« L'homme irrationnel » : oui, mais le film ne l'est pas assez

Cela fait plus de quarante ans que Woody Allen réalise son film annuel (il en est au 44e , à peu près) et, la plupart du temps, il retrouve son public fidèle de cinéphiles urbains. A une époque on en faisait même une sorte de marqueur social pour définir ce qu’est un « bobo » : forcément un amateur de Woody Allen, un spectateur qui vient parfois se contempler, et rire de lui-même, devant le miroir un peu déformant que le cinéma nous tend, à New York comme à Paris… ou Toulouse.
Mais depuis les grands chefs d’œuvres des années 70 (« Manhattan », « Hannah et ses sœurs », « Intérieurs ») le plus célèbre binoclard hypocondriaque du cinéma mondial a diversifié ses sources d’inspiration, quitte l’East Side de Manhattan et va tourner en Europe, par exemple, avec de brillantes réussites, comme « Match point », tourné en Angleterre.
Ici nous sommes dans l’univers codifié d’un campus américain, avec en premier rôle Joaquin Phoenix, un acteur qui a « éclaté » en France dans les films de James Gray (souvenez-vous du splendide « La nuit nous appartient »). Il est épaulé par deux comédiennes brillantes, Emma Stone et Parker Posey.
Alors qu’en est-il du scénario ? Abe, le professeur de philo qui traîne un dégoût existentiel qui ne l’empêche pas d’être séduisant pour la gent féminine, trouve un moyen original de donner du sens à son existence : l’organisation méticuleuse d’un meurtre planifié. Le film se développe autour de cette seule idée, saugrenue, mais étayée philosophiquement. Concrètement, cela donne lieu à des scènes assez brillantes, mais, disons-le, la magie de Woody Allen n’opère que partiellement, on sourit souvent, mais on ne rit pas aussi souvent que l’on a pu le faire dans des films tels que « Harry dans tous ses états » ou, plus récemment « Whatever works ». Avec des sujets très sérieux – ici le crime comme « moyen » de donner du sens à sa vie – Woody Allen a su parfois nous faire rêver, notamment lorsqu’il tourne sur « son territoire », à New York.
Or là, nous avons un film plaisant, mais un peu « Canada dry », un film qui manque de folie. Cela tient notamment au fait que Joaquin Phoenix, acteur d’une grande animalité, est un peu bridé par le rôle qu’on lui fait endosser. Pour rester dans le domaine des boissons, il serait un peu comme un mojito sans feuilles de menthe et sans citron vert. Inconcevable, n’est-ce pas ? Mais notre intellectuel new yorkais hypocondriaque a déjà quelques projets à venir, qui, eux, n’en doutons pas, nous ferons vraiment chavirer à nouveau dans les années à venir!
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