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Les pairs et le cluster (5. Du Journal total aux tentations obsidionales, le musée des risques du numérique scientifique)

Publié le 08 juin 2008 par Pierre Mounier

Ce billet constitue la fin d'une série de billets sur "Les pairs et le cluster". Il présente les risques sous-jacents aux nouvelles approches possibles de l'évaluation de la recherche. Les billets précédents étaient les suivants :

1. Les rapports sur les revues

2. Les faiblesses des enquêtes

3. Ouvrir les horizons

4. Pouvoir manipuler le système, c'est se l'approprier

La tentation totalitaire est un risque qu'il ne faut pas négliger. La puissance des clusters enclenche des processus qui peuvent étouffer, littéralement, le paysage scientifique. Entre l'idée d'un corpus circonscrit, mais ouvert et pluriforme, et celle d'un système total, dans lequel on enfermerait à double tour toute la littérature scientifique, il n'y a qu'un pas que certains esprits caressent régulièrement. En effet, quoi de plus tentant pour le pilote national, européen ou mondial de la recherche, que de constituer un « guichet unique » à son échelle ? Pourquoi pas, au fond, une revue unique, qui contiendrait toute la littérature scientifique, dans un bel objet brillant, sans aspérité et sans couleur, un Journal total qui serait régulé par un collège des 100 meilleurs chercheurs du monde ?

La défaite des scientifiques est un autre risque majeur. Ils ont inventé Internet. Mais leurs outils peuvent rapidement être dépassés par la vitesse et les masses critiques d'information mises en œuvre par les outils généralistes. Cela reviendrait à s'en remettre au Dieu Google/Amazon ou à leurs successeurs. De toute évidence, les sciences humaines et sociales sont, à l'heure actuelle, quasiment désarmées face à une telle puissance. Les masses critiques minimales semblent, en revanche, pouvoir être réunies par l'ensemble de la communauté scientifique via le protocole OAI-PMH et le mouvent de l'open access dans son ensemble.

La tentation obsidionale semble, aujourd'hui, moins puissante qu'au début des années 2000, mais on ne doit pas la négliger pour autant. En remettant en cause nombre des repères de l'écosystème éditorial traditionnel, Internet provoque une inquiétude légitime, qui peut se résumer en deux tendances majeures. D'une part, le « syndrôme wikipedia », considéré comme populiste et détruisant l'autorité du savant. D'autre part, l'exposition publique massive de débats scientifiques qui étaient, autrefois, confinés à des sphères plutôt fermées. Il semble difficile de placer ces espaces nouveaux en quarantaine, et les dynamiques qui les animent avec eux. Au contraire, la communauté scientifique semble en mesure de titrer parti du nouveau paysage éditorial qui se dessine en dehors d'elle, en y développant un entrisme assumé et de bon niveau scientifique. La triade généraliste « GAW » (Google/Amazon/Wikipedia) n'est pas impénétrable.

Enfin, les tentations technophobes et technocentrées sont les deux faces opposées d'un rapport malade à la technologie numérique. La tentation technophobe consisterait à ignorer la dimension technologique des processus en cours. Il ne s'agit pas d'apprendre à programmer, ni à encoder des textes en XML. Mais nier totalement la technicité des processus à l'œuvre revient à les subir. Cela reviendrait à renoncer à les penser et à les mettre au service de la recherche. A l'inverse, la tentation technocentrée consisterait à croire que les algorithmes, les grilles et les automates composent une vérité indiscutable, dépassant les humains qui les ont construits, offrant des raccourcis commodes pour faire et défaire les carrières scientifiques, d'un coup de dé lancé par une requête hasardeuse sur Google scholar et ses avatars.

Poursuivre l'alliance de humains avec les machines, dans un dialogue permanent et un esprit critique en éveil, c'est sans doute cela, l'alliance des pairs et des clusters.

Crédits photographiques : "Terracotta warriors", by Dondomingo, licence Creative commons.

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