De Robert Louis Stevenson, je me souvenais
vaguement ma lecture juvénile et pubère de "L’étrange cas du Docteur
Jekill et Mister Hyde" quand me tomba dans l’oreille, de la bouche d’un
chroniqueur de France inter, l’allusion au périple de l’écrivain et de
Modestine durant douze jours et 200
kilomètres en territoire camisard à l’origine du GR 70.
In petto j’ai fabriqué
les images de soleil, d’eaux vives et de grand chemin que m’inspiraient les
mots Territoire et Grande Randonnée. En ce qui concerne "camisard",
c’est plus énigmatique d’où ma curiosité pour le Gévaudan, sa bête et….. Mr
Hyde. L’occasion aussi de faire un peu de rangement dans ma tête en passant par
les archives.
En 1876 Robert Lewis Balfour Stevenson, était en travaux :
santé, scolarité, famille, amour interdite….. Pas encore écrivain, de santé et de fortune fragile, Bob était
dans l’impossibilité de suivre Fanny Osbourne, aux States. La fortune était
celle de son père et Fanny, mariée à Mr Osbourne.
Interdite donc essentielle !
Sans
doute et déjà Doc Jekill lui conseillait
l’oubli et Mister Hyde, la rancœur.
Rupture ou crise
existentielle j’sais pas et je m’en fous mais c’est à Monastier sur Gazeille que fut conçu
le projet de Stevenson qui deviendra un récit point de départ de sa carrière
d’écrivain : "Voyage avec un âne dans les Cévennes" L’âne est une ânesse, amie ou ennemie Modestine c’est Hyde avant l’heure. Une bête de somme lente,
rétive et capricieuse, harnachée du barda de l’aventurier. C'est la part animale, la
voix intime qui indique la voie la plus sûre. Avec quelques digressions
nécessaires.
Ambivalence des
sentiments, ambiguïté des résistances et alliance des antinomies, ça me parlait
bien à l’€go le mien étant à jamais work in progress.
Dans
l’Eden de ma vie conjugale, j’étais l’innocent aux mains pleines des seins
lourds de Betty.
« Betty pour moi,
c’est Fanny pour Bob sans la rupture : Je suis libre et elle, bientôt le sera
pour nos vacances en commun. Fuyard et primesautier, je me projette en
éclaireur avide d’espace me disant que je convaincrai ultérieurement Betty de
me rejoindre sur quelques étapes. »
La mécanique inexorable
de la perversité de l’imprévisible est contenue dans cet incipit.
Hyde
déjà était en moi !
J’ignorais l’influence (mon animal de compagnie est un bouc émissaire) perverse de l’ingérable doublon et à quel point j’allai me retrouver seul et être à la fois, le fardeau et l’âne.
Bordeaux,
Agen, Montauban, Albi, Rodez, Mende, ma Modestine perso, la Ducati véloce, soumise
et ensorceleuse, a pris six heures par les chemins de traverse pour me livrer, centaure
fourbu, livide et silencieux, à Monastier sur Gazeille, point de départ du
chemin historique. Le Puy en Velay au début et Alès à la fin sont des ajouts
touristiques : ils ont étés parcourus en calèche par l’écrivain et à
ce titre je les ai zappés.
Je retrouve l’usage des
jambes et de la parole pour négocier avec Emmanuel du gîte Falgon, le garage de la Ducat’ jusqu’à samedi contre la prestation gite et couvert pour la nuitée
de dimanche qui est la finalité de mon hôte plutôt que celle de geôlier de la belle
italienne.
Tandis que je transfère le contenu des
sacoches de la bécane dans mon sac à dos, je dévoile à l’attention de Manu que
je n’ai pas résolu le problème du trajet retour vers l’italienne de fer, ma
partenaire de goudron qui me ramènera vers l’italienne de chair (et de fer un peu aussi) au bercail.
« -il
y a la malle poste ! me suggère-t-il
-La malle poste ? »
(Wouahoo, je me retrouve direct en redingote le 22 septembre 1876. Les gonzes
de l’office du tourisme méritent leur master en marketing.
Derrière l’appellation
aguichante et désuète je renifle le bon gros diesel avec la tronche à Steevy
sérigraphiée sur la carrosserie et le prix du billet indexé sur la mode des
baroudeurs de salon, mais cette opinion négative n’a pas franchie mes lèvres.)
-
Oui, mais il faut réserver.» Je décline : j’ignore où et quand je serai où.
« -
vous partez maintenant ?
-oui.
Vers Le Bouchet Saint Nicolas. »Economie
de mots et de temps. Comprendrait-il que je suis affamé ? Qu’il me faut engager
au plus tôt mon corps à corps avec la nature ? Je sais pertinemment que
les guides papiers du GR, indiquent 5 heures pour parcourir les 22Kms sans
musarder.
Dubitatif, il a lorgné
mon mini sac à dos et sa montre qui indiquait 18h.
«- vous dormez où?
-J’ sais pas ! »
Total impro : Je
n’ai pas, non plus, pourvu au minimum
vital à mon existence physiologique glou-glou/miam-miam/dodo/popo. A part chez
lui et pour mon retour, je n’ai réservé aucun gite sur le trajet. En même
temps, comme pour la malle poste, réserver un gite m’obligerais à m’y rendre
sans savoir si mes petites jambes y consentiraient.
« - vous avez une
tente ?
-Non, juste un duvet et
un drap de soie ! »
Vu la taille de mon sac
et les Five Fingers qui me chaussent, il en déduit goguenard la performance
thermique de mon duvet, la ruine de mes métatarsiens et la frugalité de mon
prochain repas.
« -vous savez que
nous sommes, un peu, en altitude ?
-Oui, mais le drap de
soie me fait gagner quelques degrés et on n’est pas dans les Pyrénées. »
Je ne dois pas être le
premier fanfaron du GR 70 qu’il rencontre.
Dans le ciel qui
poudroie au-delà du vallon derrière mon hôte, j’aperçois le squelette de mon
imprudence dont l’insensibilité à la
météo, le dédain du confort et la désinvolture pour la pitance forment la
substantifique moelle.
On s’en serre cinq et je
me casse.
19 H : Je
ravitaille chez le petit Casino du village une frugale collation que
j’écornerais en gravissant le premier raidillon.
Ainsi débute un mano à
mano…. pédestre et anachronique entre :
-
A
ma droite Robert Lewis Balfour Stevenson, jeune, impécunieux, souffreteux, son
chagrin d’amour et Modestine pour 12 jours et 200 kilomètres de désert broussailleux
et de doute à essarter.
-
A
gauche toute sa majesté Moi, randonneur dilettante, vieux mais pas obsolète,
une carte bleue, une boussole et 3 jours
pour parcourir les 200 bornes d’un chemin touristique, commercial et bien
fléché.
Les
five fingers sont le bon choix dans la montée rocheuse après le moulin de Savin
vers le plateau plein ouest.
Les
« five » sont des chaussures minimalistes que j’ai choisies pour leur
simplicité et dans ma logique d’extrême dénuement. Ce sont de simples semelle
de caoutchouc cousues sur un tissu qui enserre le pied et chaque orteil comme le
ferait un gant, une seconde peau plus endurante, préhistorique d’avant
l’invention de la chaussure. Sans amorti, elles optimisent la pronation et les
sensations telluriques sans filtre ni déformation. Il faut compléter
l’équipement avec des mini-guêtres de chez Salomon pour éviter l'intrusion des scrupules, ces petits cailloux qui nuisent à l'avancement (?!). Je
vais, je cours, je vole. Il me faut franchir au plus tôt le point de non
retour. Ce moment ultime/exquis où le
chemin devant est aussi interminable et dissuasif que le chemin d’avant.
22-19
= 3 heures claires puis le jour cessera. Courmarcès,
Le Cros puis Saint Martin de Fugères, « on » me donne de l’eau, la
ferme de Prémajoux où des chiens aboient sur une sente de chèvres que je dévale
plein badin. Au Goudet « on » me parle. Il va faire nuit. Je franchis
La Loire, déchausse, lave et masse mes pieds consternés des bornes bâclées.
Expédiée aussi, la tablette de chocolat fondue et survivante du kilomètre 11
que j’achève dans des effluves d’Akileine de la main libre, celle qui ne masse
pas mes pieds. En direction d’Ussel, ça monte sévère à gauche jusqu’au village
de Montagnac puis un faux plat, on devrait dire une vraie montée, bien droite, érigée
vers les Bargettes. Le déplacement à moto n’est pas le choix le plus
reposant et je paie le prix des six heures de selle du préambule mécanique. J’ai
juste envie de …….ralentir.
A la sortie d’Ussel,
j’ai bien vu l’âtre, le gite et les commensaux autour de la table d’hôte. Même
pas mal, j’ai poursuivi solitaire et affamé ma route persuadé que plus loin,
c’était mieux !
« Baaandit un peu maudit […..]
Dans ma veste de soie
rôôôse
Je déambuleee morose….
Le crépuscule est
grandiôôse »
Voilà, c’est ça :
grandiose !!! La luzerne en guise de couche, le ciel pour plafond, Vénus
façon lustre et des milliards d’étoiles comme autant de lucioles qui me
font des appels de phare: il est temps de diner et de passer à l’horizontale.
De toute façon ma lampe frontale ne détecte plus le balisage blanc et
rouge du GR.
Je récite comme un
mantra pour me persuader que je suis rassasié la mention sur la boite : « sans-huile-ajoutée-riche-en-oméga-3-sans-huile-ajoutée-riche-en-om-sans-huile-ajoutée-rich……. »
en mâchant religieusement les 2 sardines accompagnées du quignon de pain.
23.00h
et 1200 mètres d’altitude. Prodrome mortifère, l’herbe est déjà humide,
prémisse que la nuit sera longue,
fraiche et mouillée. Blanche nuit du chasseur, ou celle de la proie. J’ai
froid, j’ai faim, j’ai peur !
Abruti de fatigue, je m’endors
indifférent aux ombres fantomatiques qui m’encerclent.
Je gamberge entre sommeil paradoxal et profond :
Cette obstination à marcher coûte que coûte n’est-elle pas destinée à retarder
le moment d’affronter la nuit ? « Rien ne s’oppose à la nuit »Sa
venue est impitoyable comme la fin de l’été. C’est un assez mauvais plan car dans
l’obscurité je n’ai pu sélectionner mon bivouac selon les critères de
Stevenson : La protection des arbres contre les précipitations et la
rosée, dans le cocon d’un fossé de fougères m’isolant de la capillarité du sol
et à l’écart des maraudeurs. Pour mémoire, Bob avait dans son paquetage un
revolver chargé, moi pas.
Silence ! Je réclame du silence. Pourtant
ce ne sont que bruissements, chuintements, murmures. Qui va là ? Ai-je
envie de dire sans vraiment souhaiter de réponse.
Une voix Shakesparienne
répond hors sujet à la question que je n’ai pas posée puisque je dors:
«Lord save the little
children ! Because with every
children ever born of woman’s womb there is time of running trought a shadowed
place, and alley with no doors, and a hunter whose foostep ring brightly along the bricks behind him ».
Hyde ! C’est Mister
Hyde à n’en pas douter ! Hey Mister, l’anglais et moi ca fait deux.
Je me rendors et j’entends :
« Le seigneur préserve les enfants car tout enfant est issu du sein d’une
femme et se profile un temps où il fuira au travers d’un lieu ombreux et se
dresse un chasseur dont les pas sonnent derrière lui ».
Bien foutu les
cauchemars, non ? Il suffit d’un peu de concentration pour se rendormir en
milieux hostile et les sous-titres s’affichent.
Pas
faux. Suggéré par une voix intérieure, j’entends des pas subliminaux. Ce serait
un chasseur ?
Un
œil furtif sur la montre qui dit : minuit et la
boussole/sifflet/thermomètre : 3°. Une heure est passée alors que
j’estimais à une minute ma sensation de chute dans un puits imaginaire et
sournois.
En vigilance orange, je vérifie
simultanément la franchise de la prairie et la pureté stellaire. Le souffle
coupé, j’aperçois les constellations formant un jeu de points à relier. Bon,
j’ai le temps, je cherche la grande ourse et toutes les constellations dont
j’ai entendu parler. Je relie les astres d’un doigt enfantin pointant le ciel
en tirant la langue, me disant qu’il faut une bonne dose d’imagination pour
convertir des milliards de pointillés aléatoires en Orion, Pégase ou Persée.

every children ever born of woman’womb »
euh : « …tout enfant est issu du sein d’une femme… » Alors ?
Et dieu dans tout ça ? Les mystérieuses, confuses et anachroniques
connexions du cerveau, cet inconnu, mettent en scène selon son bon vouloir
David Grubbs, Michel Ange avec la voix de Stevenson sans soucis de cohérence,
de chronologie et de vraisemblance dans les pleins du sommeil et les déliés de
l’éveil. Promis, y en aura d’autres.
Le
froid a progressé plus que la durée. Il est rare que je souhaite accélérer
l’écoulement du temps mais l’humidité gagne du terrain. Dans cette nuit des
merveilles et de l’effroi à quoi seul un anthropomorphisme puéril attribue des
intentions néfastes, le sommeil devient néanmoins un traquenard avec ses
cauchemars fallacieux à l’offensive de l’esprit et l’hypothermie à l’assaut de
la chair. Le corps réagit à la froidure en régulant la circulation sanguine.
Les terminaisons, doigts et orteils, endurent la privation et c’est le cerveau
qui s’arroge la part du lion diffusant des messages toxiques comme les chaines
d’info entretiennent l’insécurité. Je pense stupidement aux montagnards que
l’on ampute. Je tiens tant à mes extrémités que j’amplifie un risque largement
improbable. Une bonne pneumonie à la limite…..
Fataliste
autant que régressif je décide d’ignorer
et repousser cette version pessimiste dans la réminiscence enfantine du baiser
maternel qui ne viendra plus conclure un conte de fée. Adulte, c’est plutôt la
séquence inéluctable d’un sempiternel décompte de faits au cours desquels j’ai
acquis peu d’amis et peu d’alliance! Sans rancune, maman le jour l’emportera.
Version
courte : je me rendors !
En compagnie de tous mes
contempteurs, je m’endors.




Je suis dans l’étau du froid en position fœtale. Pourtant rien n’empêche sa morsure. Les mains entre les jambes, le front sur les rotules préservant un peu de chaleur animale font une posture dérisoire dans ce congélateur.
Je rêve que je dors (que l’on me pardonne mes amphigourisme puisque je suis au-delà du réel). Pour vaincre l’engourdissement, je me suis glissé à l’abri d’un caveau sans le savoir et un gisant se disloque. Son squelette se renverse sur moi. Sont-ce l’odeur de charogne, la vermine qui grouille tout autour ou le froid qui me réveille ? Suis-je bien sûr d’être éveillé ? J’ai du mal avec la réalité…. Je décide de faire quelques pas pour me réchauffer. Mon pied accroche la margelle du puits et je chute. Longuement je
Dans la lumière, le décor est aussi terrifiant qu’édifiant! Je suis dans une crypte et ma décapitée a une épitaphe : « L’an 1764 et le1erjuillet, a été enterrée, Jeane Boulet, sans sacremens, ayant été tuée par la bette féroce, présans Joseph Vigier et Jean Reboul. » Je suis tombé avec mon portable et j’ai du réseau. Wikipédia me confirme que : Jeanne Boulet, 14 ans a été retrouvée sans tête victime de la bête du Gévaudan au village des Hubac prés de Langogne et enterrée sans sacrement car elle n’avait pas eu le temps de se confesser. Je salue bien bas cette très inhumaine logique de curé et poursuis mon chemin laissant la vermine à son éternelle besogne. Il y a les autres victimes, celles de la forêt de Mercoire et du hameau de Masméjean et de la paroisse de Puylaurent dans le même état de décomposition curieusement réunies dans « mes » oubliettes. Mon gisant de tout à l’heure est là, avec plein de ses semblables mais je ne suis pas d’humeur à jouer aux osselets, malgré l’air devenu respirable et la température en hausse, je ne vais pas rester. Apercevant à la lueur de ma baladeuse une silhouette féminine debout, je quitte l’ossuaire comme Aragon se disant que la femme est l’avenir de l’homme. Un couloir rectiligne et sans issu que je reconnais aisément c’est celui de celui de l’espérance, l’autre nom de l’illusion, mais je n’ai pas d’autres choix. Des objets de brocante jonchent le sol. Un vieux décodeur C+, une Olympia vétuste l’azerty en vrac, de la paperasse, des portes entrouvertes, des étagères couvertes des œuvres de H.P Lovecraft, Edgard Allan Poe, Charles Nodier, Stephen King, A.E Van Vogt, Lewis Balfour Stevenson, C. Troussecotte. Ceci expliquant cela. Par l’entrebâillement d’une porte, j’aperçois un capharnaüm invraisemblable digne de l’arrière boutique d’un magasin de sport, un stock anachronique d’engins pas encore inventés : roues, guidons, embarcation, coques, cordes, harnais, avirons, planches, fixations, chaussures enchevêtrés. Le maître des lieux y dort tout habillé. Bien qu’il connaisse sans doute la sortie, je ne réveillerai pas cet hyperactif peu envieux de sa peur du vide avec sa porte mi-fermée, ni ouverte (laisse, c’est voulu) du gars qui ne veut pas décrocher et se laisse surprendre par le sommeil épuisé par l’ébauche de multiples projets. Au terme du couloir il y a un fronton grec marqué : « ARCHIVES » donnant sur un patio avec des roses trémières, des spathiphyllum et des plantes que je ne saurai nommer. Voilà la silhouette entraperçue. Point de chair mais du marbre. C’est une statue miscellanées de la Vénus de Milo et de la victoire de Samothrace. Fastoche : Vénus ! C’est vrai qu’elle était belle, maman. Sans tête : la folie, l’internement, la solitude, la mort. L’absence de bras : l’impuissance (va falloir s’occuper des frangins, frangines). Les ailes : l’évasion. C’est clair, la sortie n’est pas loin. Je me dirige vers la veilleuse verte devant moi et je pousse une porte improbable de salle de cinéma avec sa barre anti-panique débouchant sur ma prairie.

A suivre....
