Ah, les Blacks… Toujours aussi beaux à voir, impressionnants avec leur Haka, charismatiques avec leur mythique maillot noir, fantastiques à voir jouer avec plus de 300 essais marqués en coupe du monde. Les voilà encore vainqueurs, comme la dernière fois. Même résultat, même coupe du monde ? Pas du tout.
En 2011, les All Blacks battaient en finale un XV de France qui faisait jeu égal avec eux, sur un petit score (8-7), un essai partout. Sans Craig Joubert à l’arbitrage, la France aurait même pu devenir championne du monde en Nouvelle-Zélande, après avoir battu le Pays de Galles en demi-finale. Les hémisphères nord et sud se partageaient alors l’affiche, et la plus grande nation de l’histoire du rugby gagnait sa coupe du monde d’un point, avec de la réussite. Quatre ans plus tard, le vainqueur et le même, mais tout le reste est différent.
Un naufrage pour l’Angleterre et la France.
Commençons par le commencement : l’Angleterre. Pays inventeur de ce sport fabuleux qu’est le rugby. Pays organisateur de cette coupe du monde, sa coupe du monde. Twickenham, un stade qui est au rugby ce que Maracaña est au football. Un public, des chants et une ferveur à vous faire dresser les poils ! Oui mais voilà, avec deux défaites en phase de poule, c’est la douche froide. Glaciale même. Le XV de la Rose faisait autant peine à voir que ce pauvre DiCaprio grelottant sur sa planche après le naufrage du Titanic. L’Histoire ne retiendra pas qu’ils étaient dans le groupe de la mort. Elle retiendra uniquement qu’ils ont quitté leur coupe du monde dès le premier tour.
Poursuivons avec la France, grande nation du rugby, celle du RC Toulon maître de l’Europe, celle du grand Stade Toulousain qui a également occupé cette place dans un passé pas si lointain, celle d’un XV de France finaliste en 2011, avec un Vincent Clerc meilleur marqueur d’essais de la compétition (6 réalisations) et des guerriers sur le terrain. Lors de cette coupe du monde 2015, l’illustre XV de France a offert le désolant spectacle d’une humiliation historique en quart de finale, corrigé 62-13 par des Blacks impitoyables. Le pire moment de notre histoire rugbystique.
Pays de Galles et Ecosse, valeureux mais battus.
Le Pays de Galles, vainqueur flamboyant de l’Angleterre au premier tour, au terme d’un match épique (peut-être celui pendant lequel j’ai le plus vibré devant ma télé), a fièrement défendu ses chances en quart. Face à une grosse équipe d’Afrique du Sud, qui avait son Lomu en la personne de Bryan Habana, les Dragons Rouges menaient au score en seconde mi-temps, ne cédant qu’en fin de match.
L’Ecosse, pour sa part, équipe la moins « glamour » d’Europe, « cuillère de bois » du dernier Tournoi des Six Nations (comme souvent dans son histoire), a bien failli faire mentir tous les pronostics en passant à un cheveu (de Craig Joubert encore et toujours) de battre l’Australie en quart de finale (34-35). Un manque de réussite qui ressemble à un signe du destin, le coquin ne voulant pas qu’un exploit vienne ternir son tableau : le triomphe de l’hémisphère sud.
Argentine – Irlande, LE match qui résume tout.
L’Argentine, une fois avant-dernière et trois fois dernière sur les quatre éditions du Rugby Championship, le « Tournoi du Sud » successeur de celui des Tri-Nations, n’est pas encore vraiment au niveau de ses trois rivaux sous l’équateur. Face à elle, l’Irlande, vainqueur des deux dernières éditions du Tournoi des Six Nations, sortie première de son groupe après une victoire nette et (presque) sans bavure contre la France, devait être la représentation du Nord dans le dernier carré. Le pronostic semblait facile. Seulement voilà, cette année, la plus faible équipe de l’hémisphère sud a écrasé la plus forte équipe de l’hémisphère nord (43-20). Un score cinglant pour un résultat qui a l’allure d’un symbole. Ce match dit tout de l’état du rugby mondial.
Nouvelle-Zélande VS Australie, une finale au parfum de Tri-Nations.
Nous avons assisté, n’ayons pas peur des mots et des superlatifs, à la plus belle finale de l’histoire de la coupe du monde. Les Blacks sont au rugby ce que les Brésiliens sont au football, et ils nous ont offert un match de rêve à Twickenham. Les hommes de l’emblématique capitaine Richie McCaw, avec un Dan Carter en état de grâce, avec des guerriers comme Nonu, avec de l’inspiration, de l’intensité et du jeu sur chaque phase, ont battu 34-17 une superbe équipe d’Australie. Les outsiders wallabies ont fait une remontée fabuleuse en seconde période, mais un drop génial de Carter a stoppé l’hémorragie et permis aux Blacks d’aller chercher leur victoire mille fois méritée, de rentrer encore davantage dans la légende d’un sport qu’ils dominent de la tête et des épaules. Quel frisson, ce match ! Il y a des « dieux du stade » dans les studios photo, et il y a des dieux du stade dans les stades. L’hémisphère sud est sur le toit du monde.
Pour gagner il faut jouer !
Le quart de finale au score fleuve historique, entre Français et Blacks, a parfaitement illustré la différence de jeu et d’intentions entre deux visions du rugby. En voyant les passes aux pieds lumineuses d’un Dan Carter inspiré projeter le jeu vers l’avant, en voyant les pick and go stériles des Français se planter le nez dans le gazon, on ne peut que comprendre pourquoi le verdict fut si lourd. Michalak et d’autres le disent aujourd’hui : ce rugby rude, à l’ancienne, ne suffit plus. L’effondrement de l’hémisphère nord s’explique selon moi par cette raison principale : la disparition du « French Flair » !
Le rugby est un sport de possession et de combat, certes. Mais aucune règle n’impose une phase de jeu au sol à chaque mètre gagné ou un choc frontal toutes les deux passes. Chercher la virtuosité dans les intervalles, l’évitement, la projection au pied vers l’avant, la surprise du drop, le coup de rein vers la gauche quand le surnombre est à droite, bref, chercher à utiliser toute la palette des choix possibles, à jouer avec ça, voilà ce que ne fait plus le trop calculateur et rugueux hémisphère nord. Il le paye aujourd’hui.
Un diagnostic sans appel.
Certaines voix commencent à le dire : les nations du Sud articulent leur rugby autour de leur équipe nationale, alors que celles du Nord privilégient leurs clubs. Du coup, les équipes européennes en général, et la France en particulier, ressemblent aujourd’hui fortement à l’Angleterre au football : le meilleur championnat du monde et une équipe nationale ridicule dans les grands rendez-vous. Dans les yeux des Blacks, pendant le Haka, on peut lire une détermination féroce. En face, dans les yeux français, on avait la désagréable impression de lire : « allez, encore 80 minutes de galère et je retourne dans mon club… » Je n’oublierai jamais le frisson que le XV de France m’a procuré en 1999. Le revivrai-je un jour… ?
Et le reste du monde dans tout ça…
Ces dernières années, le Tournoi des Cinq Nations a accueilli l’Italie pour devenir Six Nations, l’a vu progressé, et aujourd’hui elle ne termine plus dernière. Plus récemment, le tournoi des Tri-Nations a accueilli l’Argentine pour devenir The Rugby Championship, l’a vu progressé, et aujourd’hui elle ne termine plus dernière. Nous sommes passés d’un rugby où un top 8 mondial était loin au-dessus des autres, à un top 10 mondial qui voit les « petites équipes » de moins haut, à l’image des matchs difficiles de la France contre la Roumanie et le Canada.
Une équipe symbolise cette évolution : le Japon. Vainqueurs de l’Afrique du Sud et des Samoa en poule avec un jeu atypique, les Japonais ont séduit lors de cette compétition. L’avenir nous dira si, après une coupe du monde 2015 marquée par le triomphe de l’hémisphère sud sur l’hémisphère nord, la prochaine sera marquée par l’essor des nations émergentes du rugby mondial. Réponse en 2019… au Japon.
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