L’influence et la puissance des 28 banques systémiques mondiales nous expose au prochain tsunami financier. A moins d’une réaction politique internationale de grande ampleur. Démonstration en trois volets. Formation et dimension (1/3)par François Morin, professeur émérite de l’université de Toulouse, ancien membre du Conseil général de la Banque de France et du Conseil d’analyse économiqueDans un ouvrage récent, nous soutenons d’une part que les plus grandes banques mondiales, de type systémique, sont si interconnectées entre elles et si puissantes qu’elles forment ensemble un véritable “oligopole” ; et, d’autre part, que cet oligopole bancaire menace actuellement la stabilité financière mondiale par de multiples dérives dont les scandales récents ne sont que la partie émergée. À moins d’une réaction politique internationale de grande ampleur, on ne peut s’attendre qu’à un nouveau tsunami financier planétaire. Les États doivent engager une réponse urgente face à l’hydre bancaire mondiale qui d’ores et déjà menace nos démocraties.“À moins d’une réaction politique internationale de grande ampleur, on ne peut s’attendre qu’à un nouveau tsunami financier planétaire”La notion d’oligopole est bien définie par les économistes. Du grec ‘oligos’, petit nombre, et ‘polein’, vendre, l’oligopole désigne une structure de marché dominée par un petit nombre de grandes entreprises. Ce marché n’est plus, de ce fait, vraiment concurrentiel. Il est dit “imparfait”, même s’il subsiste une frange de petites entreprises en concurrence à côté des grandes firmes qui le dominent. D’une façon générale, l’oligopole résulte de la concentration des entreprises sur un ou plusieurs segments du marché, telle que la formation des prix (et donc de leurs profits) dépend directement de leurs observations et actions réciproques. Bien que cela soit prohibé, la tentation est alors forte pour les entreprises oligopolistiques – les plus grandes – de s’entendre sur les prix et sur les quantités offertes pour accroître leurs profits, au détriment des acheteurs.
Oligarchie appliquée à la finance
Suivant cette définition classique, on peut démontrer, données à l’appui, l’existence d’un oligopole bancaire à l’échelle mondiale. Celui-ci est constitué par les 28 banques systémiques définies par le G20 en 2011. Ces banques sont en effet de très grande taille. Le total de leurs bilans – un peu plus de 50 000 milliards de dollars en 2012 – dépasse l’entendement. Pour se donner une idée de ce qu’il représente, on peut le rapporter à une autre grandeur, le total de la dette publique mondiale, c’est-à-dire les dettes cumulées d’un peu moins de 200 États. Il y a équivalence entre les deux chiffres !On peut ensuite établir que les banques appartenant à l’oligopole dominent les plus grands marchés de la finance globalisée. Cette influence s’exerce sur le marché des changes, où 10 banques systémiques détiennent 80 % des parts de marché ; sur les marchés monétaires, où 14 de ces banques (sur un panel de 18) déterminent le taux d’intérêt sur le dollar (Libor-dollar), et sur les marchés obligataires, où elles constituent la quasi-totalité des “primary dealers”. Enfin, 95 % des activités de “trading” sont concentrées dans une quinzaine de banques systémiques.“L’oligopole bancaire à l’échelle mondiale est constitué par les 28 banques systémiques définies par le G20 en 2011”Ensuite, on peut montrer la puissance et les effets de cet oligopole. Cette puissance est en effet telle, que face à des États surendettés, le rapport de force s’est progressivement inversé. C’est ce qui explique l’emprise de l'oligopole bancaire sur la conduite des politiques économiques et le cycle des affaires. Chacun a pu constater, lors de la dernière crise provoquée par ces banques, en 2007 et 2008, que leurs principaux dirigeants ont été les seuls à être écoutés par les gouvernements lorsqu’il fallut établir une nouvelle politique économique.Cet oligopole bancaire est de formation récente. Il est né de la globalisation des marchés monétaires et financiers intervenue vers le milieu des années 1990 avec la libéralisation des mouvements de capitaux à l’échelle internationale. Les plus grandes banques du monde développé ont alors ajusté leur taille et leurs activités à la dimension mondiale acquise par ces nouveaux marchés. Leur position dominante sur ces marchés s’est progressivement affirmée, en même temps que grandissait la tentation d’entente entre elles.1 "L’hydre mondiale, l'oligopole bancaire", éditions Lux, mai 2015Publié lehttp://www.lenouveleconomiste.fr/lhydre-mondiale-loligopole-bancaire-mondial%E2%80%89-28026/