, en entier, toute la musique. Il fut, de plus, un véritable autodidacte, au sens noble du terme. Pour lui, tout était musique, il suffisait de savoir observer, de par un esprit attentif, afin d’apprendre, partout, et sans cesse, et, aussi, pour  en rendre compte et en faire son profit, de tout ce qu’il y a de beau à voir et à entendre.  Ainsi, comment s’étonner qu’il ait eu autant la cote de popularité, en son temps, dans la population en général :  tout chez lui respirait à la fois le sérieux et l’innovation, n’ayant pas peur des choses nouvelles, tout en étant très peu moderne, dans les faits. Son génie, bien à lui, venait-il de là ? Quoi qu’il en soit, il était,  partout, lui-même personnifiant,  sans aucun doute « un opéra fabuleux », dans une véritable expression poétique. Ainsi, en plus de la musique, il collabora au journal « Courrier du Canada, », et publia de nombreux ouvrages, dont cette brillante étude sur Louis Joliett, de même que « Pages Choisies », « Nouvelles pages choisies », « Feuilles éparses »’ « Le Château Saint-Louis », « Louis D’Ailleboust »,  et plusieurs autres contributions littéraires remarquables.  Finalement, en 1905, il prit sa retraite, chargé d’honneurs, notamment de la part de l’Université Laval, située non loin de chez lui, à Québec. En effet, docteur ès lettres, il était également membre correspondant de la société des compositeurs de Paris et avait été élu membre, deux ans auparavant, de la Société Royale du Canada. Décédé à Québec, à  l’âge de 80 ans, suite à quelques jours de maladie, le  15 septembre 1915, dans sa belle et grande maison, située au 164, Grande Allée, à Québec ;  maison qu’il adorait, et avait nommée « Bois Joliett ». Sans aucun doute ce lieu est à jamais hanté de sa doute présence, ainsi que toute la ville de Québec, d’ailleurs, tant  il exerça une réelle influence chez les gens de son époque, ayant pris part à de nombreuses manifestations artistiques, à Québec, et, en 1880, aux grandes assises nationales de la Société Saint-Jean Baptiste, lors de la création de notre chant national, O CANADA ! Bref, le 15 septembre 1915, un homme de grande valeur et de réelle culture, nous quitta ; lui, qui eut bon nombre d’amis et connaissances, parmi les gens cultivés de son temps,  il  rayonna dans les cercles de penseurs, intellectuels, musiciens, et auprès bon nombre de lettrés de sa génération, cela sans dédaigner les petites gens, bien au contraire, comme nous pouvons nous en rendre compte, en parcourant son œuvre, dont le célèbre livre «  Chansons Populaires du Canada », lequel met admirablement en lumière la beauté inexpugnable de ses textes et musiques. Également, de par les travaux de sa digne fille, Blanche Gagnon, décédée il n’y a pas très longtemps, qui a consacré sa vie à l’œuvre posthume de son père, dans l’écriture et à la réécriture,  avec minutie, et dans la réédition, de plusieurs livres.  Enfin, pour résumer l'œuvre de notre grand musicologue, hélas trop méconnu de nos jours, Ernest Gagnon​, il faut rappeler qu'il était un éblouissant causeur, et, là encore, comme aux claviers des orgues, primait chez lui "l'art de l'improvisation"; fidèle aux chants du terroir et aux vieux cantiques, il publia de ceux-ci des chœurs et des harmonisations d'un bel effet vocal[2]. Souvenons-nous de lui ! Notre folklore et nos traditions portent, comme son jeu à l'orgue, de belles trouvailles. Le meilleur de son talent, de même que le bel esprit de sa conversation, vont encore plus loin que son célèbre ouvrage "Chansons populaire du Canada », lui qui aimait tant les gens, et les petites choses de notre Histoire.  Ainsi, il est impossible de juger Ernest Gagnon sans souligner cette œuvre capitale « Chansons populaires du Canada », publication ayant prouvé largement la mémoire française et canadienne-française en Amérique. Et, bien qu’il semble avoir tout dit de cette œuvre, il continue, néanmoins, de la dépasser, par les sources françaises et la figure d’ensemble, de l’État politique du pays, à ce moment-là. Bien sûr, l’inquiétude était palpable, dans la population, par l’Union des deux Canada, de la perte de repères qui en découlerait, peut-être, et des craintes, notamment concernant le maintien des traditions. C’était en 1865… !  Les gens étaient pauvres,-c’était même, souvent, la misère-, outre ceux provenant des professions libérales, et donc, de ce fait, il y avait très peu d’écoles. Souvenons-nous : c’était dans le temps des « Anciens Canadiens », l’époque de la publication « L’influence d’un livre » ultérieurement appelé « Le chercheur de Trésors », écrit en 1837, par François-Aubert De Gaspé, et il est fort possible que son père, Philippe Aubert De Gaspé, auteur du célèbre roman « Les Anciens Canadiens (1863)», ait contribué à la rédaction de cet ouvrage, en fait, le tout premier roman de la littérature québécoise, de notre littérature !  C’est donc dans cette mouvance, que fut publié, quelques trente années plus tard, le célèbre ouvrage d’Ernest Gagnon « Chansons populaires du Canada », ce qui constitua un titre enviable de notoriété, du fait, bien sûr, de l’immense succès populaire,  et aussi par l’assentiment , par les pairs, notamment monsieur Théodore Dubois, professeur au Conservatoire de Paris, et la sommité, monsieur Jean-Baptiste Dubois, savant archiviste, également lui-même folkloriste ; ainsi, plusieurs fois louée et rééditée, le clergé également tomba sous le charme de cet ouvrage important, tel que l’illustre à merveille le Cardinal Bégin : « Vous avez fixé  à jamais ces vieux chants si connus de notre peuple et qui font tant de bien à l’âme… Nos arrières petits-neveux, en les découvrant, goûteront les joies que nous avons goûtées, et ils béniront la mémoire de celui qui sut si pieusement les leur transmettre en héritage »
En effet, et en conclusion, nous étions bien là en plein cœur de l’âme canadienne et du folklore canadien, dont témoignèrent, chez nous, les musiciens et les écrivains du passé. C’est aussi la période qui précéda la Confédération canadienne, après un siècle de régime anglais. Ainsi, les vieilles, et les très vieilles, chansons de France n’avaient pas encore été, en général, complètement oubliées, ce qui fut un bonheur pour Ernest Gagnon, de pouvoir les recueillir directement de la bouche même des habitants des villes et des campagnes, et de les rassembler ensuite, pour en faire un livre, et le publier, sans trop se demander pourquoi ; la suite, nous la connaissons.


[1] GAGNON, Blanche, Réminiscences....et Actualités, Éditions Librairie GARNEAU, Québec, 1939. [2] GOUR, Romain “Qui ? Art- Musique – Littérature ; courtes biographies canadiennes”, vol. II, no.1, Les Éditions Éoliennes, Montréal, 1950.

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