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440ème semaine politique: la France, de la fracture à la violence.

Publié le 10 octobre 2015 par Juan

440ème semaine politique: la France, de la fracture à la violence.

Crédit: DoZone Parody

C'est peut-être la troisième guerre mondiale. Mais pour l'heure, c'est surtout encore la crise et la stupéfaction. La France politique ne débat plus, elle s'invective. Et quand quelques salariés furibards déboulent pour lyncher le DRH d'une entreprise baptisée France, c'est la cata.  De la fracture à la violence, il n'y a qu'un pas que certains semblent emboiter avec plaisir et irresponsabilité.


Troisième guerre mondiale
Certains évoquent le début d'une troisième guerre mondiale.
La Russie a attaqué les rebelles syriens, sans distinction de savoir s'il s'agissait de Daech ou des rebelles anti-Daech. Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, Vladimir Poutine a aussi massé des troupes à la frontière afghane, devant la progression militaire des Talibans dans le Nord du pays. A Kundunz, une frappe aérienne américaine a détruit un hôpital tenu par MSF. C'est un crime de guerre, assurément, même si Barack Obama a présenté des excuses.
Plus loin en Irak, l'armée française a également bombardé des positions de l'Etat islamique.
La Turquie retombe dans la dictature et les combats intérieurs. Samedi 10 octobre, un attentat contre une manifestation pour la paix d'opposants au gouvernement fait 47 morts (bilan provisoire).
En Palestine et en Israël, les meurtres se succèdent aux assassinats, de part et d'autres.
En France, le pays se disloque sous le triple effet d'une crise qui dure, d'une déception politique qui se généralise et de l'agi-trop agressif de quelques minorités irresponsables.
Nadine et Claude
Toute la semaine, Nadine Morano, élue locale et ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, n'en finit pas de répéter combien "l'invasion islamiste de nos campagnes" l'indigne, et qu'elle avait raison de parler de "race blanche" la semaine précédente.
On a beau lui expliquer que l'espèce humaine n'est qu'une race, rien n'y fait. Le feuilleton fait les choux gras de la presse et des humoristes. Morano sait ce qu'elle fait. Et si Nicolas Sarkozy finit par lui retirer la tête de liste d'une liste régionale pour le scrutin de décembre, Morano a réussi son coup, creuser un peu davantage la digue qui sépare la République et de l'Immonde.
Nicolas Sarkozy fait des meetings, entre référendums internes contre les immigrés et saillie contre les réfugiés, il fait mine d'être satisfait de l'exclusion de Morano. Débordé sur sa propre droite, lui qui court après la Marine, il tente de contenir.
Un autre feuilleton, judiciaire celui-là, n'en finit pas de ravir les gazettes. La Justice française réclame une trentaine de mois en prison mais avec sursis et 75000 euros d'amende à l'ancien vizir de Sarko, Claude Guéant. C'est touchant et sympathique quand on sait qu'un cambriolage sans violence vous envoie habituellement quelques mois dans l'enfer d'une prison surpeuplée. L'ancien ministre de la police a piqué dans les caisses de la police, en cash et sans le déclarer, quand il était directeur de cabinet de Sarkozy à l'intérieur.
"France is in the air"
Lundi, une autre violence a stupéfait le pays. Un DRH la chemise arrachée, le regard hagard, évacué d'une salle de négociation. Nous sommes en 2015, vous êtes en 2015. Nous sommes la France, pays névrosé où la violence physique répond à la violence sociale. Les commentaires sont prévisibles. Une partie de la "vrauche" justifie l'acte violent, elle n'a pas le choix. La violence de l'acte, filmé et sur-diffusé, effraye les libéraux et les conservateurs.
Lundi, un comité central d'entreprise (CCE) à Air France a dégénéré. La direction annonce 2.900 suppressions de postes supplémentaires. Une cohorte de salariés font irruption et manquent de lyncher le directeur des Ressources Humaines qui fuit les lieux torse nu, la chemise arrachée. La photo de ce dernier escaladant le grillage de l'établissement frappe les esprits neo-conservateurs.

440ème semaine politique: la France, de la fracture à la violence.

© KENZO TRIBOUILLARD - LePoint

Air France est un symbole à plus d'un titre: elle a touché une centaine de millions d'euros de CICE depuis 2 ans, tout en supprimant 3.000 postes par an depuis 6 ans. L'Etat-actionnaire y est minoritaire à l'image du gouvernement de la République désormais incapable de réguler le pays; le dialogue social n'y existe plus, à l'image de ces syndicats non-représentatifs mais éructant et de ce MEDEF méprisant. La compagnie ne sait plus où voler entre low-cost et qualité, à l'image d'un pays en déperdition politique.
Face aux violences (7 blessés dont un vigile dans le coma), Nicolas Sarkozy parle de "chienlit", Manuel Valls de "voyous", Emmanuel Macron de "personnes stupides" pour désigner les agresseurs.  Ces trois-là pensent à leur propre chemise. Ségolène Royal, pourtant ministre, conseille à son collègue Macron d'"éviter les mots qui blessent". La presse commente de concert, à quelques rares exceptions gauchistes, pour fustiger les violences. A l'inverse, une part de la "vrauche" rejoint la CGT pour justifier. Sur Twitter, ça raille, moque, fustige ou applaudit. Twitter est toujours ce thermomètre désespéré enfoncé dans le cul des plus enragés.
Les cris d'orfraie contre ces violences sont aussi exagérés que les justifications contreproductives. Comprendre la rage et la colère est indispensable. Jean-Luc Mélenchon ne dit rien d'autre d'ailleurs en demandant d'avoir de la "compassion pour les travailleurs" menacés de licenciement et sous le coup de gel de salaire depuis 5 ans. Mais minorer voir excuser une tentative de lynchage, tranquillement depuis son clavier ou son salon, parait irresponsable quand on mesure l'état de fragilité politique et sociale du pays.
La bascule vers la violence n'arrange rien. La violence est facile. Elle est contreproductive puisqu'elle n'appelle aucune autre réponse que la violence d'Etat. La période actuelle est ainsi traversée par des colères, certaines sincères, d'autres cyniques.
La rage saine
Plus frappante, mais moins commentée, la longue interpellation d'un quarteron de dirigeants d'Air France, lors du même CCE,  par une hôtesse de l'air au bord des larmes et qui réclame de la considération, illustrait mieux que l'accès de violence irresponsable la rage sourde des salariés. La scène était spontanée, filmée par un collègue et non arrangée devant des médias. Cette sortie fait du bien en ce qu'elle exprime simplement, à l'abri du jeu médiatique mais aux yeux de tous en même temps grâce à sa publication sur les réseaux sociaux, la réalité de la violence sociale dans certaines entreprises.
On est loin des diversions démagogiques sur l'islam ou la fin des civilisations. On est au bureau, entre collègues. Certains sont cadres, d'autres pas. Certains vont conserver leur job, d'autres pas.

La France frontiste ?
Au parlement européen à Bruxelles, la délégation frontiste est quasiment au complet ce vendredi. Il y a du lourd dans l'hémicycle. Hollande et Merkel au micro, qui répondent aux interpellations des groupes parlementaires. En France, ces occasions de parole directe, contradictoire et publique entre le président et un élu de la République sont rarissimes.
Marine Le Pen, micro devant et sourire en coin, jette son discours à la face des impétrants avec sa violence habituelle. Elle traite Hollande de "vice-chancelier et administrateur de la province France". Elle s'accapare avec gourmandise l'entièreté du vocabulaire souverainiste et de la critique de gauche contre les ravages de l'euro. Les applaudissements sont maigres et limités au représentants de l'extrême droite européenne qui composent son groupe.
A Bruxelles devant Hollande, Marine Le Pen ment en criant qu'elle est "la représentante du peuple français." Faut-il rappeler qu'elle caracole en tête des sondages par dépits et abstention d'une majorité de nos concitoyens ? Que ses "25%" des suffrages au scrutin européen ne représentaient qu'une douzaine de pourcentage du corps électoral français ? Les Français ne sont pas devenus frontistes. Mais ils sont en passe de laisser les clés du pouvoir, local ou national, à l'Immonde, par dépit et abandon.
Bref, Marine Le Pen ce jour-là attaque à Hollande au nom du des extrêmes-droites européennes. Lequel lui répond, droit dans les yeux, avec une rage également sourde qui surprend l'auditoire.
François Hollande mouche Marine Le Pen.
"La seule voie possible pour celles et ceux qui ne sont pas convaincus de l’Europe, c’est de sortir de l’Europe tout simplement. Il n’y a pas d’autre voie. Celle-là est terrible, mais elle est celle de la logique. Sortir de l’Europe, sortir de l’euro, sortir de Schengen et même, si vous pouvez, sortir de la démocratie, parce que parfois, en vous entendant, je me pose cette question."
Les applaudissements sont nourris, même à droite.
Cette scène, inédite, illustre peut-être ce qui se prépare pour le second tour de la présidentielle de 2017. Hollande est loin d'être qualifié, sa popularité est au plus bas, comme celle de son rival de 2012, mais cet accroc était le premier échange direct entre les deux prétendants.
Ailleurs, un moment d'espoir. Une pétition contre le TAFTA, ce traité négocié clandestinement pour libéraliser davantage le commerce entre l'Europe et les Etats-Unis, a largement franchi le cap des 3 millions de signatures, dont 360.000 en France. Le collectif "stop Tafta" remet le texte et la liste des signataires à la Commission européenne.
Marine Le Pen n'a pas signé.
Qui en doutait ?
"Peut-on encore débattre en France ? Entendez : peut-on encore confronter des opinions contradictoires (c'est le principe même du pluralisme démocratique) sans diaboliser, excommunier, anathémiser le contradicteur ?" Jean-François Kahn



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