Anne-Marie Thomazeau10-09-2015
Michael Debets / Pacific Press/ZUMA/REA
Oxfam analyse dans son nouveau rapport,« Une Europe au service de la majorité, et non d’une élite », les niveaux dramatiques de pauvreté et d’inégalités en Europe. Plus qu’une fatalité, cette situation résulte, selon l’organisation, de choix politiques.Oxfam dénonce le rôle de l’austérité, l’inefficacité des systèmes fiscaux ou le poids des intérêts privés dans l’élaboration de politiques publiques en leur faveur et au détriment des populations les plus pauvres.Entre 2009 et 2013, 7,5 millions de personnes supplémentaires ont été classées en situation de privation matérielle aiguë dans l’Union européenne (UE). Elles comptent parmi les 123 millions de personnes risquant de sombrer dans la pauvreté et l’exclusion sociale – soit près d’un quart de la population de l’UE –, dans un continent qui a vu son nombre de milliardaires passer de 99 à 342, entre 2009 et 2013 . La France, à elle seule, compte plus de 11 millions de personnes en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, un chiffre qui ne se réduit pas sur les dix dernières années. Elle connaît également une des augmentations les plus importantes des inégalités des revenus disponibles entre 2005 et 2013.Les données du rapport « Une Europe au service de la majorité, et non d’une élite » confirment les chiffres publiés plus tôt par le Fonds monétaire international, l’Ocde et d’autres organisations, sur la façon dont l’accroissement des inégalités compromet la lutte contre la pauvreté.Pour Manon Aubry, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités à Oxfam France : « L’Europe est un continent riche et prospère et pourtant, la pauvreté et les inégalités sont en hausse – cette situation n’est pas une fatalité, elle résulte de choix politiques. Dans l’UE, la pauvreté ne relève pas d’un manque de ressources, mais de la façon dont elles sont partagées ». D’après le Crédit suisse, les 1 % des Européens les plus riches détiennent près d’un tiers des richesses du continent, alors que les 40 % les plus pauvres de la population se partagent moins de 1 % des richesses nettes totales de l’Europe.Le rapport souligne surtout le rôle des politiques d’austérité ainsi que des systèmes fiscaux injustes et régressifs comme deux composantes motrices des inégalités en Europe. Les mesures d’austérité mises en place après la crise financière de 2007-2008 incluent des coupes dans les dépenses publiques, la privatisation des services publics et la dérégulation du marché du travail. Ces programmes font clairement peser la réduction du déficit public sur les épaules de la frange la plus pauvre et vulnérable de la population et sont lourds de conséquences pour les sociétés européennes.Depuis 2008, en Irlande, la baisse des revenus et la montée du chômage ont exclu près de 250 000 personnes d’une couverture santé complémentaire. Au même moment, l’Irlande a réduit son budget santé de 12 %. Des systèmes fiscaux injustes et régressifs permettent l’évasion fiscale de milliards d’euros par les multinationales, faisant porter plus lourdement sur les seuls citoyens l’ensemble de la contribution fiscale. Le rapport révèle à ce titre les pratiques d’évasion fiscale d’Edf qui recourt à des filiales implantées dans d’autres pays pour réduire sa facture fiscale en France. Du Luxembourg à l’Irlande, en passant par la Belgique et les Pays-Bas, l’entreprise détenue majoritairement par l’Etat français réalise en effet un grand chelem européen de l’évasion fiscale.« Les gouvernements doivent rééquilibrer notre système fiscal vers plus d’équité, afin que les entreprises paient leur juste part d’impôts. Ils doivent aussi remettre en question les politiques d’austérité, réinvestir dans des services publics et garantir des salaires décents, pour que les personnes les plus vulnérables arrêtent de subir les coûts de la crise financière », estime Manon Aubry.Le rapport sonne également l’alerte sur l’influence excessive d’une élite fortunée, de grandes entreprises et d’intérêts privés dans les orientations politiques, tant au niveau national que communautaire. Leur mainmise sur les décisions politiques biaisent les politiques publiques pour servir leurs propres intérêts aux dépens de ceux qu’elles sont supposées servir, et intensifient ainsi les inégalités économiques. Le débat sur la taxe sur les transactions financières (Ttf) a ainsi entièrement été accaparé par les lobbies financiers. Oxfam estime que 73 millions d’euros sont dépensés chaque année pour essayer d’influencer la Commission européenne sur les négociations Ttf. Un chiffre dix fois plus élevé que le budget qu’y aurait consacré la société civile (7 millions d’euros) : pour une demande de rencontre initiée par la société civile, les décideurs européens en recevaient 40 des lobbyistes financiers.« Pour combattre les inégalités et la pauvreté en Europe, nous devons réduire l’influence des plus fortunés, des lobbies et des puissants dans l’élaboration des politiques publiques en leur faveur aux dépens de la majorité des Européens. Une plus grande transparence serait déjà un signal important », souligne Manon Aubry.Le rapport repose entre autres sur des tableaux de données qui montrent le rôle des politiques publiques dans l’aggravation ou la réduction des inégalités. Ainsi, le système fiscal et social suédois est le plus progressif d’Europe, permettant de réduire les inégalités de revenus disponibles de 53 %. En comparaison, le système espagnol ne permet de réduire les inégalités que de 32 % et le système français de 40 %.
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