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Leur âge avant eux

Publié le 28 septembre 2015 par Mentalo @lafillementalo

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Je ne sais plus d’où c’est venu, qui en a eu l’idée, qui en a parlé en premier. Tout ce dont je me souviens, c’est d’aller dans le garage, droit vers l’étagère où la boîte en carton, qui avait apparemment contenu autrefois un petit chauffage d’appoint, prenait la poussière depuis tant d’années. Je ne sais même pas pourquoi je ne l’ai pas jetée, sans doute était-elle arrivée là avec l’autre, la précieuse, et je les avais posées côte à côte sans y penser.

J’ai soufflé dessus et les grains de poussière ont formé un nuage scintillant dans le soleil rasant de l’automne. Je l’ai ouverte sur la table de la cuisine et nos mains ont plongé ensemble dedans. Sur les boîtes en plastique transparent, des noms étranges inconnus d’eux. Leurs visages un peu déçus, leur sourire qui s’efface un peu. Je ris, mes choix n’étaient pas toujours glorieux, autant qu’ils ne s’en rendent pas compte de suite.

Il y a encore dans la maison un lecteur de cassettes, qu’on s’empresse d’aller chercher. Ils rient quand je leur explique qu’il faut rembobiner la bande – que c’est long pour cette génération d’impatients – positionner la cassette du bon côté – et le stop c’est pause ou ça revient au début ?  Et puis soudain les sons de mon adolescence, et puis leurs danses endiablées, irrésistibles.

Dans une vielle commode bancale, on déniche un walkman Sony en état de marche. Je suis soudain la mère la plus cool de la terre à ses yeux de quatorze ans. On se partage les écouteurs qui font mal aux oreilles, on exhume une cassette avec nos voix de 1995, et celles de leurs cousines plus âgées, c’est irréel. Le walkman fera le voyage jusqu’à l’internat, avec une provision de cassettes – piratées, bien entendu – ce temps qu’on passait à copier les copies des copains, les index synchronisés sur les touches pauses des double-decks empruntés en douce à nos grands frères.

Pendant ces quelques minutes hors du temps, je n’étais plus leur mère de quarante ans. J’avais à nouveau quatorze ans, je mettais en cachette un trait de crayon bleu sous mes yeux, j’enlevais mes socquettes blanches sur le chemin, et mon cœur battait un peu plus vite quand je croisais un certain joli garçon dans le couloir de la gare. Il n’en sut jamais rien, et j’en ris moi-même quand quelques années plus tard, nous nous retrouvâmes côte à côte dans le grand amphithéâtre à bûcher sur les mêmes textes.

Plus tard, le calme revenu, par la magie des coïncidences qu’on appelle aujourd’hui synchronicité,  j’entendis à la radio « Pour mieux comprendre nos ados, il faut se souvenir. Nous les trouvons étranges parce que nous nous sommes empressés d’oublier. » Et eux ne m’avaient certainement jamais crue avant ce dimanche, quand je leur disais que j’avais eu leur âge avant eux.


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