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La nuit de feu, d'Eric-Emmanuel Schmitt

Publié le 21 octobre 2015 par Francisrichard @francisrichard
La nuit de feu, d'Eric-Emmanuel Schmitt

"Pascal, rationaliste suprême, philosophe, mathématicien, virtuose de l'intelligence, avait été obligé, le 23 novembre 1654, de rendre les armes: Dieu l'avait foudroyé aux environs de minuit. Toute son existence, laquelle avait découvert son sens, il porta sur lui, caché dans la doublure de sa veste, le récit sibyllin de cette nuit qu'il appelait la nuit de feu"

Eric-Emmanuel Schmitt a connu une telle nuit dans le Hoggar, au pied du mont Tahat. Son dernier livre, au titre emprunté donc à Pascal, est le récit de cette expérience mystique. Humblement il reconnaît que "seuls les arguments rationnels ont le pouvoir d'emporter l'adhésion, pas les expériences": "Je n'ai fait qu'éprouver, je ne prouverai donc pas, je me contente de témoigner."

Le récit proprement dit de sa nuit de feu tient en à peine cinq pages. Il faudrait le citer en entier pour en rendre compte sans le dénaturer. Aussi vaut-il mieux laisser au lecteur le soin de le lire s'il est intéressé à comprendre d'où vient la confiance qui, depuis, le brûle, et se contenter de dire dans quel contexte une telle expérience personnelle a pu avoir lieu en février 1989.

Quelques mois plus tôt Charles de Foucauld "entre dans sa vie sous la forme d'un film à écrire". Il signe en effet un contrat de scénariste avec Gérard V., qui n'appartient pas davantage que lui à une église. Après six mois de discussion, de documentation et d'écriture, ils se mettent dans les pas de ce "sage universel" en participant à une expédition de Tamanrasset jusqu'à l'Assekrem.

En dehors de Gérard et d'Eric-Emmanuel, cette expédition comprend huit personnes - Paul, Anne, Martine, une agrégée de mathématiques, et Marc, son mari, Thomas, un géologue, Jean-Pierre, un astronome, Ségolène, une ophtalmologiste, Daniel -, auxquels il convient d'ajouter un guide américain, Donald, et un guide touareg, Abayghur:

"J'adorai aussitôt la civilisation que cet homme incarnait, j'adorai l'Histoire que sa prestance racontait, j'adorai son insolente tranquillité, le sourire dont il nous régalait, un sourire empreint d'accueil et de sérénité, un sourire qui nous promettait des moments envoûtants.

Eric-Emmanuel a des discussions sur l'existence de Dieu avec Ségolène, qui est chrétienne. Pour lui, rien ne démontre son existence. Pour elle, c'est la meilleure explication possible de l'univers. Avant sa nuit de feu, il n'est pas en quête de Dieu, comme l'insinue son interlocutrice. Ce qui l'ébranlerait, ce serait que Dieu le cherche, le poursuive. "S'il me cherche, qu'il me trouve!", dit-il même. 

Quelques jours plus tard, la moitié seulement des participants de l'expédition, dont Eric-Emmanuel, Donald en tête, effectue l'ascension du mont Tahat, qui culmine à trois mille mètres et qui est le toit du Sahara. Les autres, fatigués, restent avec Abayghur. Au retour, Eric-Emmanuel se propose de devancer le groupe et s'égare... La nuit tombe. Il a soif. Il a faim. Il a froid. Il est épuisé. Il pense qu'il va mourir. 

Il s'envelit dans le sable, comme dans une tombe protectrice, et, soudain, commence pour lui la nuit de feu, l'éternité qui dure toute une nuit. Après cela, désormais, "tout a un sens. Tout est justifié." Au matin, tout ragaillardi, il finit par retrouver ses compagnons. A partir de ce moment-là, lui et Abayghur deviennent de réels amis, voués pourtant à ne jamais se revoir après ce périple dans le désert:

"Ma disparition, mon retour, mon épuisement nous avaient permis de gagner des semaines d'apprivoisement et avaient ouvert les vannes à l'affection."

Sur le point de quitter le Hoggar, Eric-Emmanuel porte un regard critique sur sa nuit étoilée: "N'avais-je pas interprété de façon mystico-religieuse des phénomènes purement somatiques? La soif, la faim, l'épuisement avaient affecté mon corps et m'avaient conduit au délire. Et ce bien-être absolu dont je gardais le souvenir, ne le devais-je pas à mon hypothalamus qui avait sécrété des endorphines?"

Vingt-cinq ans après, il faut croire que non: "Ma foi a supporté autant le dépaysement que le passage du temps; elle n'a cessé de croître; celle qui se limitait à un filet d'eau au milieu du désert s'est élargie aux dimensions d'un fleuve. Telle est, d'ordinaire, la vocation des sources..."

Vingt-cinq ans après, il faut croire que cela ne l'empêche pas d'être libre: "Je ne me suis jamais senti si libre qu'après avoir rencontré Dieu, car je détiens encore le pouvoir de le nier. Je ne me suis jamais senti si libre qu'après avoir été manipulé par le destin, car je peux toujours me réfugier dans la superstition du hasard."

Aujourd'hui Eric-Emmanuel Schmitt reste rigoureux: "Si on me demande: "Dieu existe-t-il?", je réponds: "Je ne sais pas" car, philosophiquement, je demeure agnostique, unique partie tenable avec la seule raison. Cependant, j'ajoute: "Je crois que oui". La croyance se distingue radicalement de la science. Je ne les confondrai pas. Ce que je sais n'est pas ce que je crois. Et ce que je crois ne deviendra jamais ce que je sais."

Francis Richard

La nuit de feu, Eric-Emmanuel Schmitt, 192 pages, Albin Michel

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