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Le monde est un oignon

Publié le 09 juin 2008 par Collectifnrv
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Alan Turing, à partir des années trente, avait le projet de « construire un cerveau. »

« Ce qui m’intéresse, écrivait-il, n’est pas de mettre au point un cerveau puissant, rien qu’un cerveau médiocre, dans le genre de celui du président de l’American Telephone and Telegraph Company. »

« L’analogie de la peau de l’oignon est aussi utile. En considérant les fonctions de l’esprit ou du cerveau, nous trouvons certaines opérations que nous pouvons expliquer en termes purement mécaniques. Nous disons que cela ne correspond pas à l’esprit véritable : c’est une sorte de peau que nous devons arracher si nous voulons trouver l’esprit véritable. Mais dans ce qui reste, nous trouvons une autre peau à arracher et ainsi de suite. En procédant de la sorte, arrivons-nous jamais à l’esprit "véritable" ou parvenons-nous finalement à la peau qui ne contient rien ? Dans ce dernier cas, tout l’esprit est mécanique (ce ne serait pas une machine à états discrets, cependant. Nous en avons discuté.) »

Turing - "Computing Machinery and Intelligence"

Depuis quelques temps, ici et là, et conjointement à la dégradation de la santé financière des médias traditionnels, la défiance à l’égard d’Internet se renforce. On connaît les assertions outrées de quelques « penseurs », frappés de panique numérique.

Ainsi, la presse écrite souffre-t-elle, en dehors de toute responsabilité propre, de l’expansion de ce « nouveau » média. Marc Tessier et Maxime Baffert, dans leur rapport « La presse au défi du numérique », en 2007, écrivent :
« À ce jour, l’arrivée d’un nouveau média n’a jamais fait disparaître les autres médias. L’arrivée de la radio n’a pas fait disparaître les journaux, de même que le développement de la télévision n’a pas empêché le maintien d’une présence forte de la presse et de la radio. Cependant, si l’irruption d’un nouveau média n’entraîne pas la disparition des autres, elle remet en cause leurs positions acquises. Elle conduit ainsi, le plus souvent, à une réduction de leur place ainsi qu’à un bouleversement des équilibres économiques sur lesquels ils avaient bâti leur croissance. En particulier, les médias déjà en place sont conduits à renoncer à certaines activités et certaines fonctions que le nouveau venu réalise de façon plus efficace ou plus avantageuse. Les spécificités des médias numériques font que cet impact est particulièrement fort pour la presse. En effet, ces nouveaux venus présentent la caractéristique de proposer tout ce que les autres médias proposent déjà - écrit, son, image, vidéo... - selon des modalités et des caractéristiques qui lui sont néanmoins propres. Internet oblige donc les autres médias, tout particulièrement la presse écrite, à prendre en compte cette concurrence frontale et à gérer un risque de “cannibalisation” beaucoup plus fort. »

La télévision n’est pas en reste. TF1 traverse une « passe difficile », selon son directeur général. Les résultats financiers et le cours de l’action sont en baisse. « Nous sommes en guerre ! », renchérit Paolini. On sait bien de quelle façon cette situation a pu peser sur l’annonce de la fin de la publicité sur les chaînes de service public.

http://www.marianne2.fr/TF1-est-en-guerre-!_a87908.html?PHPSESSID=c5c6c98d2b

Les attaques fusent à l’endroit du Net, qui n’ont pas beaucoup plus d’objet que de tenter de rehausser les vertus de ceux qui les lancent. Ce qui revient souvent, c’est la question de la vérité ; comment démêler le vrai du faux, comment endiguer le flux des rumeurs ? Et, toujours, le média traditionnel se posant comme garant de la vérité ; enquêtes, informations recoupées etc…

Devant le reflux des médias traditionnels dont on ne pleurera pas beaucoup le sort, n'ayant pas simplement su "faire des journaux" ou "faire de la télévision" mais ayant seulement occupé le terrain, le Net se positionne comme média protéiforme et en expansion. Qu'il conviendra d'encadrer et formater (un peu plus, encore)...

http://www.ecrans.fr/Le-gouvernement-veut-filtrer-le,4286.html

Les formes connues s’y multiplient : commerce, télévision et journaux (il faut y être), mise à disposition de documents, musique, organisation verticale, entreprises, publicité etc… Mais quelque chose d’autre émerge (aussi) ; l’affirmation d’individus actifs pris dans le maillage du réseau mondial, ce que Olivier Blondeau nomme la production de nouvelles subjectivités. Voir et être vu, montrer et faire, se transformer et surgir (et la jouissance qui en découle) sont des figures communes et intrinsèques du système.

Jello Biafra inventa, il y a quelques années, le slogan « don’t hate the media, become the media »et qui devait être repris goulûment par bon nombre d’acteurs du Net-activisme. A l’heure d’Internet, le devenir-média de l’individu (du « dividu » pour reprendre le label de quelques nétocrates deleuzo-dépendants) semble mécanique. Il est un média quoiqu’il arrive. Cela semble suffisant. Hors les propriétés de la structure (immédiateté, plasticité, globalité, dissémination…), rien ne vient dire ce qu’il convient d’affirmer.

L’affirmation. Dire quelque chose dans le réseau, imposer une forme. Se contenter de se positionner en tant que média irrémédiable, moi augmenté, est assez monotone. Cet espace social ne peut se reposer uniquement sur son mode d’organisation défini par les connexions ; au risque de voir surgir à nouveau le règne de la simple consommation (de soi-même, finalement, en tant que produit du Net.) Un cerveau médiocre et sain.

Ici comme ailleurs, la création, l’affirmation, la construction d’objets, susceptibles d’influer sur l’environnement, de tordre les usages courants et de transcender la technique, demeurent cruciales…

Ce que télévision et presse ne font plus depuis longtemps.

Rien de bien virtuel dans tout cela…

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