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Anne Coffinier : «Avec Najat Vallaud-Belkacem, l’Éducation nationale reçoit le coup de grâce»

Publié le 01 octobre 2015 par Lecriducontribuable

Enquêtes du contribuable Ecole Entretien extrait des Enquêtes du contribuable #13, octobre/ novembre 2015.En kiosque. Numéro disponiblesurnotre boutique en ligne. Anne Coffinier nous a accordé cet entretien courant juillet. Nous le diffusons ici dans son intégralité.

Quel rôle attribuez-vous à l’école ?

À l’école, il s’agit d’aider les élèves ayant les meilleurs résultats scolaires à poser des choix d’études à la mesure de leurs capacités et de les accompagner de sorte qu’ils fassent fructifier leurs talents sans forme d’autocensure. Par définition, seul un petit nombre (c’est-à-dire une élite, horresco referens) fera l’objet d’une attention plus particulière au regard de ses aptitudes et de sa détermination à étudier. Il est parfaitement absurde qu’il soit de nos jours devenu politiquement incorrect, pour l’institution scolaire, de chercher à repérer et à cultiver particulièrement une élite.

➜ Quelle est votre définition de la méritocratie ?

C’est un système permettant aux individus les plus doués d’accéder aux fonctions les plus élevées de la société, et ce, quelles que soient leurs origines sociales. C’est en ce sens que la méritocratie permet le renouvellement des élites, afin que le pouvoir dans les différents domaines constitutifs de la vie sociale soit toujours l’apanage des plus capables. Mais notons bien que la méritocratie scolaire n’est pas la seule forme de méritocratie, car il y a des formes puissantes d’intelligence et de créativité qui ne sont pas du tout susceptibles de se déployer dans le cadre scolaire.

Pourquoi l’école se refuse-t-elle à faire la promotion des meilleurs ?

Au nom de l’égalitarisme ambiant, et du refus d’admettre l’existence de différences d’aptitudes entre les enfants (c’est-à-dire en fait du refus de l’idée de nature), l’école est priée de traiter tous les élèves de la même manière, sans prendre en compte leur niveau et leurs besoins réels. Cet a priori idéologique a cassé l’ascenseur social et conduit aux progrès effrayants de la reproduction des prétendues élites. Plus que jamais l’école française est une machine à classer, mais plus sur la base de ce qui est enseigné à l’école – et c’est tout le scandaleux paradoxe !

Puisque l’école n’apporte qu’une fade nourriture, c’est l’influence familiale qui devient le facteur discriminant principal, comme le montre l’étude PISA relative à la France, « cette championne des inégalités ». Aujourd’hui, il est clair que l’institution scolaire ne se voit plus confier pour mission de sélectionner les meilleurs pour les faire davantage travailler tout en donnant de solides connaissances fondamentales aux autres.

Ce système de pédagogie « non discriminante » a-t-il permis d’obtenir une égalité des chances ?

Non. Il a produit l’effet inverse, un système où les élites se reproduisent. En prétendant donner à tous la même chose, elle désespère les plus faibles, ennuie les esprits originaux ou les plus doués pour in fine conduire chaque année près de 40 % d’une classe d’âge à l’échec scolaire ! Ce n’est pas l’introduction de mesures de « discrimination positive » façon Richard Descoings [directeur de Sciences-Po Paris de 1996 à 2012, année de sa mort, NDLR] qui y changera quelque chose. Plus les hommes politiques prétendent mettre l’école au service de l’égalité des chances, plus ils la détournent de sa mission première, et plus elle devient une inhumaine machine à sélectionner au regard de critères exogènes.

Pour cacher cet échec, on supprime les épreuves discriminantes sous le prétexte bourdieusien qu’elles valideraient essentiellement la maîtrise d’une culture bourgeoise ; on vide de leur substance les examens nationaux (en les surnotant et en donnant à la notation continue une part toujours plus élevée), on supprime le redoublement et, demain, on supprimera les notes et les examens nationaux.

Quel est votre sentiment sur la réforme du collège ?

najat vallaud-belkacemCette mesure s’inscrit dans la continuité de l’œuvre de destruction de l’Éducation nationale menée grosso modo par les gouvernements successifs depuis la loi Haby [mise en place du collège unique en 1975, NDLR]. Vincent Peillon avait permis à tous de saisir le fondement idéologique sur la base duquel ces réformes étaient menées.

Avec Najat Vallaud-Belkacem, l’Éducation nationale reçoit le coup de grâce. En cassant le cursus bilangue et le latin-grec, elle ôte à l’Education nationale parmi les derniers arguments qui lui restaient pour maintenir de bons élèves en son sein. Tout se passe comme si cette ministre voulait vider l’enseignement public au profit des écoles réellement libres ! Par ce terme, je veux désigner les écoles indépendantes (hors contrat), qui sont les seules à n’être pas contraintes d’endosser les choix faits par l’Éducation nationale en matière d’organisation et de contenus des programmes.

On vous dit en guerre contre l’école « idéologique ». De quoi s’agit-il ?

Je ne suis en guerre contre personne. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour se rendre compte que l’État qui choisit les programmes et forme les enseignants se fonde sur une idéologie pédagogique qui conduit au nivellement par le bas et non à l’éducation de personnes solides et libres. Cette idéologie à l’œuvre nuit aussi, grandement, aux professeurs.

« Actuellement, les enseignants sont infantilisés. Il est temps de passer à une école où les professeurs seraient libres de leurs moyens pédagogiques mais comptables des résultats. »

C’est-à-dire ?

Actuellement, les enseignants sont infantilisés. Ils font l’objet d’une réelle surveillance des pédagogies qu’ils mettent en œuvre (notamment l’année de leur titularisation ou s’ils ont la réputation d’être dissidents dans leur pédagogie) mais ne sont jamais évalués ou managés dans leur carrière par rapport au niveau et à la progression de leurs élèves. Il est temps de passer à une école où les professeurs seraient libres de leurs moyens pédagogiques mais comptables des résultats.

La formation des jeunes professeurs devrait être confiée aux professeurs qui ont prouvé leur valeur à travers les progrès qu’ils ont su faire accomplir à leurs élèves. De même, des directeurs d’école ayant de mauvais résultats devraient être remplacés par des directeurs ou professeurs d’école ayant fait montre de leur savoir-faire. Je parle en taux de progression des élèves entre le début et la fin d’année et pas uniquement en niveau absolu, bien sûr.

En 2004, vous avez créé l’association Créer son école, puis en 2007 une Fondation pour l’École. De quoi s’agit-il ?

Fondation pour l'ÉcoleNotre but était de faciliter le déploiement d’écoles libres, de procéder différemment de ce que fait l’Éducation nationale, pour mieux répondre à la réalité et à la variété des besoins et des aptitudes des enfants. Aujourd’hui il y a près de 700 groupes scolaires indépendants qui scolarisent plus de 60 000 élèves. A la rentrée de 2014, 51 nouvelles écoles ont ouvert leurs portes en plus des écoles existantes, soit une croissance de 8 % l’an.

Depuis 2007, nous formons les maîtres d’école primaire dans l’Institut libre de formation des maîtres, et nous travaillons actuellement, avec le philosophe Philippe Nemo [Il est notamment l’auteur de « Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ? La dérive de l’école sous la Ve République ». Vous retrouverez l’interview de Philippe Nemo dans ce numéro, NDLR], au lancement pour la rentrée 2016 d’une « École professorale de Paris » où les meilleurs professeurs actuels s’attacheront à former d’excellents professeurs du secondaire.

Certaines des fondations abritées, comme la Fondation Espérance banlieues, s’appliquent tout particulièrement à développer des écoles indépendantes dans les quartiers défavorisés de ZEP : Montfermeil, Marseille Nord, Asnières Nord, Roubaix…

➜ Pensez-vous qu’il faille introduire une évaluation des enseignants dans le secondaire comme certains pays dont les États-Unis le font pour l’enseignement supérieur ?

Non. Il y a plus important à accomplir, à commencer par publier, école par école, les résultats d’examens nationaux annuels qu’il faudrait instaurer pour chacun des niveaux, puis confier la direction des établissements peu capables de faire progresser leurs élèves à des directeurs ou des professeur qui ont obtenu des résultats.

Il faudra bien sûr permettre à ces directeurs de pouvoir faire appel à des professeurs volontaires et de se séparer de ceux qui ne sont pas prêts à changer leurs habitudes, pour le bien des enfants. Les écoles à la traîne pourraient même être placées sous la tutelle d’établissements obtenant de bons résultats afin de les aider à redresser la barre. Une telle politique permettrait d’avoir une qualité de service public bien moins hétérogène d’une école à l’autre.

Êtes-vous favorable à la fin du redoublement ?

Je n’ai pas d’avis de principe sur la question. Il me semble que l’on ne doit pas en faire une question politique. Cela doit être décidé souverainement par les professeurs, au cas par cas. Il faudrait en revanche mettre en place un système de repérage et de soutien scolaire précoce pour traiter les difficultés d’apprentissage dès leur apparition, donc dès la grande section de maternelle ou le CP le cas échéant. Bref, plutôt déployer une pédagogie préventive.

➜ Que pensez-vous du port de l’uniforme à l’école ?

J’y suis favorable, ayant pu en expérimenter la valeur en Grande-Bretagne mais aussi dans les écoles indépendantes. Pour des raisons sociales évidentes mais aussi parce que cela aide les enfants à s’arracher au matérialisme et leur permet de mieux se concentrer sur leurs études. L’uniforme concourt aussi au développement d’un certain esprit de corps utile,  pour stimuler l’envie de réussir. L’uniforme peut être un vrai outil pédagogique et aider à revitaliser de précieux rites de passage. C’est notamment le cas dans bien des écoles britanniques où les élèves troquent leur bermuda contre un pantalon long lorsqu’ils passent du primaire au secondaire. Ces traditions ont du bon.

« On dit que la rue de Grenelle est codirigée par les syndicats. C’est faux. Ils dirigent ce ministère. »

Est-il encore possible de réformer l’Éducation nationale ?

J’en doute. Cette réforme ne serait possible que si le chef de l’État décidait d’en faire la priorité de son mandat et apportait un appui inconditionnel à son ministre, ce qui ne s’est jamais vu. Une telle réforme ne pourrait aller qu’avec une refonte de la place des syndicats dans notre paysage institutionnel français. Faute d’un engagement aussi radical, les tentatives de réforme de l’Éducation nationale sont vouées à l’échec. On dit que la rue de Grenelle est codirigée par les syndicats. C’est faux. Ils dirigent ce ministère. Ils décident, par exemple, des promotions et des mutations du personnels des enseignants, des dispenses d’enseignement accordées à certains professeurs… Au sommet du ministère on trouve aussi une caste d’inamovibles qui font la pluie et le beau temps au-delà des apparentes alternances.

Vous prônez l’ouverture d’établissements hors contrat, mais comment évaluer la qualité de cet enseignement ?

Par la liste d’attente pour y entrer ! Une école indépendante n’ayant d’autres subsides que les cotisations des parents et les dons privés, son existence même est un assez bon indicateur de sa qualité.

En outre, les excellents résultats aux diplômes d’État sont un autre mode d’évaluation, même si la surnotation généralisée rend cet indicateur moins intéressant. C’est pourquoi il est urgent de créer des compositions nationales de fin d’année qui permettraient une évaluation régulière et objective du niveau absolu et relatif des élèves. Cette réforme gagnerait à s’appliquer à l’ensemble des élèves, et non pas seulement à ceux des établissements hors contrat.

Il ne s’agit pas de faire des QCM mais de vraies « compositions » permettant de vérifier la maîtrise profonde des connaissances acquises depuis le début jusqu’à la date de l’examen. Une agence d’évaluation indépendante pourrait utilement être substituée à l’Éducation nationale pour organiser et traiter ces tests annuels.

Êtes-vous favorable au financement public des écoles hors contrat ?

Oui, c’est à l’évidence une question de justice, les citoyens choisissant des écoles privées n’étant pas des sous-citoyens qu’il convient de punir pour leur indépendance d’esprit à l’égard de l’État. Si financement il y a, il ne doit pas se traduire en salaires versés par la puissance publique aux enseignants, mais être perçu par les établissements scolaires au prorata du nombre d’élèves qu’ils accueillent.

La contrepartie de ces financements doit être raisonnable pour ne pas supprimer tout l’intérêt des écoles indépendantes : l’attribution du financement public doit être subordonnée à une obligation de résultats et pas de moyens. De 20 à 30 % des programmes pourraient ainsi être adaptés en fonction des besoins et du projet des établissements. Le directeur devrait pouvoir composer lui-même son corps professoral. Plutôt qu’un forfait unique, il faudra privilégier un mode de financement pluriel public/privé pour éviter que les écoles indépendantes ne soient tentées de dénaturer leur projet par souci de complaire au bailleur de fonds.

« L’école est un lieu à réinvestir, c’est une nouvelle terre de mission. C’est un lieu où l’élite intellectuelle, spirituelle et morale du pays doit s’investir de toute urgence si elle aime son pays. »

Pourquoi limiter à 20 / 30 % la partie du programme laissé au choix des écoles hors contrat ?

Toute demande de financement public à des contreparties. Mais tout dépend de la nature des programmes officiels. Aujourd’hui, ils sont bavards, idéologiques et trop souvent remaniés. Si demain, ils redeviennent un socle stable et raisonnable la question sera différente. Dans tous les cas, il convient de veiller à ce que l’enseignement reçu dans une école libre permette à un enfant qui en sortirait en fin du primaire ou du collège de poursuivre sa scolarité sans difficulté dans un établissement ordinaire. C’est un équilibre à trouver entre une nécessaire distance à prendre par rapport à des programmes insuffisamment cohérents et la contrainte de mobilité des élèves.

Quelle est votre position vis-à-vis de l’enseignement à domicile ?

Compte-tenu de la dégradation de l’Éducation nationale, certains parents recourent à cette formule et je ne vois pas au nom de quoi leur jeter la pierre. Les écoles publiques et privées pourraient faire davantage pour ces « homeschoolers » comme dans certains États des États-Unis, où les enfants qui sont scolarisés à domicile peuvent participer à la vie des écoles publiques (accéder aux équipements, participer à des tournois…). La France est très en retard sur ce plan aussi.

 ➜ L’enseignement hors contrat est-il compatible avec des valeurs religieuses ?

Évidemment. La distinction entre écoles laïques publiques d’un côté et écoles confessionnelles privées de l’autre ne va pas de soi. Si le citoyen est libre et que l’éducation est un aspect important de sa liberté, il doit pouvoir choisir l’école de son choix sans que l’État n’exerce sur lui de chantage financier.

En Grande Bretagne, la plupart des écoles confessionnelles sont…. publiques. Ce qui importe donc c’est de faire une différence entre les écoles qui abêtissent et embrigadent et celles qui apprennent aux élèves à réfléchir, à faire usage de leur raison. Et cette distinction ne se confond pas avec la caractère confessionnel, ou non, des écoles. L’Université est fille de l’Eglise catholique en France, preuve que la Raison y a trouvé un terreau fertile.

➜ Craignez-vous la disparition des examens traditionnels ?

Certains examens existent encore sur le papier, mais ont déjà disparu dans les faits. Que penser de la valeur du bac quand l’État se fixe pour objectif d’obtenir un taux de réussite au bac toujours plus élevé, par exemple 87,8% en 2015 ? Que penser de ces copies dont la moyenne est fixée avant même qu’elles aient été corrigées ? Il est clair qu’on marche droit à la généralisation de la notation continue, ce qui signe la mort du caractère national du diplôme du baccalauréat.

Voyez-vous poindre un facteur positif dans l’environnement scolaire actuel ?

Oui, je vois surgir une nouvelle génération de professeurs, souvent hautement diplômés et d’une grande liberté d’esprit et dotés d’un haut sens des responsabilités. Ils ont compris que la réussite du renouvellement de l’éducation scolaire conditionne l’avenir même de notre pays. L’école est un lieu à réinvestir, c’est une nouvelle terre de mission. C’est un lieu où l’élite intellectuelle, spirituelle et morale du pays doit s’investir de toute urgence si elle aime son pays. Et je crois que c’est ce qui est en train de se passer.

Propos recueillis par Didier Laurens


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