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Le mouvement social chez Air France se durcit face à la menace des licenciements

Publié le 06 octobre 2015 par Blanchemanche
#AirFrance #travailleursenlutte
05 OCTOBRE 2015 |  PAR MATHILDE GOANECDeux directeurs en fuite, évacués par les gros bras du siège social d’Air France, chemises et costumes en lambeaux. Si l’image est terrible pour les syndicats d’Air France, elle met surtout en lumière la frustration du personnel, sous la menace de 2 900 licenciements. La colère était palpable dès l'arrivée des premiers manifestants, lundi matin devant le siège social d’Air France, à l’occasion du comité central de l’entreprise. Principale cible des slogans, des cris et des pancartes brandies par les manifestants, le PDG de la compagnie, Alexandre de Juniac, qui vient de mettre fin aux négociations avec les syndicats et de dévoiler son plan pour redresser Air France : 2 900 suppressions d'emploi, et la suppression de 10 % de ses vols long-courriers. En fin de matinée, la situation a largement dégénéré sur le parvis de l'entreprise. Plusieurs manifestants se sont engouffrés dans l’immeuble, investissant la salle de réunion où se déroulait le comité central. L’arrivée des salariés, très remontés, a provoqué le départ précipité des membres de la direction, dont le DRH Xavier Broseta ainsi que le numéro 2 de la compagnie, responsable des vols long-courriers, Pierre Plissonier. Poursuivis par les manifestants, les deux hommes ont finalement été évacués par des vigiles, sautant par-dessus les grilles qui encadrent le siège social, leurs chemises en charpie.Le DRH d'Air France violemment pris à partie par les manifestantsLe DRH d'Air France violemment pris à partie par les manifestants © ReutersLes responsables syndicaux ont tous condamné ces débordements. Ils savent qu’ils entachent un peu plus un mouvement largement décrédibilisé dans l’opinion et qu’ils accentuent la « fracture syndicale », selon Ronald Noirot, secrétaire général de la CGC-CFE, première organisation chez Air France, qui avait choisi de ne pas rejoindre le mouvement de lundi. C’est aussi une pierre de plus dans le jardin de la direction, qui appuie sans vergogne sur les divisions, la principale étant celle opposant les pilotes et les autres, stewards, hôtesses, personnel au sol.Longtemps très proche des pilotes et de leur très puissant syndicat (le SNPL), l’entreprise a effectivement choisi ces dernières années de renverser la vapeur et d’en faire le symbole d’un salariat nanti, inconscient des difficultés que rencontre la compagnie nationale française. Après un précédent plan adopté dans la douleur l’an dernier, la direction veut désormais faire naviguer les pilotes 100 heures de plus par année, et baisser de 17 % les salaires. Comme l’an passé, Alexandre de Juniac, PDG d’Air France KLM, a conditionné la réussite de « Transform 2020 », son plan stratégique, à la signature du SNPL. Les politiques ont embrayé de concert. Dimanche, le ministre des finances, interrogé par les journalistes d’Europe 1, d’iTélé et du Monde a déclaré que « quand le dialogue est bloqué par une minorité sur des visions purement individuelles et corporatistes, oui ça peut mettre en danger l'ensemble ». Même discours chez Manuel Valls, qui a appelé à la« responsabilité » des pilotes pour éviter la disparition de la compagnie (dont l’État détient presque 16 %).  « S’en prendre aux dirigeants de l’entreprise, ce n’est pas la solution et nous avons multiplié les appels au calme pour ne pas gâcher cette journée, commente Véronique Damon, secrétaire générale du SNPL, après les tensions du matin. Mais il faut dire aussi que la direction a tout fait pour faire monter la tension, en contraignant unilatéralement la négociation et en jouant les divisions. Or, contrairement à l’an passé, et même si ce n’est pas tout à fait notre culture, nous avions essayé cette fois-ci de créer les conditions d’une intersyndicale efficace. » Une position que confirme Mehdi Kemoune, secrétaire général du syndicat CGT d’Air France. « Les pilotes ont compris qu’ils ne pouvaient plus faire cavalier seul. Ils étaient là aujourd’hui avec nous. »Au micro, avant les échauffourées, le président du SNPL, Philippe Evain, a effectivement tenté la carte du collectif, conscient du passif qui oppose traditionnellement les « seigneurs de l’aviation » au reste du personnel d’Air France : « Le problème d’Air France n’est pas celui d’une catégorie. On nous a mis un pistolet sur la tempe. Les pilotes ne signeront pas l’accord, mais surtout on ne signera rien sur le dos des autres. » Le syndicat minoritaire chez les pilotes, Alter, proche de Solidaires, est sur la même ligne. « On ne peut pas faire peser les problèmes de notre réseau aérien sur la seule tête des pilotes, c’est absurde ! » assure Alexandre Rio.  François Pottecher, président du SNPL Transavia, la compagnie low cost d’Air France, juge« lamentables » les débordements de lundi, mais comprend la colère des salariés et la nécessité d’un front commun. « Le gros problème, c’est que la campagne médiatique pour charger les pilotes a très bien fonctionné, mais il n’y a pas eu de vraies négociations. On a tout fait, selon moi, pour en arriver au plan B, c’est-à-dire les licenciements. L’unité, dans ce contexte, va être difficile à tenir car si le nombre de pilotes est relativement incompressible, le nombre de personnel au sol chez Air France en comparaison de ses concurrents est phénoménal. Donc c’est là que ça va être le plus dur. » Les chiffres fournis lundi matin par la direction vont dans ce sens : suppression de 1 700 emplois au sol, 900 chez les hôtesses et stewards et 300 chez les pilotes. « Cette opposition, c’est de l’affichage. Le but, c’est de dire que personne, même pas les pilotes, n’est épargné, et qu’il va falloir plier. » 

« La direction refuse de penser global »

Alexandre de Juniac, malgré les violences, a rappelé que sa porte « était toujours ouverte » aux négociations, tout en égrenant inlassablement les difficultés auxquelles est confrontée sa compagnie, et qui justifient selon lui les coupes dans la masse salariale. Comme le rappelait Mediapart l’an dernier, l’entreprise est prise en tenaille : le court et moyen-courrier est très fortement concurrencé par les compagnies à bas coût telles que Ryanair et EasyJet. La création de Transavia, filiale low cost du groupe, ne suffit pas à faire jeu égal. À l’autre bout de l’échelle, le long-courrier, qui fait la fierté des personnels et que le groupe considère comme sa spécialité et sa vraie image de marque, est attaqué par les compagnies des pays du Golfe, comme Emirates ou Qatar Airways, fortement subventionnées.« Nous sommes d’accord pour faire des efforts, mais une telle baisse de salaire, ce n’est pas acceptable », plaide pourtant Véronique Damon. Pour la représentante syndicale, la stratégie de réduction des long-courriers est une « mort à petit feu d’Air France », qui « casse tout le réseau ». Mehdi Kemoune, de la CGT, réclame lui aussi à grands cris une « vraie stratégie industrielle ».« Les dirigeants syndicaux ne veulent pas perdre leurs avantages, c’est clair, explique un expert du dossier Air France qui souhaite rester anonyme. Mais la direction refuse de penser global. Tout ce qu’elle propose, c’est un régime low cost qui passe par une réduction des effectifs mais ils ne gagneront jamais à ce jeu-là. » Ce n’est d'ailleurs pas la première fois qu’Air France taille dans son personnel. Plusieurs dizaines de milliers d’emplois ont déjà disparu cette décennie, par les plans de départs volontaires et le non-remplacement des départs. Le manque de vision est aussi un reproche fait à l’État. « La stratégie gouvernementale, grossièrement, c’est Air France contre les Rafale, se plaint Alexandre Rio du syndicat Alter. On décore les patrons d’Emirates, on vend des frégates et des Rafale aux pays du Golfe, et des Airbus à EasyJet ! Forcément, nous avons le sentiment de ne pas être soutenus. »Les syndicats ne digèrent pas non plus l’attribution de nouveaux espaces de vol aux compagnies du Golfe à Roissy. L’augmentation des taxes aéroportuaires, alors même qu’Aéroports de Paris, détenu par l’État, est archi-bénéficiaire, fait également grincer des dents. « On augmente ici alors même qu’à Amsterdam, deuxième hub d’Air France-KLM, les taxes baissent de 7 %, c’est incompréhensible », analyse Véronique Damon. « Il faudrait des capitaux frais, et explorer d’autres pistes de financement, poursuit l’expert interrogé par Mediapart. Aéroports de Paris peut être une source mais on n’y touche pas, c’est inexplicable. » Véronique Damon sait que le mouvement social chez Air France n’est pas populaire, mais s’entête : « Le salaire d’un pilote dans le prix d’un billet, c’est 7 %. Je sais que c’est beaucoup, mais il reste 93 % d’autres pistes, pourquoi ne pas s’y atteler ? »Pour le moment, rien ne dit que le mouvement va dégénérer en grève longue, comme l'an passé. Le SNPL n'en veut pas, et l'intersyndicale hésite. Celle de l'automne dernier a coûté plus de 100 millions d'euros à Air France, alors même que l'entreprise renouait pour la première fois avec les bénéfices. Pour pousser au retour des négociations, Manuel Valls a une carte en main. Son conseiller social Gilles Gateau vient de rejoindre Air France… à la direction des ressources humaines.http://www.mediapart.fr/article/offert/5bb20884f80caa6a249b50bb6c54bb97

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