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Une pelisse et un blazer

Par Obadia

« J’éprouvais une sensation de malaise. Un homme avait quitté deux personnes en leur disant : « À tout de suite. » On l’avait fait monter dans une voiture qui avait pris la direction de la Seine. Nous étions, elle et moi, les témoins mais aussi les complices de cette disparition. Tout cela s’était passé dans une me de Neuilly, près du bois de Boulogne, un quartier qui me rappelait d’autres dimanches… Je me promenais dans les allées du bois avec mon père et l’un de ses amis, un homme très grand, très mince, auquel il ne restait, d’une période plus faste de sa vie, qu’une pelisse et un blazer qu’il portait selon la saison. J’avais remarqué, à l’époque, combien ses vêtements étaient usés. Nous le raccompagnions le soir, jusqu’à un hôtel de Neuilly qui avait l’apparence d’une pension de famille. Sa chambre, disait-il, était petite mais assez confortable.

— À quoi penses-tu ?

Elle m’avait pris le bras. Nous longions la clairière aux pins parasols. En la traversant, nous serions arrivés plus vite à l’endroit où était garée la voiture. Mais il faisait trop noir et seul le boulevard Richard-Wallace était éclairé.

Je pensais à la silhouette de cet homme, à son sourire et à son visage à peine vieilli. Mais au bout d’un moment, on voyait bien qu’il faisait corps avec le blazer et la pelisse élimés et qu’un ressort, en lui, s’était brisé. Qui était-il ? Qu’avait-il bien pu devenir ? Il avait certainement disparu, comme l’autre, tout à l’heure. »

Patrick Modiano, Un cirque passe, Gallimard  ed, p.100, 1992


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