

J’ignorais l’influence (mon animal de compagnie est un bouc émissaire) perverse de l’ingérable doublon et à quel point j’allai me retrouver seul et être à la fois, le fardeau et l’âne.



Je récite comme un
mantra pour me persuader que je suis rassasié la mention sur la boite : « sans-huile-ajoutée-riche-en-oméga-3-sans-huile-ajoutée-riche-en-om-sans-huile-ajoutée-rich……. »
en mâchant religieusement les 2 sardines accompagnées du quignon de pain.
23.00h
et 1200 mètres d’altitude. Prodrome mortifère, l’herbe est déjà humide,
prémisse que la nuit sera longue,
fraiche et mouillée. Blanche nuit du chasseur, ou celle de la proie. J’ai
froid, j’ai faim, j’ai peur !
Abruti de fatigue, je m’endors
indifférent aux ombres fantomatiques qui m’encerclent.
Je gamberge entre sommeil paradoxal et profond :
Cette obstination à marcher coûte que coûte n’est-elle pas destinée à retarder
le moment d’affronter la nuit ? « Rien ne s’oppose à la nuit »Sa
venue est impitoyable comme la fin de l’été. C’est un assez mauvais plan car dans
l’obscurité je n’ai pu sélectionner mon bivouac selon les critères de
Stevenson : La protection des arbres contre les précipitations et la
rosée, dans le cocon d’un fossé de fougères m’isolant de la capillarité du sol
et à l’écart des maraudeurs. Pour mémoire, Bob avait dans son paquetage un
revolver chargé, moi pas.
Silence ! Je réclame du silence. Pourtant
ce ne sont que bruissements, chuintements, murmures. Qui va là ? Ai-je
envie de dire sans vraiment souhaiter de réponse.
Une voix Shakesparienne
répond hors sujet à la question que je n’ai pas posée puisque je dors:
«Lord save the little
children ! Because with every
children ever born of woman’s womb there is time of running trought a shadowed
place, and alley with no doors, and a hunter whose foostep ring brightly along the bricks behind him ».
Hyde ! C’est Mister
Hyde à n’en pas douter ! Hey Mister, l’anglais et moi ca fait deux.
Je me rendors et j’entends :
« Le seigneur préserve les enfants car tout enfant est issu du sein d’une
femme et se profile un temps où il fuira au travers d’un lieu ombreux et se
dresse un chasseur dont les pas sonnent derrière lui ».
Bien foutu les
cauchemars, non ? Il suffit d’un peu de concentration pour se rendormir en
milieux hostile et les sous-titres s’affichent.
Pas
faux. Suggéré par une voix intérieure, j’entends des pas subliminaux. Ce serait
un chasseur ?
Un
œil furtif sur la montre qui dit : minuit et la
boussole/sifflet/thermomètre : 3°. Une heure est passée alors que
j’estimais à une minute ma sensation de chute dans un puits imaginaire et
sournois.
En vigilance orange, je vérifie
simultanément la franchise de la prairie et la pureté stellaire. Le souffle
coupé, j’aperçois les constellations formant un jeu de points à relier. Bon,
j’ai le temps, je cherche la grande ourse et toutes les constellations dont
j’ai entendu parler. Je relie les astres d’un doigt enfantin pointant le ciel
en tirant la langue, me disant qu’il faut une bonne dose d’imagination pour
convertir des milliards de pointillés aléatoires en Orion, Pégase ou Persée.
every children ever born of woman’womb »
euh : « …tout enfant est issu du sein d’une femme… » Alors ?
Et dieu dans tout ça ? Les mystérieuses, confuses et anachroniques
connexions du cerveau, cet inconnu, mettent en scène selon son bon vouloir
David Grubbs, Michel Ange avec la voix de Stevenson sans soucis de cohérence,
de chronologie et de vraisemblance dans les pleins du sommeil et les déliés de
l’éveil. Promis, y en aura d’autres.
Le
froid a progressé plus que la durée. Il est rare que je souhaite accélérer
l’écoulement du temps mais l’humidité gagne du terrain. Dans cette nuit des
merveilles et de l’effroi à quoi seul un anthropomorphisme puéril attribue des
intentions néfastes, le sommeil devient néanmoins un traquenard avec ses
cauchemars fallacieux à l’offensive de l’esprit et l’hypothermie à l’assaut de
la chair. Le corps réagit à la froidure en régulant la circulation sanguine.
Les terminaisons, doigts et orteils, endurent la privation et c’est le cerveau
qui s’arroge la part du lion diffusant des messages toxiques comme les chaines
d’info entretiennent l’insécurité. Je pense stupidement aux montagnards que
l’on ampute. Je tiens tant à mes extrémités que j’amplifie un risque largement
improbable. Une bonne pneumonie à la limite…..
Fataliste
autant que régressif je décide d’ignorer
et repousser cette version pessimiste dans la réminiscence enfantine du baiser
maternel qui ne viendra plus conclure un conte de fée. Adulte, c’est plutôt la
séquence inéluctable d’un sempiternel décompte de faits au cours desquels j’ai
acquis peu d’amis et peu d’alliance! Sans rancune, maman le jour l’emportera.
Version
courte : je me rendors !
En compagnie de tous mes
contempteurs, je m’endors.


Je suis dans l’étau du froid en position fœtale. Pourtant rien n’empêche sa morsure. Les mains entre les jambes, le front sur les rotules préservant un peu de chaleur animale font une posture dérisoire dans ce congélateur.
Je rêve que je dors (que l’on me pardonne mes amphigourisme puisque je suis au-delà du réel). Pour vaincre l’engourdissement, je me suis glissé à l’abri d’un caveau sans le savoir et un gisant se disloque. Son squelette se renverse sur moi. Sont-ce l’odeur de charogne, la vermine qui grouille tout autour ou le froid qui me réveille ? Suis-je bien sûr d’être éveillé ? J’ai du mal avec la réalité…. Je décide de faire quelques pas pour me réchauffer. Mon pied accroche la margelle du puits et je chute. Longuement je
Dans la lumière, le décor est aussi terrifiant qu’édifiant! Je suis dans une crypte et ma décapitée a une épitaphe : « L’an 1764 et le1erjuillet, a été enterrée, Jeane Boulet, sans sacremens, ayant été tuée par la bette féroce, présans Joseph Vigier et Jean Reboul. » Je suis tombé avec mon portable et j’ai du réseau. Wikipédia me confirme que : Jeanne Boulet, 14 ans a été retrouvée sans tête victime de la bête du Gévaudan au village des Hubac prés de Langogne et enterrée sans sacrement car elle n’avait pas eu le temps de se confesser. Je salue bien bas cette très inhumaine logique de curé et poursuis mon chemin laissant la vermine à son éternelle besogne. Il y a les autres victimes, celles de la forêt de Mercoire et du hameau de Masméjean et de la paroisse de Puylaurent dans le même état de décomposition curieusement réunies dans « mes » oubliettes. Mon gisant de tout à l’heure est là, avec plein de ses semblables mais je ne suis pas d’humeur à jouer aux osselets, malgré l’air devenu respirable et la température en hausse, je ne vais pas rester. Apercevant à la lueur de ma baladeuse une silhouette féminine debout, je quitte l’ossuaire comme Aragon se disant que la femme est l’avenir de l’homme. Un couloir rectiligne et sans issu que je reconnais aisément c’est celui de celui de l’espérance, l’autre nom de l’illusion, mais je n’ai pas d’autres choix. Des objets de brocante jonchent le sol. Un vieux décodeur C+, une Olympia vétuste l’azerty en vrac, de la paperasse, des portes entrouvertes, des étagères couvertes des œuvres de H.P Lovecraft, Edgard Allan Poe, Charles Nodier, Stephen King, A.E Van Vogt, Lewis Balfour Stevenson, C. Troussecotte. Ceci expliquant cela. Par l’entrebâillement d’une porte, j’aperçois un capharnaüm invraisemblable digne de l’arrière boutique d’un magasin de sport, un stock anachronique d’engins pas encore inventés : roues, guidons, embarcation, coques, cordes, harnais, avirons, planches, fixations, chaussures enchevêtrés. Le maître des lieux y dort tout habillé. Bien qu’il connaisse sans doute la sortie, je ne réveillerai pas cet hyperactif peu envieux de sa peur du vide avec sa porte mi-fermée, ni ouverte (laisse, c’est voulu) du gars qui ne veut pas décrocher et se laisse surprendre par le sommeil épuisé par l’ébauche de multiples projets. Au terme du couloir il y a un fronton grec marqué : « ARCHIVES » donnant sur un patio avec des roses trémières, des spathiphyllum et des plantes que je ne saurai nommer. Voilà la silhouette entraperçue. Point de chair mais du marbre. C’est une statue miscellanées de la Vénus de Milo et de la victoire de Samothrace. Fastoche : Vénus ! C’est vrai qu’elle était belle, maman. Sans tête : la folie, l’internement, la solitude, la mort. L’absence de bras : l’impuissance (va falloir s’occuper des frangins, frangines). Les ailes : l’évasion. C’est clair, la sortie n’est pas loin. Je me dirige vers la veilleuse verte devant moi et je pousse une porte improbable de salle de cinéma avec sa barre anti-panique débouchant sur ma prairie.

A suivre....