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The Killing – Chroniques de l’Oncle Sale

Par Julien Leray @Hallu_Cine

À Seattle, les improbables grimaces de Steve Ballmer, ou la voix un brin alcoolisée de ce bon vieux Jimi, ne sont pas les seules à faire grand bruit.

Par temps clair ou par temps gris, règne en maître, Boeings de froid transis, encore et toujours cette satanée pluie.

Une pluie continue, incessante, s’abattant à grosses gouttes sur Rainy City, sur The Killing et tous les épisodes de la série.

Noyée sous des flots diluviens, d’où peinent à se sauver des eaux les rares rayons de lumière. Un peu à l’instar de sa cousine venue du Nord, juste de l’autre côté de la frontière. Viens faire un tour, mais viens couvert.

Pendant ce temps, Darren Richmond et son équipe tentent tant bien que mal d’éviter que l’opinion publique ne lui tourne le dos, et ne lui envoie une volée de bois vert.

En pleine période électorale pour accéder à la mairie de Seattle, il faut dire que retrouver le corps sans vie d’une adolescente dans le coffre d’une de ses voitures de campagne fait plutôt mauvais genre. Et mauvaise presse.

Qu’importe pour Sarah Linden. Ménager le pouvoir est le cadet de ses soucis. Et entre ses ennuis personnels et l’enquête sur le meurtre de Rosie Larsen, autant dire qu’elle est plutôt mal servie.

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Sans compter un coéquipier plein de bonne volonté, mais à l’instabilité patentée.

Sarah Linden, Stephen Holder : un duo improbable, parfois insupportable, mais à la chimie inestimable. Pour l’enquête, mais aussi et surtout pour les spectateurs fortes têtes.

Nourris aux caviars depuis quelques années, ces derniers ont ainsi vu leur niveau d’exigence sacrément s’élever. The Wire, Boardwalk Empire, Breaking Bad, True Detective, Fargo, et de nombreuses autres de derrière les fagots. Si c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, la télévision en a néanmoins profité pour donner une véritable leçon d’écriture et de modernité à un Cinéma éprouvant les pires difficultés à se réinventer.

Difficile dans ces conditions de se faire une place au soleil. Surtout quand le temps y reste désespérément maussade et gris.

Veena Sud, showrunner en chef, en a pourtant fait le pari, loin d’être gagné vous l’aurez compris.

Il faut dire que si la famille Larsen peine à surmonter son deuil, The Killing, elle, a choisi d’emprunter un chemin parsemé d’écueils.

Péché originel, crime de lèse-majesté, odieux remake américanisé. Au diable les faiblesses de l’original danois : au royaume des aveugles, le borgne est roi.

Car à l’instar de The Girl with the Dragon Tattoo, The Killing prouve que la redite peut être un atout lorsqu’elle est mise en scène avec goût. Et patience aussi, surtout.

C’est un fait : dans la vie vraie, celle aussi romancée que la fiction – sans l’excuse de la disbelief suspension –, une enquête pour meurtre impliquant et mouillant le monde politique prend souvent énormément de temps. Délicate, sulfureuse potentiellement : ne pas cramer l’affaire ni s’y brûler personnellement.

Pour que justice lui soit rendue, The Killing va ainsi mettre un point d’honneur tout particulier à déployer son histoire graduellement, essaimant peu à peu ses enjeux sans faire le jeu des plus impatients : en somme, éviter de se vautrer dans un irréalisme déraisonné en condensant son récit de manière éhontée.

Au gré des quatre saisons articulant sa narration – trois avant sa mise au ban d’AMC que l’on a connue plus inspirée, une quatrième chez Netflix en sauveur de réfugié(e)s de médias en crise -, une métahistoire va ainsi s’installer, napper de ses échos des intrigues par ailleurs en vase clos.

Que le visionnage soit stoppé au terme des treize premiers épisodes, ou que l’ensemble soit englouti d’une traite comme le veut actuellement la mode, The Killing conservera quoi qu’il en soit – et quelle qu’en soit sa durée – une réelle unité.

Ce faisant, Veena Sud peut dès lors s’autoriser à voir plus grand, et convoquer, sous couvert d’un récit policier des plus usités, les nombreux fantômes de l’Amérique, sociétaux et historiques, notamment un segment questionnant la condition des amérindiens : par les temps qui courent, américains comme canadiens, voir ce sujet enfin présent fait sans le moindre doute le plus grand bien.

Car ne nous méprenons pas : l’intérêt premier de The Killing tient moins dans l’affaire de meurtre que dans sa peinture des moeurs. Familiales, sociales, cela va sans dire. Politiques, également. Et c’est peut-être bien ça le pire.

Des milieux aux multiples requins, au sein desquels personne ne sait réellement à quel saint se vouer. Des faux-semblants aux jeux de dupes, les personnages de The Killing restent à l’image de leur ville et leur pays : profonds, lacunaires, et meurtris.

Et si l’on évitera d’en tirer des conclusions sociologiques aussi hâtives que biaisées une fois le visionnage achevé – un syndrome Fox News dont il serait salutaire de se débarrasser -, reste que ce que The Killing a à partager, ce n’est ni plus ni moins qu’une vision lucide et désespérée d’une métropole désenchantée, de rouille et de larmes, aux nombreux vagues à l’âme.

Une société ayant abandonné ses idéaux, mal incarnés par des politiciens tout aussi ravagés, détournant le regard de ceux et et surtout celles restant sous le radar, des jeunes pour lesquel(le)s c’est soit-disant déjà trop tard. Une quantité négligeable, dont les meurtres et les agressions qui ne disent pas leur nom n’ont pas le droit de cité dans un contexte que l’on désire ardemment aseptisé : c’est du reste plus facile à contrôler.

Ces hommes qui n’aimaient pas les femmes.

De prime abord cousue de fil blanc, The Killing la joue pourtant finement. D’une profondeur moins marquée que ses illustres prédécesseurs, elle compense largement par une sensibilité et une empathie que l’on a rarement ressenties dans une série de cet acabit.

Une justesse émotionnelle tenant en grande partie sur les épaules de ce binôme des plus réussis, bien loin des clichés des buddy movies. Sarah Linden et Stephen Holder donc, Mireille Enos et Joel Kinnaman méritant tellement mieux que de jouer les coquilles vides mal servies dans le dernier Robocop et World War Z.

Passé un amour d’introduction donnant immédiatement le ton, caractérisant sans dialogues ni verbe envahissant ses protagonistes principaux en un montage alterné du plus bel effet, The Killing va faire de ces derniers sa pierre angulaire, son socle narratif, son point névralgique auquel se raccrocher lorsque l’intérêt peut se voir décliner.

Et si l’enquête vous passionne peu, si l’envers du décor de la municipalité de Seattle vous laisse de marbre, si les atermoiements d’une adolescence désoeuvrée et délaissée ne vous font ni chaud ni froid, reste un duo de choc que vous ne lâcherez pas.

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Femme-enfant, personnage fascinant, moue boudeuse ou rieuse, fragile et frondeuse, flic battante mais mère absente, Linden rejoint sans conteste la liste des personnages féminins pour une des rares fois magnifiquement dépeints.

Et quand une relation homme-femme, personnelle comme professionnelle, se voit traitée avec délicatesse sans faire preuve de mollesse, sans cynisme ni bons sentiments gerbants, par l’entremise d’un Stephen Holder tenant parfaitement la note sur la longueur, on se dit que The Killing a de quoi faire des petits, et pérenniser son oeuvre.

Au sein de la machine à clics qu’est devenue Netflix, noyée au milieu des séries Z mal triées et du remplissage de catalogue un rien abusé, se cachent des pépites silencieuses qui ne demandent qu’à ressortir.

Et parmi elles, The Killing, c’est sûr, a définitivement son mot à dire.



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