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Pragmatique

Publié le 01 octobre 2015 par Rolandlabregere

Si un éditeur se prenait d’envie de publier un glossaire relatif à la conduite de la vie publique, des relations sociales et du management, pragmatique en serait  assurément une des plus judicieuses notices. Voilà le mot fétiche de la réflexion à courte vue. Très valorisé par ceux qui ne veulent pas s’attarder dans une forme d’argumentation qui est tout de suite désignée comme chronophage, pragmatique a l’avantage de faire savant et de mettre à distance. Ceux qui se revendiquent de l’action immédiate le savoure avec gourmandise.

Dans l’entreprise, il est utile à la hiérarchie pour faire taire les oppositions, les réticences ou les doutes. Les managers férus d’efficacité instantanée s’en réclament à l’envi. Qui s’opposerait aux immédiates réussites ? Le mot plait jusqu’au ravissement. Quand le chef annonce qu’il agit en pragmatique, c’est silence dans les rangs. Sous peine de mise à l’index, qui pourrait contrer celui qui recherche des solutions sans parti pris, précises et adaptées à la situation ? Le leader pragmatique se pose en rassembleur des acquiescements. Il aide à opiner. Ne rien lâcher sur l’approche pragmatique, voilà la clef du succès !

Politiques et journalistes n’ont de cesse de l’employer. Face aux ennuis constitutionnels de Dilma Roussef, présidente de plus en plus impopulaire du Brésil, Le Monde explique pourquoi l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva vole à son secours. « Pragmatique, l’ancien syndicaliste appuiera désormais sans ambiguïté la politique d’austérité de sa successeure, quitte à froisser la base électorale de son parti », relève le quotidien. Tacticien voire stratège auraient été ici plus appropriés que pragmatique. L’évaluation réaliste de la situation sociale et économique du pays incite à un revirement alors que, rappelle le rédacteur, l’ancien président « ne s’était pas privé, jusqu’ici, de critiquer la politique de rigueur mise en place par la présidente ». (Le Monde, 20-21/09/2015). En matière de choix de termes, adopter une attitude pragmatique facilite la précision de la pensée ! Devant telle ou telle situation, le nuancier des subtilités lexicales aide à se positionner. Pour décrire une posture adaptée à l’action sur le réel, il est possible de se dire réaliste, lucide, perspicace, conscient de… Un comportement à critiquer sera calculateur, rusé, malin sans oublier les populaires finaud, roublard, madré, matois… Ce serait opportuniste que d’en dire plus. De sacrés zigotos, ces mots qui se trémoussent à l’orée de la pensée.

Sarkosy, lui, apprécie le mot jusqu’à la démesure. Le mettre en avant lui permet de croire qu’il maîtrise la situation. « Je suis avant tout pragmatique. Je ne me réveille pas chaque matin en lisant Adam Smith, Ricardo ou Hayek, mais en cherchant des solutions », avait-il déclaré en 2004. Depuis, on comprend que son plan de carrière ne lui offre plus le temps de lire. En 2008, il lâche dans un meeting «J'essaie d'être pragmatique». Pragmatique neutralise les idées tranchées et met à distance les références idéologiques. On le sait désormais, la posture pragmatique a fait de Sarkosy un homme mesuré. Le voilà prêt à divulguer son pragmatisme, doctrine de l’action où le sondage l’emporte sur la réflexion, où la décision énervée tient lieu de théorie. Son pragmatisme lui offre la possibilité de délivrer ses perspectives au moyen de lucratives conférences. Hélas, le pétulant ex. ne montre pas qu’il connait la dimension philosophique du terme pragmatique. Le pragmatisme sarkosien porte le sens courant du réalisme, de la part concrète des positions mettant de côté, en l’occurrence, toute réflexion au profit de l’action immédiate. Jamais un jet de Karcher ne tiendra lieu d’une fulgurance de la pensée. Être pragmatique dans cet esprit, c’est décider vite, sans donner prise à des réflexions qui pourraient ébranler les certitudes. Qu’il soit celui de Charles Sanders Pierce, de William James ou de John Dewey, le pragmatisme est d’une toute autre nature. Il est reconnu comme l’une des démarches philosophiques contemporaines des plus fécondes. Le pragmatisme de Dewey fait une grande place à l’expérience, à l’acceptation de faits et de résultats soumis à la sanction de la réflexion et à l’humanisme. C’est en mettant de côté les certitudes que la connaissance avance. Se déclarer « pragmatique » alors que l’on choisit d’être simplement concret ne laisse aucune place au doute. On s’en doutait.


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