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Pourquoi la gauche est en train de totalement disparaître

Publié le 22 octobre 2015 par Blanchemanche
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Le lundi 19 octobre 2015Pourquoi la gauche est en train de totalement disparaîtreReuters New PoolPhilosophe préoccupé par la question de la violence, Marc Crépon se désole de la perte des idéaux de la gauche. Dans son livre » La gauche, c’est quand ? », il dresse l’inventaire de tous les reniements et abandons des valeurs fondatrices dont la gauche de gouvernement n’a que faire. Face à cette dégradation, le philosophe invite à réinvestir et repenser les valeurs historiques de la gauche, afin que le mot lui-même ait encore un sens.Philosophe lucide et inquiet – lucide face au tragique de la condition humaine, inquiet sur l’absence de révolte que cette condition même suscite dans l’espace politique contemporain -, Marc Crépon entremêle dans son travail de recherche des réflexions inactuelles, puisées dans l’histoire de la pensée, et des considérations indexées sur l’écoute attentive de ce qui tremble dans notre époque. Comme si l’une des manières de penser l’état dégradé de l’actualité consistait à se raccrocher aux modes de résistance que les écrivains et philosophes ont inventés au fil du temps. Résister à la violence du monde, c’est déjà la décrire, écrire ce qu’elle a d’insupportable, esquisser des voies possibles pour échapper à ses effets répétés. Comme il le souligne dans un nouvel essai, écrit avec Frédéric Worms, La Philosophie face à la violence, la vocation de la philosophie est précisément d’éclairer le refus de “s’accommoder des multiples formes de violence qui divisent le monde”.Un appel à la “solidarités des ébranlés”Il s’agit bien d’un refus que “le sens du monde soit imposé de l’extérieur par une force idéologique, religieuse ou politique, certaine de le détenir et prête à tous les moyens, y compris les plus meurtriers, pour conserver le privilège de l’accaparer”. Seuls “un vitalisme et un humanisme critiques” peuvent aujourd’hui favoriser ce que le dissident Jan Patocka appelait “la solidarité des ébranlés”.Préoccupé par cette question lourde de la violence et du “consentement meurtrier”, Marc Crépon sait aussi déplacer ses objets. Une autre réflexion, sous forme d’un livre d’intervention autant que d’un livre théorique, part d’un désarroi et d’un désir contrarié face à une question sans réponse : la gauche, c’est quand ?Si cette question traverse une grande part des esprits désorientés à gauche depuis des années, Marc Crépon tente de lui conférer un sens précis, au regard d’une définition minimale et inconditionnelle de la culture de gauche, telle qu’elle s’est constituée à travers les luttes sociales et politiques des siècles derniers. Cette culture repose sur quelques principes intangibles, aujourd’hui malmenés par la gauche elle-même, ou du moins celle qui prétend l’incarner au pouvoir : le refus de céder à l’ordre moral que les partis conservateurs ou réactionnaires ont toujours soutenu ; le refus de céder à la pression des demandes sécuritaires ; une certaine idée de l’égalité ; la relation au reste du monde, inséparable des états de violence, des régimes d’oppression, des formes de misère… Sur ces quatre points, Marc Crépon observe que la gauche gouvernementale n’est plus au rendez-vous de ces engagements fondateurs. La récente décision du gouvernement de contester la décision de la cour d’appel de Paris de condamner l’Etat pour faute lourde sur des contrôles au faciès pourrait en être la preuve la plus tangible.Une rupture des engagements historiques de la gaucheLa culture de gauche n’est plus l’objet que d’un “abandon” et d’un “reniement”. Comment comprendre cette “dégradation”? Pourquoi ces valeurs n’ont-elles plus de force fédératrice ? Pourquoi la gauche est-elle devenue incapable de s’identifier à la générosité et au courage de ceux qui en ont posé les fondements historiques ? Le déni d’hospitalité, tel qu’il a pu se concrétiser dans les réactions paniquées face à la réalité des réfugiés, “relève jusque dans la confusion lexicale qu’il entretient, de cette sédimentation de l’inacceptable qui fait le lit des consentements meurtriers”, estime Crépon.Qu’il s’agisse du sort des sans-papiers, des sans domicile fixe ou des sans patrie, on assiste aujourd’hui à une “rupture des engagements historiques auxquels la gauche doit une part de son identité”. Or, lorsque des couches entières de la population ne retrouvent dans la politique qui leur est proposée, “plus rien de la mystique dans laquelle jadis elles se reconnaissaient et à laquelle elles étaient profondément attachées, n’imaginant même pas qu’elles pourraient voter autrement, qu’est-ce qui les retient de céder aux sirènes du pire, en allant chercher ailleurs les motifs d’une nouvelle croyance et d’une nouvelle espérance ?”, se demande l’auteur.Le socialisme peut-il se passer d’une critique du capitalisme ?La mystique qu’évoque ici Marc Crépon renvoie au sens qu’en donna Charles Péguy dans son célèbre livre Notre jeunesse. Pour Crépon, citer Péguy, ce n’est pas se montrer nostalgique d’un patriotisme aveugle, à la manière des conservateurs actuels comme Alain Finkielkraut qui ont fait du romancier leur référence ambivalente. C’est au contraire rappeler “qu’il n’y a pas de politique sans croyance, dans un sens qui n’est pas nécessairement religieux, et dont il importe même qu’il ne le soit pas”. “La mystique désigne tout ce qui semble s’être éloigné de nous et nous rend si nostalgiques : la nature d’une origine (les idées, les valeurs), la force de leur transmission et de leur héritage, l’exigence de fidélité qu’elles impliquent”, insiste Crépon.La politique est en effet “tributaire d’un crédit, complexe et mystérieux, qui l’a toujours précédée et dont elle a hérité”. Or, aucune politique ne serait crédible, “dès lors qu’elle ferait à l’avance, d’emblée ou d’entrée de jeu, le deuil de leur promesse”.A propos de l’argent, sur lequel Péguy écrivit un autre livre, Crépon se demande aussi comment un gouvernement qui se réclame du socialisme peut se passer de toute critique du capitalisme, de ses excès et ses effets destructeurs. “Peut-il donner l’impression qu’il a rangé au magasin des accessoires inutiles ce type de questionnement sans ruiner de facto une grande partie du socle des valeurs et des idées dont il devrait assumer l’héritage parce qu’il tient d’elles une partie de sa légitimité ?”La succession de reniements dont Marc Crépon dresse l’inventaire désolant relève plus que d’une erreur politique au coût évidemment prévisible (des défaites électorales promises…) ; elle est une “faute morale”. Car, cet abandon de la mystique de gauche “sape le moral des individus”. En ruinant la confiance collective, il démoralise chacun. Or, “il est insupportable d’être privé de la ressource, indissociablement morale et politique, d’un crédit à accorder, et de ne trouver, en son âme et conscience, aucune raison de croire en quoi (ou en qui) que ce soit”.créponMarc Crépon, La Gauche, c’est quand ? (Equateurs, 140 p, 12 €)
Marc Crépon, Frédéric Worms, La Philosophie face à la violence (ENS, Equateurs parallèles, 204 p, 13 €)Par http://mobile.lesinrocks.com/2015/10/19/idees/pourquoi-la-gauche-est-en-train-de-totalement-disparaitre-11782069/

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