" Je suis donc inquiet lorsque je constate que certains responsables politiques, ou d'autres qui portent une parole publique et qui devraient avoir pour première ambition d'apaiser les tensions qui minent notre société, choisissent de les attiser par des propos hâtifs, haineux, ou simplement stupides, qui blessent tel ou tel groupe de nos concitoyens. (...) Je suis inquiet lorsque les pratiques du discours politique font que l'approximation l'emporte sur l'observation lucide des faits, l'amalgame sur le discernement, l'arrogance sur le respect que l'on doit aux opinions d'un adversaire. " (Bernard Cazeneuve, le 3 octobre 2015 à Strasbourg).
Finalement, l'émission n'aura pas eu lieu. Le jeudi 22 octobre 2015, Marine Le Pen aurait dû être l'invitée principale de l'interminable émission politique " Des paroles et des actes" présentée par David Pujadas. Au dernier moment, à deux heures du début de l'émission, Marine Le Pen a refusé d'y participer comme une enfant gâtée. Elle a refusé de débattre avec ses concurrents pour les régionales dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, à savoir Xavier Bertrand (LR) et Pierre de Saintignon (PS).
Cet incident n'est pas sans rappeler la défection aussi intempestive que tardive de Vincent Peillon dans l'émission d'Arlette Chabot "À de juger" du 14 janvier 2010 sur France 2, refusant d'affronter ...justement Marine Le Pen !
Il faut dire qu'à quelques semaines des élections, alors que les temps de paroles sont décomptés à partir du 26 octobre 2015, celle qui a été invitée déjà cinq fois sur les vingt-six émissions au total, soit un record toute catégorie, bénéficiait d'une faveur des médias exceptionnelle. C'est pourquoi Les Républicains et le PS ont protesté auprès de France 2 et du CSA d'une telle couverture médiatique qui contrevenait à l'équité durant une campagne électorale.
En posant un lapin à la chaîne publique, elle a permis au moins aux téléspectateurs d'éviter de tomber dans la grande confusion intellectuelle. En effet, en se branchant sur France 2, ils auraient pu se croire sur TMC qui diffusait au même moment le film "Retour vers le futur II". Le premier opus ("Retour vers le futur I"), qui est en ce moment célébré pour le trentième anniversaire de sa sortie, c'était avec papa Jean-Marie Le Pen. Entendre les propositions qui ne font que faire revenir la France dans un passé de trente voire cinquante ans, voici le programme de Marine Le Pen. Ou même, voici un film politique qui pourrait ramener les citoyens dans une période particulièrement sombre.
Ou encore, les téléspectateurs auraient pu se croire sur France 3 qui diffusait un autre film, tout aussi vieillot, "La soupe aux choux", un navet sorti le 2 décembre 1981, tant le programme lepeniste peut ressembler à cette étrange mixture faite de bric et de broc, reprenant les modes démagogiques à deux balles et les traditions idéologiques du père qu'elle a pourtant écarté de son organisation pour permettre aux chalands de venir sans crainte du qu'en-dira-t-on (j'ai déjà évoqué le fonds de commerce en détail ici). Quand l'ambition dévorante oublie d'honorer ses parents...
Beaucoup ont d'ailleurs peur de se retrouver à l'élection présidentielle d'avril 2017 avec la même affiche qu'en avril 2012, qui est celle de "La soupe aux choux", à savoir, avec Jacques Villeret (alias François Hollande), Louis de Funès (alias Nicolas Sarkozy) et Jean Carmet (alias Marine Le Pen).
Mon seul regret, car cela aurait été le seul exercice intéressant de la soirée, c'est que le face-à-face entre Jean-Christophe Lagarde et Marine Le Pen prévu a donc été forcément annulé.
Pourtant, je trouve qu'idéologiquement, cette confrontation aurait eu un sens. Le débat est effectivement bien là, pas entre la droite et la gauche, car cela ne veut plus rien dire au moins depuis 2005, mais entre le centre et les extrémismes, entre les tempérés et les excités, entre les raisonnables et les colériques, entre ceux qui apaisent et ceux qui attisent.
Entre ceux qui croient encore à la force et aux atouts de la France et ceux qui sont déclinistes, qui ne sont que de faux patriotes qui agissent systématiquement contre leur propre pays, qui ne croient pas en leur pays (au point d'être financés par une puissance étrangère).
Entre ceux qui sont pour la liberté, l'ouverture, l'esprit d'entreprise, la responsabilité, et ceux qui sont pour la fermeture, le protectionniste qui ne peut être que frileux, qui veulent revenir au passé, au très vieux passé. Entre ceux qui savent que les autres sont indispensables mais que nous pouvons aussi nous rendre indispensables, et ceux qui croient que nous n'avons besoin de personne et que nous pouvons vivre en autarcie.
Entre ceux qui sont réalistes et pragmatiques, qui savent qu'un pays de 67 millions d'habitants ne fait plus le poids dans un monde multipolaire où ce sont de grands ensembles économiques de plusieurs centaines de millions d'habitants qui font la loi, des États-Unis à la Chine, de l'Inde au Brésil, de la Russie à l'Indonésie, et ceux qui veulent ruiner les chances d'une Europe de 500 millions d'habitants, première puissance économique du monde si elle était capable de parler d'une seule voix en termes commerciaux et normatifs.
Les deux protagonistes qu'on aurait dû voir s'affronter ont, à quelques mois près, le même âge. L'une est la fille de son père et si elle est députée européenne depuis juin 2004, elle ne le doit qu'à sa filiation paternelle (dont elle a par ailleurs une bien ingrate façon de remercier) alors que l'autre, qui a "labouré" inlassablement depuis 1989 une terre de mission réputée imprenable en Seine-Saint-Denis communiste, surtout avec ses idées humanistes, est quand même parvenu à conquérir la mairie de Drancy en mars 2001 ( lieu symbole s'il en est) et la circonscription en juin 2002, et depuis, les électeurs lui ont toujours renouvelé leur confiance.
L'une ne doit sa survie politique qu'au scrutin proportionnel (européennes et régionales) sur la réputation d'une double marque (Le Pen, FN), l'autre est apprécié à titre personnel dans le cadre de scrutin majoritaire uninominal à deux tours, pour les idées qu'il développe et l'action qu'il mène sur le terrain (tant sur le logement que sur la sécurité, entre autres).
Je rappelle qu'aux législatives de mars 1993, candidat UDF-RPR, Jean-Christophe Lagarde avait été battu dès le premier tour et devait laisser place à un second tour entre un candidat communiste et un candidat du FN. Au contraire de l'élection à la présidence du FN en janvier 2011, l'élection de Jean-Christophe Lagarde à la présidence de l'UDI pour la succession de Jean-Louis Borloo n'était pas non plus gagnée d'avance face à deux anciens ministres plus expérimentés que lui, Hervé Morin et Yves Jégo.
Donc, sur le plan des personnalités, le débat se serait également fait entre le conquérant qui ne doit tous ses mandats politiques qu'à lui-même et son mérite, à son énergie et à sa force, et l'héritière, tombée un peu par hasard dans la marmite de papa et qui arrive à la tête de la PME avec un petit capital fructifié.
En attendant donc qu'un tel débat puisse se faire devant les Français, le seul qui, à mon avis, mérite idéologiquement d'être tenu, imaginons en 2016 d'autres débats médiatiques, plus pour le spectacle de la communication politique que pour son aspect constructif dans l'élaboration des convictions électorales : et pourquoi pas un débat Christiane Taubira vs Marine Le Pen ? Au moins, les choses pourront être dites les yeux dans les yeux !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean-Christophe Lagarde.
Marine Le Pen.
Jean-Marie Le Pen.
Christiane Taubira.
Programme de l'UDI.
Programme du FN.
Tout est possible en 2017...
Mathématiques militantes.
Le nouveau paradigme.
Piège républicain.
Syndrome bleu marine.