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Journal décalé de septembre, au Pays Basque

Publié le 02 octobre 2015 par Francisrichard @francisrichard
Journal décalé de septembre, au Pays Basque

Prendre des notes au jour le jour, de préférence dans un cahier d'écolier à spirales, est contre ma nature indisciplinée. C'est pourquoi j'ai tant d'admiration pour les diaristes. Ils font ce que je suis incapable de faire. Je ne suis capable que d'écrire après coup: je rédige alors quelques pages, non pas sur le moment ni sur le lieu même, mais en décalage avec le temps et l'espace.

En 1961, le maire de Saint Jean-de-Luz, Pierre Larramendy, institue une grande semaine de septembre, pendant laquelle, sur un thème choisi, sont donnés des concerts, des représentations de pièces de théâtre, des conférences. Cette semaine culturelle de septembre n'existe plus, elle n'aura duré qu'une décennie, mais j'ai pris le pli d'aller me ressourcer là-bas, chaque année, pendant une semaine de ce mois-là.

Journal décalé de septembre, au Pays Basque

Depuis six ans, je passe ma semaine de septembre dans la maison que j'ai acquise sur la colline de Sainte Barbe. Pour être exact, il faudrait dire demi-maison, puisque je ne dispose que de deux niveaux sur quatre de cette demeure basque. Qui s'appelle Etche Alegera, ce qui signifie maison heureuse. Le fait est que j'ai beaucoup de bonheur à y passer quelques jours, plusieurs fois par an, dès que j'en ai le loisir.

Je pars donc là-bas la semaine qui suit le Jeûne fédéral. Ce qui correspond au changement de saison, à l'équinoxe, et à de grandes marées. A cette époque-là de l'année, le temps est encore plus incertain que d'habitude au Pays Basque, ce qui n'est pas peu dire, mais cela m'est égal. Car ce n'est pas le soleil que je recherche, c'est la mer baudelairienne, variation salée de mon lac préféré.

Journal décalé de septembre, au Pays Basque

Lundi 21 septembre 2015

Cette année, l'eau est déjà froide. Du moins, pour ma chétive personne. La température de l'eau est en effet de 20°C. Ayant perdu près de 20% de ma masse initiale au cours des derniers dix-huit mois et n'ayant plus que des muscles sur mes os, je suis désormais moins résistant au froid que je ne l'étais naguère, surtout après avoir nagé durant 40 minutes.

Aussi me suis-je équipé cette année d'une combinaison dans un magasin dont l'enseigne évoque une discipline combinant dix épreuves sportives. Je l'étrenne aujourd'hui. Cette combinaison est en fait du genre de celles qui sont utilisées par les surfeurs. Elle permet d'être dans l'eau pendant tout le temps que l'on veut, à des températures comprises entre 17 et 22°C. Je pourrai nager dans l'océan atlantique en automne et au printemps.

Enfant, j'étais rachitique, ce que je ne suis pas. A quatorze ans, je ne pesais guère plus de trente-cinq kilos... Et je me souviens que je grelottais, en plein été, quand j'allais avec mes parents me baigner à la plage de Socoa, toute proche.

Journal décalé de septembre, au Pays Basque

Mardi 22 septembre 2015

Demain matin, c'est l'équinoxe d'automne. Aujourd'hui le vent souffle en rafales. Pour aller à la Grande Plage de Saint Jean-de-Luz, je revêts un coupe-vent. Le bas de mes jeans est trempé. La pluie tombe presque à l'horizontale. Pour me changer je crois être à l'abri sous l'auvent d'une cabane de location de planches pour le paddle et le surf. Je me trompe. Mon ticheurte trempé rejoint mes jeans tout aussi trempés dans mon cornet du Livre sur les quais -> Morges.

S'il y avait une surveillance, le drapeau rouge flotterait sur cette marmite... Je n'en ai cure. Et j'ai tort. La mer est houleuse. Je me mets à l'eau. Je commence à nager. Très vite, je bois la tasse que me servent les vagues. Une fois. Deux fois. Trois fois. Péniblement je parviens à faire la moitié de mon parcours habituel, l'aller et retour entre la digue aux chevaux et la digue de l'entrée du port. A la quatrième tasse, j'abandonne le crawl pour la brasse et refais le chemin inverse, frustré.

Journal décalé de septembre, au Pays Basque

Georges Brassens, dans sa Supplique pour être enterré à la plage de Sète, évoque Le cimetière marin de Paul Valéry, lequel commence par ces vers célèbres: 

Ce toit tranquille, où marchent des colombes,

Entre les pins palpite, entre les tombes;

Midi le juste y compose de feux

La mer, la mer, toujours recommencée

O récompense après une pensée

Qu'un long regard sur le calme des dieux!

Brassens exprime ainsi sa dernière volonté:

Déférence gardée envers Paul Valéry,

Moi l'humble troubadour, sur lui je renchéris,

Le bon maître me le pardonne,

Et qu'au moins si ses vers valent mieux que les miens,

Mon cimetière soit plus marin que le sien,

Et n'en déplaise aux autochtones.

Alors que je me trouve dans la tourmente, seul dans la baie luzienne, je pense à un autre écrivain, Pierre Benoit. Il est lui enterré à Ciboure et son cimetière est aussi marin que celui de Paul Valéry. Sur sa tombe est sculpté un réceptacle avec cette inscription:

L’eau de la pluie se rassemble au fond de cette coupe et sert à désaltérer l’oiseau du ciel.

Je me dis que, si je sombrais aujourd'hui dans les abîmes océaniques du golfe de Gascogne, mon cimetière serait plus marin que les leurs et que je nourrirais les poissons (mon signe zodiacal); qu'il serait davantage encore marin que celui envisagé par Brassens au bord du golfe du Lion, mais qu'il serait moins source de fantasmes que le sien:

Et quand, prenant ma butte en guise d'oreiller,

Une ondine viendra gentiment sommeiller

Avec moins que rien de costume,

J'en demande pardon par avance à Jésus,

Si l'ombre de ma croix s'y couche un peu dessus

Pour un petit bonheur posthume.

Journal décalé de septembre, au Pays Basque

Mercredi 23 septembre 2015

La coupe du monde de rugby se déroule ces jours-ci. Au Pays Basque, c'est un sport qui est pratiqué dès le plus jeune âge. En passant devant la vitrine de Quinze, la boutique de vêtements de Serge Blanco, en haut de la rue Gambetta, un peu avant le boulevard Thiers, je pense avec émotion à ce meilleur joueur français de rugby de tous les temps. Sa mère était basque...

Ce soir la France affronte la Roumanie...

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Jeudi 24 septembre 2015

Je me trouve à Bayonne, pour mon pèlerinage rituel à la maison où est né Frédéric Bastiat, plus connu aux Etats-Unis qu'en France. Ce qui vérifie l'adage que nul n'est prophète en son pays. Depuis le temps que je me rends dans cette ville, qui a donné son nom aux baïonnettes, fabriquées jadis dans son arsenal, j'ignore qu'il y existe un jardin botanique.

C'est en me promenant tout près du Château Vieux, au pied de ce qui reste des remparts de la ville , que je découvre ce jardin précieux, qui m'évoque celui de Monaco. Il occupe une situation particulière puisqu'il est justement juché sur un des remparts. On y cultive des espèces rares et il s'y trouve des constructions en bois inspirées des jardins japonais, ponts et portiques...

Journal décalé de septembre, au Pays Basque

Vendredi 25 septembre 2015

Près du Grand Hôtel de Saint Jean-de-Luz, je m'attarde dans la contemplation d'une sculpture d'art contemporain, placée là, en 2006, par la ville, au milieu de palmiers. C'est une oeuvre du luzien Edouard Solorzano, 78 ans, qui n'est pas seulement sculpteur, mais peintre, potier, poète...

Cette sculpture porte le titre d'Ama Lur, ce qui signifie Terre Mère. Ama Lur est une entité de la mythologie basque. C'est un ventre, symbole d'énergie, qui enfante chaque jour du soleil, Iguzki, et de la lune, Ilargi...

Journal décalé de septembre, au Pays Basque

Samedi 26 septembre 2015

La plage d'Hendaye me fait penser aux plages de la Mer du Nord, celles d'Ostende ou de Knokke-le-Zout. C'est une plage de sable fin, longue de trois kilomètres. Il faut marcher indéfiniment dans l'eau, à marée basse, pour avoir de l'eau jusqu'à la taille.

Cette plage me fait également penser au plat pays qui est le mien et où je suis né. Comme mon lieu de naissance, Uccle, fait aujourd'hui partie de la région Bruxelles-Capitale, il est officiellement bilingue.

Mon grand-père maternel, qui était flamand, me considérait comme un zinneke, c'est-à-dire comme quelqu'un d'origines mélangées, ma mère étant donc flamande et mon père français. A l'origine, les chats bâtards étaient appelés ainsi. On les noyait dans la Senne, qui traverse Bruxelles, pour s'en débarrasser...

Journal décalé de septembre, au Pays Basque

Dimanche 26 septembre 2015

Dans l'église Saint Jean-Baptiste de Saint Jean-de-Luz, où s'est marié le roi Louis XIV avec l'infante d'Espagne Marie-Thérèse, j'assiste à la messe du soir. Mon oeil est irrésistiblement attiré par les bannières de la confrérie des corsaires de la ville. Et, cette fois, je pense inévitablement aux pirates d'Ouchy...

On est pourtant prié de ne pas confondre corsaires et pirates. Les premiers seraient légaux, observeraient les lois de la guerre et attaqueraient, uniquement en temps de guerre, les navires battant pavillons ennemis. Les seconds seraient de purs et méchants bandits... Il n'empêche que les deux sont des prédateurs...

A la fin de la messe, le chant de sortie basque, dédié à Marie mère du ciel, est rythmé par ce refrain mélodieux:

Agur Maria, dena grazia, miresgarria, zoin ederra,

Gure bihotzak hobenetarik, garbi garbia, zuk begira.

Francis Richard


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