

Difficiles à estimer, ces crimes représenteraient entre 70 et 213 milliards de dollars par an (187 milliards d'euros), selon un rapport publié par Interpol et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) en 2014. En France, les infractions relatives à la faune sauvage «ont augmenté de plus de 40% entre 2011 et 2013», précise Laurent Neyret, professeur de droit et auteur du rapport «Des écocrimes à l'écocide» remis début février à la garde des Sceaux. Les rejets de polluants, le depot sauvage d'ordures, le braconnage, les incendies, l'abandon d'épave et le trafic d'especes protegees representent les principaux delits.
Ces délits menacent la sécurité de communautés et de régions entières.

Outre cet aspect financier, ces délits et l'absence de considération de la planète menacent la sécurité de communautés et de régions entières. L'organisation non gouvernementale (ONG) WWF vient d'annoncer que la surpêche, la pollution, l'aménagement du littoral et le réchauffement des mers provoqué par le changement climatique avait entrainé une régression de 49% des populations d'animaux marins, poissons, oiseaux, mammifères, et reptiles entre 1970 et 2012. Parallèlement, le Programme des Nations unies pour l'environnement a annoncé que 100.000 éléphants avaient été tués en Afrique pour leurs défenses depuis trois ans, un record.
«Les profits des crimes environnementaux sont très élevés, tandis que les poursuites sont rares»Laurent Neyret, professeur de droit
De fait, les «crimes» environnementaux sont rarement sanctionnés. A l'exception de quelques procès après des marées noires - ceux de l'Erika, l'Amoco Cadiz ou du Prestige -, les peines encourues pour la détérioration ou le pillage des écosystèmes sont quasiment inexistantes. «Les profits engendrés par les crimes environnementaux sont très élevés, tandis que les poursuites en la matière sont rares et les sanctions légères», explique Laurent Neyret. Ainsi, les truands considèrent que leurs prises de risque sont faibles pour des profits élevés («High profit, low risk»).

Par ailleurs, les crimes menaçant la sûreté de la planète via une industrialisation forcenée comme celles des multinationales qui souillent l'environnement sont également rarement punies. L'exemple de la compagnie pétrolière américaine Texaco qui a opéré en Equateur entre 1964 et 1990 est probant. Cette dernière a littéralement saccagé la forêt où elle exploitait une centaine de puits: 60 milliards de litres d'eau toxique ont été déversés dans les rivières, 880 fosses de déchets d'hydrocarbures ont été laissées, 650.000 barils ont été abandonnés. En 1993, la société est condamnée à payer 18 milliards de dollars par un tribunal équatorien. Mais un jugement américain annule cette condamnation et l'entreprise va même jusqu'à demander réparation auprès du tribunal international de La Haye…Les victimes ont fait appel auprès de la Cour Pénale Internationale.
Un arsenal pénal inadapté
L'arsenal pénal en vigueur dans beaucoup de régions de la planète est en effet inadapté pour sanctionner les écocrimes. En France, par exemple, la notion de préjudice écologique est en cours d'introduction dans le droit civil. La dégradation d'un écosystème devient ainsi un préjudice objectif. Mais «il est encore trop tôt pour savoir si ce texte aura réellement pour effet de “faciliter” la réparation du préjudice écologique», indique Maître Arnaud Gossement. Et, à l'échelle internationale, «la criminalité environnementale est mal identifiée et mal traitée juridiquement», précise Laurent Neyret. «Une législation plus contraignante et internationalisée paraît éminemment nécessaire», ajoute Valérie Cabanes.
«En cas d'écocide avéré, les victimes auraient la possibilité d'un recours international»Valérie Cabanes
Pour répondre à ce besoin juridique, la porte-parole d'End Ecocide on Earth indique qu'une «proposition de 17 amendements au Statut de la Cour pénale internationale définissant et élevant le crime d'écocide au rang des crimes internationaux les plus graves, comme le sont le crime de génocide ou le crime contre l'humanité, est à l'étude par différents Etats». Avec ce nouveau dispositif, «en cas d'écocide avéré, les victimes auraient la possibilité d'un recours international pour contraindre les auteurs du crime, en tant que personne morale, comme une entreprise transnationale ou en tant que personne physique comme un PDG ou un chef d'État, à payer des réparations morales, physiques ou économiques. Il serait possible de leur demander de restaurer le milieu naturel endommagé ou détruit au nom de la simple valeur écologique. La responsabilité des supérieurs hiérarchiques pourrait être engagée et des peines d'emprisonnement pourraient être prononcées», indique Valérie Cabanes. Ces amendements permettraient également de reconnaitre le statut de réfugiés climatiques, ajoute la juriste.
26 millions de «réfugiés climatiques» chaque année

De fait, le nombre de personnes obligées de se déplacer à cause des conséquences du changement climatique est en perpetuelle hausse. L'exemple de Tuvalu est édifiant: l'archipel de 26 km2 de 9 îles dans le Pacifique Sud risque de disparaître totalement sous les eaux. La mer remonte par le sol à chaque marée haute et les Tuvaluens ne peuvent plus cultiver et, à part l'eau de pluie, ils n'ont plus d'eau potable disponible. Les 11.000 habitants de cet État sont en passe de devenir les premiers exilés climatiques de la planète à l'échelle d'une nation. Ainsi, au Tuvalu, des familles entières sont contraintes de fuir et réclament un statut spécifique, celui de réfugiés climatiques. Le nombre de cas similaires à celui du Tuvalu ne cesse de se multiplier. De fait, «aujourd'hui, 43 % des écosystèmes terrestres sont déjà saccagés pour subvenir aux besoins des hommes et ce phénomène couplé à l'excès d'émissions de gaz à effet de serre ont modifié presque la moitié des climats sur Terre. Ces changements s'effectuent de manière brutale, empêchant les populations les plus vulnérables, les espèces et les écosystèmes de s'y adapter», déplore Valérie Cabanes. Ainsi, le dernier rapport d'Internal Displacement Monitoring Center montre qu'en moyenne 26,4 millions de personnes ont été déplacées chaque année depuis 2008, ces déplacements sont dus principalement à des facteurs humains.
Valérie Cabanes indique que plusieurs États étudient actuellement le projet d'amendement. «End Ecocide on Earth leur demande de porter symboliquement le texte auprès de Ban Ki-Moon lors de la COP21 en décembre prochain. Il suffit d'un seul État pour lancer le processus de révision du statut.»
Pour que le texte soit adopté, il faut que le secrétaire général des Nations Unies convoque l'Assemblée des États parties pour en délibérer. Deux tiers des pays doivent alors voter l'amendement pour qu'il soit adopter. «C'est un scénario envisageable car une grande majorité des États sont aujourd'hui des pays en voie de développement, eux-mêmes victimes des conséquences du changement climatique», conclut la juriste.
Par Mathilde Golla
23/09/2015 Journaliste spécialisée en économiehttp://www.lefigaro.fr/sciences/2015/09/18/01008-20150918ARTFIG00308-tres-profitables-et-impunis-les-crimes-environnementaux-se-multiplient.php