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#corridorcarbone
ALAIN GRANDJEANEconomiste
Le président de la République a annoncé le 9 septembre qu’il plaiderait pour la mise en place d’un « corridor carbone » à l’assemblée générale des Nations unies ce mois-ci. Ayant poussé cette idée dans le rapport sur le financement d’une économie décarbonée, que Pascal Canfin et moi-même avons remis à l’Elysée en juin dernier, je me réjouis de cette annonce. Il me semble utile de rappeler que l’année 2015 aligne en la matière toutes les étoiles.
La compréhension des enjeux climatiques et de la nécessité de décarboner toutes les économies du monde n’a jamais été aussi partagée. Pour autant, à ce jour, les engagements des 58 pays ayant rendu leurs contributions nationales (INDC) conduisent à des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2030 qu’on peut évaluer à 56 gigatonnes d’équivalent CO2 contre 49 Gt actuellement, soit 10 Gt de trop par rapport à la cible à viser pour mettre le monde sur une trajectoire de 2 °C, selon le thermomètre réalisé par la fondation Nicolas Hulot.
Pas trop tard
Il n’est pas trop tard pour parvenir à des chiffres plus satisfaisants, mais les observateurs s’accordent à penser que ce sera très difficile et les négociateurs à Bonn font avancer l’idée d’une clause de révision de ces engagements dans 5 ans.
Donner un prix au carbone est une voie incontournable, à côté des dispositifs réglementaires et normatifs
Il est donc plus que jamais nécessaire de permettre, au niveau mondial, un basculement progressif des systèmes de production et de consommation vers le bas-carbone. Donner un prix au carbone est une voie incontournable, à côté des dispositifs réglementaires et normatifs. L’idée du corridor carbone – une fourchette de prix du CO2 évoluant d’année en année à la hausse – vise précisément à rendre possible cette négociation, en ouvrant des marges de manœuvre tant pour les niveaux de prix et leur croissance que pour les dispositifs (marchés de quotas et/ou taxes). Comme il est néanmoins hautement improbable que les 196 parties à l’accord de Paris se mettent d’accord sur ce sujet sensible, il est souhaitable de susciter l’émergence d’un groupe de pays d’avant-garde qui s’engagent volontairement dans ce dispositif.
La France bien placée
La France est bien placée pour le faire puisqu’elle a fait voter dans sa loi de transition énergétique la croissance de la contribution carbone à 56 euros la tonne de CO2 en 2020 puis 100 euros en 2030. Le marché européen du CO2, même s’il est encore bien trop « mou », devrait quant à lui faire émerger un prix de 40 euros la tonne de CO2 en 2030. Il n’est pas trop tard pour le durcir encore à cet horizon pour qu’il génère un prix plus proche des 80-100 euros.
Le faible prix du pétrole permet de rendre acceptable une baisse des subventions aux fossiles et/ou une augmentation du prix carbone
2015 est une année exceptionnelle aussi du fait d’un faible prix du pétrole (aux environs de 50 dollars le baril). Ce prix insuffisant pour de nombreux producteurs n’est certes pas durable, mais il permet de rendre acceptable un mouvement de baisse des subventions aux fossiles et/ou d’augmentation du prix carbone. Aujourd’hui, 40 pays disposent d’une taxe ou d’un marché carbone. En Chine un marché des quotas est testé dans sept provinces et sera étendu à tout le pays dès 2016. Enfin, 73 pays, 11 Etats et provinces, responsables pour plus de la moitié des émissions de carbone, ont officiellement apporté leur soutien à l’adoption d’un prix du carbone lors de Sommet du climat de New York en 2014. De nombreuses entreprises dont des pétrolières s’y sont montrées favorables.
Il reste un coup de collier à donner pour que les niveaux atteints par ces dispositifs soient suffisants. Cet automne pourrait le permettre. Ce serait une victoire incontestable dans la lutte contre le changement climatique.ALAIN GRANDJEAN15/09/2015POUR EN SAVOIR PLUS: «Nos propositions pour financer la lutte contre le changement climatique»Réchauffement climatique : pourra-t-on éviter le "point de non retour"?http://www.alterecoplus.fr/environnement/alain-grandjean/corridor-carbone-une-opportunite-historique-201509151006-00002087.html