Ouvert par l'Onu en juin 2013, le camp d'Al-Obaïdi, dans le
nord-ouest de l'Irak, héberge un millier de réfugiés syriens dans un
contexte très particulier: il se trouve dans un territoire que
contrôlent les jihadistes du groupe Etat islamique (EI). Aucune autre
structure d'accueil créée par l'Onu n'est dans une situation comparable.
Et ses occupants ont dû s'y adapter: les femmes circulent le visage
voilé, toujours accompagnées d'un homme, l'alcool et le tabac y sont
prohibés, de même que l'accès à internet. Contrevenir à ces règles peut
entraîner de graves conséquences, selon des témoins interrogés par la
Fondation Thomson Reuters.
A une trentaine de kilomètres
d'Al-Qaïm, du côté irakien de la frontière avec la Syrie, le camp
d'Al-Obaïdi, dans la province d'Anbar, est sous le contrôle des
jihadistes de l'EI depuis près de seize mois. Mais il reçoit encore des
vivres et des médicaments financés par l'Onu, livrés par des groupes
locaux partenaires des agences humanitaires des Nations unies.
"La
vie dans le camp d'Al-Obaïdi est pourtant meilleure qu'à l'extérieur",
confie un employé d'un groupe humanitaire irakien. "Au moins, nous y
bénéficions de services de bases, comme l'eau ou l'électricité huit
heures par jour."
Des ONG irakiennes en intermédiaires
En juillet 2014, l'arrivée de l'EI, qui venait de s'emparer de
Mossoul, plus au nord, a pris de court les réfugiés vivant dans le camp.
Pas le temps de fuir l'avancée des jihadistes. Pas moyen de s'enfuir
par la suite.
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) a
retiré lui l'ensemble de ses équipes qui travaillaient dans la province
d'Anbar et a sous-traité à deux ONG irakiennes la gestion du camp. La
Société médicale irakienne de secours et de développement (UIMS)
s'occupe de la seule clinique du camp; l'Organisation humanitaire
irakienne du salut (ISHO) a la charge de la sécurité. Aucun membre du
HCR n'a visité depuis Obaïdi.
Quelques jours après la prise
d'Al-Qaïm, des combattants de l'EI se sont rendus dans le camp. Ils ont
indiqué que les ONG irakiennes pouvaient y continuer leur travail à
condition que les réfugiés respectent la charia et que tous les logos de
l'Onu soient retirés. "Il n'y a pas eu de négociations, c'était à
prendre ou à laisser", se souvient Ali Kasem, porte-parole de l'UIMS.
Une semaine plus tard, de retour dans le camp, les jihadistes ont
exécuté trois hommes et deux femmes accusés d'être des espions. En août,
un autre travailleur humanitaire a été tué. D'après les témoignages
recueillis, des combattants de l'EI inspectent le camp au moins une fois
par mois.
Sujet délicat
Dans les premiers temps, l'aide humanitaire était livrée en petites
quantités dans des sacs noirs, sans logo, par l'intermédiaire des
partenaires irakiens des agences onusiennes. Avec l'intensification des
combats, la logistique s'est compliquée: il fallait passer des postes de
contrôles tenus par les forces régulières irakiennes puis par l'EI.
En février dernier, le Programme alimentaire mondial des Nations
unies (PAM) a cessé de distribuer de l'aide alimentaire. Le HCR a pris
le relais, faisant acheminer pour chaque réfugié deux miches de pain par
semaine. "Nous allouons aussi une trentaine de dollars par mois aux
réfugiés, même si cette somme peut varier", indique Bruno Geddo,
représentant en Irak du HCR. Les médicaments n'arrivent eux que deux
fois par an.
Dans la communauté humanitaire, nul ne dément l'existence du camp
d'Al-Obaïdi, mais sa situation si particulière gêne un peu aux
entournures. L'Unicef et l'International Rescue Committee (IRC), qui y
travaillent, refusent de dire comment ils font parvenir leur assistance.
"Discuter publiquement de négociations avec des acteurs non-étatiques
est un sujet très délicat", note Eva Svoboda, chercheuse à l'Overseas
Development Institute (ODI), un centre d'études et de réflexion
britannique spécialisé dans les questions de développement et d'aide
humanitaire. La chercheuse souligne que la même question a pu se poser
en Afghanistan ou en Somalie.
Le silence est en partie liée à la contradiction entre le droit
humanitaire - qui affirme la nécessité de fournir une aide aux civils en
temps de conflit - et les règles de lutte contre le terrorisme. Le fait
que l'EI soit considéré comme une organisation terroriste peut exposer à
des sanctions légales toute organisation fournissant de l'aide en
territoire sous son contrôle des jihadistes ou négociant avec eux.
Source : Lorientlejour