Un article de Bernard Lunn pour Daily Fintech – prenant l'exemple d'Alibaba – illustre parfaitement la tendance qui voit les services financiers « discrets » prendre le pas sur le concept de banque de détail universelle, que les acteurs historiques persistent malgré tout à considérer comme leur principal avantage concurrentiel.
Le point de départ de la réflexion de l'auteur est la récente annonce par la banque centrale indienne de l'attribution de 11 licences d'établissement de paiement. Il se trouve que l'une d'elles revient au fondateur de PayTM, une plate-forme de e-commerce locale dans laquelle Alibaba a investi quelques centaines de millions de dollars. La question qui surgit alors est : les limitations imposées par le nouveau statut justifient-elles que les « vraies » banques négligent la menace sur leurs modèles ?
En premier lieu, le plafond de dépôts à 1 500 dollars n'est pas un handicap insurmontable dans un pays où ce montant représente le revenu annuel médian. L'impossibilité de proposer du crédit serait-elle un frein plus sensible ? Avec l'émergence de la finance participative, les consommateurs ont une alternative à leur disposition, qui, dans bien des cas, sera plus efficace que ce que leur offrirait une banque. En conséquence, les services de base disponibles dans un porte-monnaie virtuel pourraient s'avérer suffisants pour une large majorité de consommateurs.
Très bien, mais l'Inde et la Chine sont bien loin de nous et tout cela ne nous concerne pas, pensez-vous ? C'est peut-être oublier un peu vite les parallèles qui peuvent être établis. L'Europe a instauré un statut d'établissement de paiement depuis plusieurs années (qui devrait, avec la directive PSD2, acquérir de nouvelles prérogatives) et les acteurs profitant de celui-ci pour lancer des solutions bancaires simplifiées se multiplient. Pour ne prendre qu'un exemple, le succès de Compte Nickel (qui n'est pourtant pas un modèle de stratégie orientée client) devrait interpeller les banques…
Plus tard, les adeptes de ces produits auront recours aux innombrables plates-formes de crowdfunding lorsqu'ils auront besoin d'emprunter ou, à l'inverse, dès qu'ils auront quelques disponibilités à placer. À moins qu'ils ne profitent directement des bienfaits d'un « robo-advisor » pour gérer leur portefeuille d'investissement. Certes, il restera de nombreuses opportunités pour les banques, mais, là aussi, la concurrence entrera en jeu et conduira les consommateurs à choisir celle qui leur procurera les meilleures conditions et non plus (presque) automatiquement celle qui détient leur compte courant.
Cette vision pourrait ne concerner que des populations sous-bancarisées. Cependant, rien ne contraint objectivement ce périmètre (comme l'a démontré le Compte Nickel, initialement destiné aux interdits bancaires et finalement adopté par des segments de clientèle très divers). Si, de plus, des « agrégateurs » se mettent à fédérer les offres de services au sein de plates-formes accessibles, proposant une expérience utilisateur séduisante, la popularité d'une telle approche peut grandir rapidement.
Ce qui nous ramène à Alibaba. Tout d'abord, parce que sa filiale Ant Financial possède déjà une panoplie de solutions de finance alternative – assurance, fonds d'investissement, crédit P2P… – à laquelle vient s'ajouter un socle informatique (dans le « cloud ») qui pourrait constituer la base d'une plate-forme d'intégration. D'autre part, parce que, bien que la stratégie du géant chinois soit, pour l'instant, prioritairement orientée vers les marchés émergents, elle finira un jour par attaquer aussi les régions développées…