Magazine Côté Femmes

Interview de féministe #22 : Lorenza

Publié le 28 octobre 2015 par Juval @valerieCG

Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.

Interview de Lorenza.
L'association Georges Sand dont elle est membre.

Bonjour peux-tu te présenter ? Depuis quand es-tu féministe ; y-a-t-il eu un déclic particulier ou est-ce venu progressivement ?

Alors je m'appelle Loz (c'est mon pseudo), j'ai 20 ans, j'étudie à sciences po Rennes. Je ne sais pas trop quoi dire d'autre d'important...
Je suis devenue féministe il y a un peu plus d'un an. J'avais déjà eu des conversations avec des copines un peu plus déconstruites que moi, et je comprenais les enjeux en gros. Mais c'est quand un homme avec qui je travaillais m'a fait une réflexion hyper sexiste que j'ai commencé à vraiment m'interroger et m'intéresser aux féminismes, aux débats et aux actions. Et c'est la que j'ai été un peu "aspirée" par la spirale de la déconstruction et du militantisme.

Tu parles de "déconstruction" ; qu'est-ce que cela signifie ?

Quand je parle de déconstruction je veux parler de changement de façon de penser. C'est un peu comme si on t'avait appris à marcher d'une certaine manière et tout d'un coup tu te rends compte qu'il n'y a pas que cette façon de marcher. Et qu'en plus de ça, celle qu'on t'a appris te fait mal aux pieds. Pour moi la déconstruction c'est apprendre à penser, à agir et à parler d'une façon qui ne blesse pas les femmes, et le moins de personnes possibles d'ailleurs, qui seraient victimes du patriarcat ou d'autres formes d'oppression. C'est apprendre qu'une femme qui couche le premier soir et qui a pris son pied, ben tant mieux pour elle, et qu'elle a pas à être jugée négativement pour ça. Qu'une fille qui serait qualifiée d'obese ou de grosse a le droit d'aimer son corps parce qu'il n'est pas moins beau que celui d'une autre. Que ce n'est pas "normal" d'avoir peur de sortir en jupe le samedi soir quand tu sais que tu rentres toute seule. Et commencer à prendre conscience de ça, poser des mots dessus, agir et changer sa façon de vivre les choses.

Peux-tu nous évoquer la remarque qui t'a été faite ? Etait-ce l'événement le plus sexiste auquel tu avais été confrontée jusque là ?

J'étais au boulot et je disais que les femmes n'avaient quand même pas autant d'avantages que les hommes dans la vie. Le mec me dit "Ben si quand vous sortez vous vous faites payer des trucs, vous avez les boîtes gratuites, tout ça" alors moi j'ai dit que c'était vrai, que c'était toujours sympa de faire une économie d'un verre ou deux. Et le mec me dit "Mais tu te fais payer des verres toi ?" et j'ai répondu que oui, ça m'était arrivé. Il m'a ensuite dit "AH ben ça veut dire que tu couches ensuite. Faut pas que le mec ait payé pour rien". J'étais sidérée qu'il puisse considérer que si j'acceptais des verres c'était que je "devais" avoir un rapport sexuel à la suite. Je pense pas que ce soit le truc le plus sexiste que j'ai vécu, mais c'est arrivé à un moment où j'étais peut-être plus susceptible de m'indigner, j'avais mes copines qui m'avaient parlé de trucs et ça a plus ou moins fait tilt dans ma tête, je recoupais un peu les infos dans ma tête et ça faisait beaucoup à avaler pour que l'argument "Beeh oui mais c'est comme ça" suffise.

Est-ce que ta famille est féministe ? Sait-elle que tu l'es ?

Ma mère a un rapport avec le féminisme assez compliqué: elle trouve que les causes sont souvent ou dépassées ou trop modernes, ça ne la touche pas. Et pourtant elle ne m'a pas (trop) élevée dans une idée particulière de la féminité, elle me disait toujours "il faudra que tu te trouves un mec ou une copine qui aime le ménage et ranger parce que tu n'es pas très ordonnée" et que je ferai une grande carrière, et quand elle parlait de moi en couple elle disait toujours "avec un homme ou une femme, peu importe".
En revanche mon père et ma soeur ne comprennent pas du tout mon engagement. Iels sont toustes les 3 au courant, et iels sont toujours en train de me dire que j'exagère ou que je ne devrai pas m'énerver sur tel ou tel sujet parce que ce "n'est pas si important". Mon père a souvent des réflexions sexistes, que je lui fais remarquer, il se dit qu'effectivement il est macho et sexiste mais il dit en gros que ce n'est pas de sa faute et qu'il n'est pas prêt à changer.
Le reste de ma famille élargie ne le sait pas et je crois que je préfère que ce soit comme ça car iels sont encore vraiment dans une vision "traditionnelle" de la femme mère, la femme qui cuisine, etc, et que rien que le fait que je sois en coloc avec mon mec alors que j'ai seulement 20 ans et que je fasse des études longues les dépasse à mon avis, je n'ai donc pas envie de rentrer dans ce genre de débat.

Tu parles de la peur des femmes dans la rue le soir ; est-ce quelque chose qui est pour toi courant chez les femmes ? Y-es-tu confrontée toi même ?

Je pense que beaucoup de femmes ont peur dans la rue le soir (si ce n'est toutes). Déjà parce qu'on nous élève en nous disant "ne rentre pas seule le soir", "fais attention à toi", à cause d'une grande menace: les hommes. Je comprends pas trop pourquoi on nous dit ça à nous, et pourquoi on cherche pas à résoudre le problème plutôt ? Ensuite, si personne ne t'a dit de faire attention à toi quand tu sors le soir, tu as les infos pour te faire flipper: les viols, les agressions sexuelles, sont souvent imputés ( à tort évidemment) à une tenue trop courte et au fait que la fille soit seule le soir. Et enfin, et la je pense que je j'apprends rien à aucune fille: il y a le harcèlement de rue qui t'apprend que nous les femmes, on est vulnérables et potentiellement des proies quand on sort dans la rue. Qui n'a jamais pris de réflexion inopinée sur sa façon d'être habillée ? Qui n'a jamais subit de main aux fesses ? De sifflements ? Donc je pense qu'on est toutes confrontées à ça a un moment.

Penses-tu pouvoir faire peu à peu évoluer ton père et ta sœur sur le sujet ou est-ce que cela serait trop source de conflits ?

Je ne sais pas si je pourrais faire évoluer ma famille. Je pense qu'au moins je leur apporte des pistes de réflexion de comment c'est, quand on pense différemment d'eux. De la à penser qu'iels deviendront féministes, non. Mon père parfois semble peiné que je le prenne pour un sexiste. Peut-être que le temps fera son oeuvre. Mais je pense que ça demande encore plus de volonté et de courage de soutenir les causes féministes quand on est un mec, et je sais pas s'il est capable de tant d'efforts.

Limites-tu tes mouvements parce que tu as peur dans l'espace public ? As-tu des stratégies pour avoir moins peur ? Quelles sont-elles ?

Oui ça m'arrive. Avant je ne sortais qu'en jean et en baskets, parce que j'avais peur de devoir courir. Maintenant je m'en fiche, je sors en robe très courte, mais je me débrouille pour ne pas rentrer seule. Je rentre avec mes copines, je demande à un copain de me ramener. Mais surtout je me passe mentalement des réactions que je pourrais avoir si quelqu'un venait à me faire chier. Du coup j'ai moins peur parce que je sais que je suis capable de pas me laisser intimider. Je suis sur le groupe Facebook Répondons et ça m'aide vraiment à avoir confiance en moi quand je sors.

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