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Interview de féministe #16 : Hélène

Publié le 16 octobre 2015 par Juval @valerieCG

Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.

Interview de Hélène.

Bonjour peux tu te présenter ?

Je m'appelle Hélène, j'ai 28 ans et je viens d'un département rural, pauvre et où avec du recul, j'ai l'impression d'avoir eu peu accès à des choses que mes potes considèrent comme normales. Je vis en région parisienne depuis quelques années et j'ai du mal à m'y faire. Ma famille est ce qu'on pourrait qualifier d'engagée et m'a transmis des valeurs autour de la différence même si il y a la question des différences intergénérationnelles qui se posent maintenant par rapport à certains sujets (féminismes, religions, etc.)

Depuis quand es tu féministe ; y-a-t-il eu un déclic particulier ou est ce venu progressivement ?

Je me suis "rendue compte" que j'étais féministe il y a quelques années seulement même si je l'ai sûrement toujours été. Par exemple, quand en primaire on a appris la règle de l'accord, je me rappelle avoir été choquée du fait que le masculin l'emportait. C'est une sensibilité à l'injustice en générale qui m'a amenée au féminisme. Je me sens sûrement plus légitime à m'investir et à parler de féminisme que dans d'autres luttes car je suis directement concernée. Je n'ai pas à subir d'autres discriminations en tous cas. Et c'est le fait de conscientiser qu'il s'agisse de discriminations qui est parallèle à ma définition en tant que féministe. Actuellement j'essaie d'associer mon engagement avec les projets que je développe à mon travail dans une association.

Dirais-tu que ta famille est féministe ?

Je ne dirai pas que ma famille est féministe au premier abord. Mes parents ont des côtés clichés en plein dans les stéréotypes de genre (ma mère est pomponnée, douce, à l'écoute des autres... mon père est une figure du syndicalisme, il défend les autres etc) mais en même temps pas tant que ça: c'est lui qui gère les courses, la bouffe, tout le temps par exemple et ça depuis toujours. Mon père a introduit la question du sexisme et de l'homophobie au niveau local dans son syndicat mais ce n'est pas quelque chose qui vient en premier lieu.

Mes parents connaissent par exemple les slogan pro-choix et s'opposent à la manif pour tous. Mon frère par contre (24 ans) joue bien un rôle de macho délibéré, d'autant plus avec moi.
Peux-tu préciser les choses auxquelles tu n'as pas eu accès et que beaucoup de gens voient comme normales ?

Quand je suis arrivée à Lille pour étudier (puis à Paris où ça m'a confirmé tout ça), je me suis rendue compte que je n'avais pas eu accès à des tas de choses très variées: culture, rencontres faciles de gens très différents de toi, accès à des services (par exemple des actions de sensibilisations de structures extérieures à l'Education nationale en cours sur la santé quelque soit la thématique). J'en ai parlé pas mal à une amie qui vient elle-aussi de là-bas. Ca donne l'impression d'avoir dû tout chercher nous-mêmes et que sans la curiosité c'est compliqué. En "arrivant en ville", tu as l'impression d'une profusion de personnes et d'idées qui font que ça te donne plus l'occasion de conscientiser. Ce n'est pas quelque chose de méprisant pourtant c'est l'idée qu'en milieu rural, tu dois prendre la voiture ou les peu de transports pour faire des choses et donc rencontrer des personnes. Et donc quand tu es jeune et sans permis eh bien c'est mort.

Y-a-t-il des combats féministes auxquels tu es davantage sensibilisée et pour lesquels tu t'investis davantage ?

Par rapport au féminisme, il y a plusieurs combats auxquels je suis plus sensibilisée et c'est toujours une question de réflexion petit à petit pour toujours voir plus de choses et leurs intrications. Je dirai sans ordre de préférence:

- l'appropriation par les femmes de leur corps (par rapport à la médicalisation, aux rapports de pouvoir dans la relation soignant.e -.patiente, ça inclut IVG, contraception) donc le libre-choix, et étroitement lié le libre-choix pour tout (travail du sexe, voile, habits etc).

- en transversal, toutes les questions liées aux rapports sociaux de sexe et donc leur lien avec toutes les thématiques ci-dessous dessus. et depuis relativement peu de temps (1,5 ans on va dire) je commence à comprendre ce que c'est que l'intersectionnalité

- l'égalité (sexes, sexualités, identités), ça rejoint les injustices qui me hérissent, les discriminations

- tout ce qui touche à l'empowerment au quotidien, avec tout le monde

Tout ça avec paradoxalement peu de mobilisation militante, liée probablement du fait d'être "étrangère" à Paris. Par exemple, je n'écris pas, la dernière manif que j'ai faite c'était le 8 mars... A Paris, c'est avec mes collègues, quelques potes et mon mec que je parle féminisme au quotidien. A Lille, j'avais l'impression que le format de la ville et de ma vie rendait plus facile le fait de faire des choses. A Paris c'est plus pragmatique: dans ma vie de tous les jours, à mon boulot.

Donc pour revenir à ta question, je m'investis plus dans les choses "quotidiennes" autour de la réflexion sur le choix, l'inclusivité, l'acceptation, la déconstruction des normes.(je crois)
je suis également très sensible au sujet des violences sexuelles et pour lequel j'ai du mal à argumenter "tranquillement" quand j'entends des choses trashos, etc.
Comment arrives-tu à gérer le machisme de ton frère ? Est-ce-que tes parents le constatent ? Le tolèrent-ils ?

Il joue de son machisme (qui en plus n'est pas toujours là) donc il me provoque. Ca dépend de l'état d'esprit mais soit j'ignore soit je m'énerve. Mes parents le constatent. Lorsque ça provoque des crises familiales ça ne les fait pas rire. Sinon mes parents rient comme d'une blague autre. La dernière crise a eu lieu à Noël dernier (un classique) quand on a commencé à parler de genre et que si je n'avais pas confiance sur le fait qu'ils n'allaient pas être dans des stéréotypes avec mes futurs gosses, je ne leur laisseraient pas. Mon féminisme fait partie de mon altérité pour ma famille dans le sens où je suis celle qui a voyagé, celle qui a fait des études, celle qui est partie. 

Constates-tu beaucoup de sexisme autour de toi , chez tes amis ou au boulot ? As-tu l'impression que les choses progressent peu à peu ou pas ?

Je constate du sexisme, euh, beh partout hein. Autour de moi aussi. Mine de rien je pense que nos discussions font réfléchir ma famille (plus sur les sexualités peut-être). Avec mes potes de Lille (donc mes ami.e.s proches) , c'est une réflexion permanente, beaucoup d'échanges. Avec mes copains de Paris, ça dépend desquels, le degrès d'intimité, le fait qu'on se connaisse depuis longtemps ou pas. Je crois que quand je rencontre des personnes dans le cadre amical, je balance généralement quelques répliques pour que les gens comprennent vite que ça serait cool qu'ils et elles ne sortent pas trop de conneries. C'est une forme de censure qui me permets d'éviter de me prendre la tête systématiquement avec les gens mais ça ne fonctionne pas toujours. Le sexisme ou l'homophobie ordinaire reviennent au galop.

Au boulot, c'est plus facile. On est un groupe qui grandit de plus en plus à discuter et à se définir comme féministes. J'ai l'impression que depuis mon arrivée il y a eu de grands changements par rapport à la conscientisation du sexisme et à la définition que les personnes font d'elles en tant que féministes. Une autre victoire aussi, mon responsable, un homme blanc etc qui a débarqué il y a presque un an, commence à réfléchir aux rapports de pouvoir, au genre etc et ça se sent dans sa pratique. Par contre, au niveau des autres cadres de direction c'est une catastrophe.

Dans mon couple, j'ai la chance d'être avec quelqu'un qui réfléchit beaucoup mais avec simplicité. C'est les tâches ménagères où se cristallisent le problème et le classique, "on fait moitié moitié pareil" mais la prise d'initiative et l'organisation, j'ai l'impression que c'est moi qui la porte. Il est éloigné des normes classiques de la masculinité donc ça aide à avoir moins d'injonctions qui influence la vie de couple.

Quelles solutions envisages tu face au problèmes des tâches ménagères ? En quoi est-ce si important ?

J'envisage juste de pouvoir continuer à discuter de ce qu'implique l'organisation des tâches et pas juste l'exécution. Mais on en parle pas mal en ce moment et il y a déjà une grande différence par rapport à la répartition de l’exécution des tâches. Dans son cas, je ne pense pas qu'il s'agisse de sexisme mais d'un apprentissage: 2 fils, répartitions des tâches entre les parents plutôt stéréotypées.

Bref, il y a de la marge de travail et je pense être aussi pas mal injuste quand il m'arrive d'en parler.

Ca me pose problème pour des raisons idéologiques: j'ai du mal à quitter mes lunettes genre (parfois je pense voir le mal où il n'est pas ou bien, je complexe de ne pas participer au bricolage) d'autre part car la vie à Paris m'épuise, les transports, le rythme, les boulot. J'ai du mal à envisager qu'on ait un enfant et  d'avoir l'impression dans le même temps que je gère trop de choses par rapport à lui.

Ca me semble futile tout ce que je suis en train de raconter. C'est peut-être parce que je parle du sexisme dans mon entourage, qui je pense, est moins violent dans ma sphère privée que ce que doivent affronter des femmes. Je pense que c'est lié aux personnes qui m'entourent: au boulot j'ai de la chance, mes copains vont de "sensibilisés" à "complètement dedans", mon compagnon est dans le dialogue et la réflexion. Ce n'était pas le cas de mon ancien compagnon qui à la fin m'insultait de "féministe de merde"... Je pense donc que je baigne dans un environnement sécurisé, en tout cas dans la sphère privée. Les réactions de mon frère par exemple, j'ai appris à faire avec et j'ai l'impression de prendre des chemins détournés pour que l'esprit puisse s'ouvrir un peu.

Quels sont les événements qui t'ont fait te conscientiser de plus en plus ?

La sensibilité aux choses injustes m'a fait tiquée, comme je te le disais avant, dès gamine. Je me rappelle avoir été énervée qu'un copain du lycée homo me dise être étonné que je ne sois pas vierge vu mon habillement. De m'être sentie démunie et passive quand ma première année de fac à Lille, un mec d'une cinquantaine d'année s'est installé à côté de moi dans le bus, m'a demandé mon numéro et a fait sonné son portable pour voir si c'était le bon. Ca faisait vraiment la campagnarde qui débarque en ville et qui fait se qu'on lui dit. Je me suis sentie en danger quand à mes 16 ans ma mère m'a annoncé que son grand-père la violait quand elle avait 4 ans et faisait ses siestes avec et que dans le même temps elle m'a dit "les hommes c'est tous des bêtes" alors que je n'avais pas encore commencé ma vie sexuelle. Le féminisme n'a pas été la première chose dans laquelle je me suis engagée mais le fait de croiser au fur et à mesure plus de personnes concernées par les mêmes injustices, m'a "remontée" au fur et à mesure et permis de comprendre.

Du coup, je me sentais concernée initialement par les sujets "classiques". Par exemple, je crois que ma première vraie action ça a été de participer à une contre-manifestation qui a lieu au Planning de Lille en novembre car les anti-IVG viennent prier. Je n'y suis pas allée par "féminisme" mais c'était dans la foulée du mouvement anti-CPE. C'est un peu le point de départ pour le féminisme je crois. On est tombée sur une catho de notre âge qui nous a sorti que si une femme tombait enceinte à la suite d'un viol c'était qu'elle s'était abandonnée au plaisir. C'est un des trucs qui a été le déclic.
De même pour la non-mixité et comprendre quel était l'intérêt, c'est d'avoir participer à une marche de nuit non-mixte.
Ca fait relativement peu de temps que je m'intéresse aux choses par lesquelles je suis moins concernée parce que je suis blanche, hétéro, pas musulmane, etc. Pas parce que ça ne m'intéressais pas avant mais parce que c'était un truc pas identifié dans ma tête.

Pourquoi es-tu plus sensibilisée à certaines thématiques féministes?

Pour la deuxième question j'ai déjà répondu en partie. Pour la relation soignant.e.s-patiente, c'est un truc qui me gonfle depuis longtemps mais j'y ais été confrontée directement quand j'ai voulu laisser la pilule (je vivais en Italie à ce moment-là) et que la gynéco m'a represcris une autre pilule alors que ce n'était pas ce que j'avais demandé.J'ai eu ce même sentiment quand je suis tombée enceinte l'année dernière et qu'un toubib qui forme des gens à l'accompagnement de l'IVG m'a prise pour une conne quand je lui ai demandé de me faire le papier stipulant la date de notre rendez-vous (pour le délai de réflexion lié à l'IVG) en faisant comme s'il ne savait pas de quoi il s'agissait. Et puis j'ai encore eu ce sentiment durant les 3 années d'une formation de sexologie que je viens de terminer où la majorité des profs étaient des médecins bien dans leur position de pouvoir et que j'ai été humiliée à différentes reprises devant toute la promo à cause de mes remarques embarrassantes sur le viol.

Quel est pour toi l'intérêt de la non mixité ?

Pour la non-mixité, c'est le sentiment de pouvoir qui est pour moi important. La manif non-mixte est sûrement l'action qui génère le plus ce sentiment pour moi. Il y a une appropriation de l'espace, un sentiment de sécurité, de force, de solidarité. C'est sûrement pour ça que j'ai du mal à l'argumenter face à des détracteurs.euses, c'est parce que pour moi ça se vit et ça se sent dans les tripes.

Quelles remarques as tu faites dans ta formation de sexologie qui leur a paru embarrassantes ? Pourquoi l'étaient-elles selon toi ?

En première année on a eu un cours sur la loi, c'était un avocat très bien mais plusieurs remarques de la part de collègues de cours ont émaillé le cours. Un des médecin étudiant a dit que si la pénétration était possible c'est qu'il y a avait consentement. Les profs s'en sont mêlés suite à un mail collectif que j'ai envoyé et ont demandé des explications. Le responsable de la formation est intervenu la semaine suivante sans piper mot. 2 semaines après c'est une profs gynéco femme qui est revenu sur les propos de manière lamentable et en m'affichant ( "c'est suffisant, ça te va?"). Bref, une horreur. C'était un sujet sur lequel je n'avais pas encore travaillé et qui me prenait particulièrement aux tripes à cette époque et ça a été dur de gérer. L'année d'après on a eu un cours d'un psychiatre horrible qui intervenait sur les paraphilies et nous a encore dit des choses horribles. J'ai ouvert ma gueule au début puis me suis tue pour me protéger. (par exemple, j'avais commenté le fait que les violences n'existaient pas que dans les couples hétéros et il m'a humiliée en commentant que c'était peut-être mon fantasme mais que à sa connaissance..., etc etc.)

Ce qui est sidérant dans cette histoire c'est que tout ça a choqué peu de personnes en proportion dans toute cette promo et qu'il y a eu peu de réactions, que les gens buvaient les paroles des profs sans aucun esprit critique. En première année, les gens ont commenté mon intervention en imaginant que si je réagissais comme ça c'est que j'avais été victime. Comme dans les cas de violences, on a parlé de mon comportement à moi et non de ce qui avait été dit ou fait.

J'avais dû mal à gérer ces moments et je me dis encore que j'avais une part de responsabilité à contredire les profs car ces pros en formation pourraient faire beaucoup de dégâts dans l'accueil de victimes...

C'est très brouillon mais cet enseignement en 3 ans donne aux personnes une assurance et une crédibilité qui peut être vraiment dangereuse pour les gens les consultant. Idem sur le fait qu'en 3 ans, nous n'avons parlé à 99 % que de couple hétéro et de pénétration pénis vagin...

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