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Tako T1 de Yann et Michetz

Publié le 27 octobre 2015 par 7bd @7BD
couverture de Tako T1 de Yann et Michetz chez glénat Titre: Tako T1 Auteurs : Michetz (dessin) Yann (scénario) Editeur : Glénat Année : 1990 Page : 60 Résumé : Japon, seizième siècle, une île reliée au reste du pays par un long pont de bois vermoulu. Trois sœurs aux rancœurs exacerbées par le temps, filles d'un seigneur local aveugle, vivent dans une ambiance confinée. Rêvant de la capitale, loin des mouettes et des embruns qui forment leur banal quotidien, O-Yu, O-Hana et O-Fumi n'ont qu'un espoir de quitter cette île : Le décès de leur père, qui leur permettrait d'hériter mais leur géniteur semble avoir encore de longues années et, avec sa nouvelle courtisane, tente même d'avoir un fils. Ce qui ferait échouer les ambitions des trois sœurs. Une autre solution semble poindre à l'horizon : Un beau mariage avec un homme du pays. Mais tellement peu de gens viennent ici et il en faudrait trois ! C'est pourtant le miracle qui va se produire. Trois samouraïs les demandent en mariage avant de partir à la guerre ! Elles disposent même du luxe de pouvoir choisir. Mais la rancœur est mauvaise conseillère et cette opportunité va devenir source de rivalité. La situation va se dégrader en attendant le retour du front des trois hommes. Si ils en reviennent... Mon avis : Une histoire sombre à l'ambiance particulièrement malsaine. Sur cette île perdue, l'esprit des trois sœurs part tranquillement en vrille et les plans les plus tordus traversent leur cerveaux dérangés. Si ces mariages semblent pouvoir tout arranger, l'attente créée par cette guerre lointaine dont on n'a aucun écho est anxiogène. Chaque jour, elles veillent, au sommet d'une falaise, sur ce pont qui les rattache au reste du monde. Car de là viendra leur salut. Mais le temps ronge les patiences les plus endurcies et les trois femmes vont commencer à vouloir trouver une autre solution à leur problème. Les personnages sont bien caractérisées : O-Fumi la pure, O-Yu la perverse et O-Hana la fière. Pourtant, ces trois femmes vont tour à tour s'entendre et se détester, agir de concert puis individuellement. En fait, leur égoïsme va les conduire à leur perte. Ce même trait de caractère qui les fait agir ensemble pour commettre l'irréparable va les éloigner les unes des autres.
Tako, le titre de la BD, renvoie au poulpe, - oui, c'est son nom en Japonais – ce poulpe qui est le symbole du clan et aussi l'animal qui hante les eaux du rivage de l'île. Animal protégé par le père, malmené par O-Yu, ces tentacules qui enlacent et étouffent leur proie représentent totalement l'action psychologique qui gangrènent ces trois femmes, tentacules dangereux et vénéneux. D'ailleurs, l'histoire démarre sur O-Yu s'amusant avec un poulpe et ce poulpe - ou un autre, rien n'est moins sûr – revient régulièrement tout au long de l'histoire lors de cases muettes, miroir des situations et des tensions régnant sur l'île. En face de ces trois harpies, le père et sa courtisane Kaoru. Le vieil homme, aveugle, semble fermer volontairement les yeux sur les dépravations de ces trois enfants. S'il ne voit rien, il y a aussi tout ce qu'il refuse de voir. Quant à la jeune courtisane, elle n'a guère les moyens de faire face à la haine de ces trois femmes prêtes à tout. Cet immense huis clos étouffant pourrait être coupé d'événements permettant de souffler. Détrompez-vous ! La scène de rêve n'est qu'un cauchemar déguisé, quant aux histoires relatés par le moine itinérant, elles prennent vite une bien curieuse tournure. Il n'y a pas d'échappatoire, sauf la mort. Et elle rôde également sur cette île, avec sa compagne des mauvais jours, la folie. Une histoire qui prend son temps pour vous enfoncer dans les méandres de la noirceur des âmes. Et les choix graphiques contribuent à accentuer encore plus cette descente en enfer, voire même aux Enfers. Page 1 de Tako de Yann et Michetz chez glénat Voilà comment démarre cette histoire. Les premiers mots concluent la première page. En effet, le dessin de Michetz, habitué à cette période de l'histoire, puisqu'il s'est illustré sur la série Kogaratsu, ajoute un souffle noir au récit. Son trait réaliste permet d'apporter une vraisemblance encore plus marquée à cette histoire. Ces visages montrent des expressions fortes. Les poses des corps sont pleines de vie, alors que tout respire la mort. Les décors sont eux aussi réalistes. Mais on ne cerne jamais vraiment les lieux, comme si l'auteur se refusait à prendre du recul, à part pour voir ce pont, source d'espoir, enjamber la mer, vers une autre terre invisible. Dans cette grande demeure, cet espèce de palais, on ne s'est jamais où on se trouve. Les pièces se ressemblent et les symboles de Tako sont partout. Ce choix contribue à renforcer le huis clos. Les couleurs sont ternes et sombres, grises, sans vie, sans lumière. Même le ciel est toujours lourd et bas. Quant au feux du soir, leur éclat semble certes oranges mais bien étranges et ils projettent des ombres fiévreuses autour d'eux. Ce travail renforce également l'effet oppressant du récit de Yann. En effet, si l'histoire est désespérément noire, tout est gris à l'image. Le découpage colle à l'action. Serré, en clair-obscur lors des scènes de pluie, toujours près des corps et des visages dans les scènes d'intérieur. Seul le jour apporte un peu d'air, et encore. Les mouettes voilent l'image lors de leur passage. Les cases se chevauchent, même plus, elles semblent s'écraser les une contre les autres, ou même les unes sous les autres. Parfois, un visage ressort, à peine, pour laisser filtrer une émotion, un geste ample est contraint par les bordures, ou même coupées par ces dernières. Des cases larges pleine bande ne semblent même pas laisser assez d'espace au personnage, car la composition est travaillée de telle manière que les hommes ne semblent jamais trouver leur place dans le cadre. Cette impression est renforcée par le cadrage des cases. Plans serrés, gros plans, contre-plongée ou plongée vertigineuse, amorces, tout semble fait pour que l'image aille de travers. Car l'histoire raconte elle-même une dérive en terre ferme. Ne passez pas à côté de ce petit bijou obscur, qui semblent rabâcher une histoire éternelle, comme le ressac frappe les abords de cette île maudite. L'époque et le lieu peuvent vous faire dire : « Oh, c'est loin de nous, tout ça ! » et pourtant, en lisant, vous retrouverez quelque chose de très proche, de cette angoisse sourde que l'on peut retrouver dans les drames noir de Shakespeare. Tako, une de ces vieilles tragédies qui sait si bien nous rappeler que nos vies sont jouées d'avance par un destin farceur !
Et si vous avez craqué sur le tome 1, sachez qu'il existe un tome 2... Zéda croise O-Yu
Tako T1 de Yann et Michetz
David

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