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Seul(s) sur mars

Publié le 20 octobre 2015 par Emmanuel S. @auxangesetc

Lundi matin matin classique. SNCF. Lecture. Gare Saint Lazare. Terminus. Je descends. Direction le métro. Ligne 12. Les escaliers. Je suis acteur de ma mobilité. Panneaux d’affichage. Un portique mon pass navigo. Des escaliers encore. Une jeune femme arrêtée elle est brune un carré court tout de noir vêtue. La main sur le visage elle est épaule contre le mur on dirait qu’elle pleure. Un jour moi aussi je me suis effondré de larmes il faisait grand soleil en dehors de moi c’était un mois de juin.

Les carrelages métro sont blancs comme le teint de cette jeune femme qui se colle de plus en plus lourdement au mur couleur d’elle. Je m’arrête. Mon pas vers elle Comment puis-je vous aider ? elle ne pleure pas ses yeux sont mi-clos sa voix presque un murmure elle dit que sa tête tourne. Elle va défaillir c’est sûr on est comme au ralenti elle glisse tout doucement le long du carrelage brillant je la tiens par les épaules on glisse ensemble comme si c’était normal de glisser au milieu de la foule de 8h du mat’ elle et moi on ne se connaissait pas l’instant d’avant ce duo artistique.

Maintenant je suis accroupi elle a les jambes pliées sous elle comme un pantin qui se désarticule je suis accroupi elle est dos à moi je lui enserre les épaules je parle pour la rassurer. Il faut qu’elle m’écoute sans m’entendre des gens s’arrêtent un puis deux puis trois une dame propose d’appeler de l’aide une autre demande si elle peut appeler de l’aide une enfin va chercher de l’aide. Vous êtes avec elle ? une femme souffrante un homme qui la rassure, un couple. Forcément. Le chabadabada du malaise. Plusieurs gens des femmes surtout autour de nous à présent. Un homme aussi. Je suis accroupi je la soutiens son abandon du corps pèse lourd je me demande pendant combien de temps je pourrai tenir en costume et chaussures de ville avec les quadriceps qui brûlent et l’aponévrosite qui tire. La jeune femme parle qu’elle a une boule au ventre qui l’empêche de respirer d’habitude elle souffre de spasmophilie mais  là c’est différent. Et aussi  oui quand je lui demande si elle a mangé ce matin. La foule passe tout est calme je suis calé sur son souffle court je tente de la rassurer encore que pas vraiment je ne sais même pas si elle m’entend.

Encore un mot. Deux tout au plus. Trois, ça va aller.

La police de la RATP des gars habillés en matraque  Vous êtes avec elle ?  Non je ne la connais pas Mais vous êtes avec elle ? Non je me suis arrêté pour l’aider. L’un lève un sourcil de surprise, qu’y a-t-il de surprenant ? une femme un malaise un inconnu pour la soutenir quelques minutes d’humanité dans un monde transporté de flux humains qui s’écoulent en rythme dans les artères souterraines.

Prends ses coordonnées au cas où dit un des hommes matraqué, moi, je vous donne ma carte ce sera plus simple, Au revoir madame bon courage. Elle ne m’entend pas. Elle ne m’a jamais vraiment entendu de toute façon. A quoi bon après tout quand les gestes suffisent, état chaleureux du contact physique solidaire.

Je suis parti ligne 12 descente Assemblée Nationale j’ai pensé à cette femme qui allait commencer sa semaine comme moi je l’ai fini à l’hôpital avec Enzo au petit matin d’un jour nouveau qui était son dernier il était 5h35 le 15 juin 2010.

La femme en noir sur carrelage blanc ne saura jamais rien nos vies sont déjà si loin d’avoir été si proches.

C’était un lundi d’octobre 2015. C’était lundi hier.

A nouveau seul sur mars.


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