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Un censeur nommé Bolloré

Publié le 15 septembre 2015 par Blanchemanche
#Canal+ #Bolloré #censure

Par Daniel Schneidermann — 


Vincent Bolloré, actionnaire majoritaire de Vivendi, à Paris le 17 avril 2015

Vincent Bolloré, actionnaire majoritaire de Vivendi, à Paris le 17 avril 2015Photo Eric Piermont. AFP


  • Un vrai match vient de s’engager entre les humoristes de Canal + et leur patron, Vincent Bolloré.

Vincent Bolloré est certainement un valeureux chef d’entreprise, hardi, visionnaire, exigeant, charismatique, mais il lui manque, manifestement, une case, voire deux : le sens de l’humour - ce qui n’est pas trop grave - et, surtout, la compréhension de l’importance de l’existence d’une information indépendante en France en 2015. Aussi longtemps qu’il ne dirigeait que des journaux gratuits et n’avait sur la presse qu’un pouvoir de nuisance indirect et épisodique en supprimant, de temps en temps, quelques millions de budgets publicitaires aux journaux coupables d’avoir publié des photos peu flatteuses de sa personne (le Monde), cette lacune pouvait passer inaperçue.Mais, tout-puissant patron de Canal +, le voici au centre des attentions, des craintes, des rumeurs. Vincent Bolloré aurait censuré, en personne, une enquête sur le Crédit mutuel, son partenaire industriel, pourtant commandée par la direction sortante de Canal + ; Bolloré aurait fait part de son mécontentement après la diffusion, sur la même chaîne, d’un sujet trop critique sur l’OM, lui aussi partenaire du groupe ; Bolloré aurait choisi personnellement Maïtena Biraben comme présentatrice duGrand Journal ; Bolloré relirait, en personne, les sketchs des candidats auteurs des nouveaux Guignols ; Bolloré aurait appelé l’équipe de Cyril Hanouna, animateur sur D8, chaîne du groupe, pour lui demander de s’abstenir de prononcer son nom dans leurs blagues. Vraies ou fausses ? Disons qu’elles ont une présomption de vérité. La part faite de l’habileté du milieu de la télé à faire courir des rumeurs infamantes pour protéger ses petits avantages, reste que la plupart de celles-ci ont été confirmées par les faits : oui, le documentaire sur le Crédit mutuel a été censuré ; oui, les Guignols ne sont pas réapparus à la rentrée et nul ne sait encore quand ils reviendront ; oui, après avoir plaisanté sur Bolloré dans son émission de rentrée, Cyril Hanouna s’est soigneusement abstenu de récidiver, etc.Terrorisé, l’empire tremble en attendant de voir rouler les nouvelles têtes. Mais un empire de journalistes et d’amuseurs ne tremble jamais longtemps en silence. C’est plus fort que lui : de cette terreur, il fait des enquêtes et des gags, plus ou moins codés. Comme toute contrainte, la censure est créatrice.Particulièrement savoureuse était, cette semaine, la séquence de Catherine et Liliane, les deux comédiens qui terminent le Petit Journalde Yann Barthès et campent deux secrétaires lambda, ni meilleures ni pires que les autres, normalement médisantes, qui se font les ongles en lisant les magazines people, bref, gibier type des cost-killers, et qui attendaient, terrorisées, le coup de fil de Bolloré qui les informerait qu’elles seraient jetées dans la prochaine charrette. «Mais on n’a rien fait ! - Tu crois que c’est à cause des stylos-bille que j’ai volés ?- Evidemment. Il fait ses comptes. Ça creuse le budget d’une chaîne !»D’un coup, Catherine et Liliane devenaient le vecteur de la résistance anti-Bolloré, l’incarnation de toutes les victimes potentielles de charrettes. Jamais leurs personnages n’avaient eu autant de pertinence. En même temps qu’on savourait la performance des comédies, on évaluait du doigt leur marge de liberté, négociée millimètre par millimètre.C’est un match qui est engagé, un vrai match, entre les humoristes de Canal + et leur patron. C’est la énième manche de l’éternel jeu de cache-cache qui, dans tous les régimes totalitaires - pauvre France ! - a toujours opposé créateurs et journalistes à leurs censeurs. Quel que soit son pouvoir, quelle que soit l’épaisseur de son carnet de chèques, on ne voit pas comment Bolloré pourrait en sortir vainqueur. D’abord parce que le grand capitaine d’industrie semble avoir oublié un détail : le marché. En dernier ressort, c’est toujours le public qui décide. Le divertissement n’est pas exactement une industrie de même nature que le papier à cigarettes ou le film plastique, comme le montre l’effondrement, tout au long de la semaine dernière, les audiences du Grand Journal de Canal + émission passée au Kärcher par le patron, entièrement normalisée, où l’on ne serait pas étonné qu’il ait choisi la couleur des sièges et se fasse communiquer les textes du prompteur.Mais surtout, on ne gagne pas, en France, contre l’humour. Sacrée blague ! On a beau tout tenter pour l’étouffer, boucher hermétiquement toutes les soupapes, il finira toujours par exploser à la figure des tartuffes et des harpagons. Et même les plus puissants peuvent finir, à leur insu, par jouer le rôle principal du dîner de cons.

A lire aussi : Un docu de Canal+ sur Hollande et Sarkozy passé à la trappe ?


Daniel Schneidermann
http://www.liberation.fr/debats/2015/09/13/un-censeur-nomme-bollore_1381690?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook

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