Dans ma démarche de puiser l'argument de la nécessité d'un théâtre à Fontenay il y a cette volonté de démontrer que l'expertise comptable - sur laquelle nous ne tirons pas un trait grossier - n'est pas la seule variable dont il nous faille tenir compte alors que notre socle social est altéré. À cet effet donc il me souvient qu'il y a plus de 10 ans, d'anciens membres du Conseil national de la résistance (CNR), Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, et Maurice Voutey, lançaient un appel solennel :
" Créer, c'est résister. Résister, c'est créer "
Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l'héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle.
Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et sœurs de la Résistance et des nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n'a pas totalement disparu et notre colère contre l'injustice est toujours intacte.
Nous appelons, en conscience, à célébrer l'actualité de la Résistance, non pas au profit de causes partisanes ou instrumentalisées par un quelconque enjeu de pouvoir, mais pour proposer aux générations qui nous succéderont d'accomplir trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme, pour que la flamme de la Résistance ne s'éteigne jamais :
Nous appelons d'abord les éducateurs, les mouvements sociaux, les collectivités publiques, les créateurs, les citoyens, les exploités, les humiliés, à célébrer ensemble l'anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance (C.N.R.) adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 : Sécurité sociale et retraites généralisées, contrôle des " féodalités économiques " , droit à la culture et à l'éducation pour tous, presse délivrée de l'argent et de la corruption, lois sociales ouvrières et agricoles, etc. Comment peut-il manquer aujourd'hui de l'argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l'Europe était ruinée ? Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.
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Nous appelons ensuite les mouvements, partis, associations, institutions et syndicats héritiers de la Résistance à dépasser les enjeux sectoriels, et à se consacrer en priorité aux causes politiques des injustices et des conflits sociaux, et non plus seulement à leurs conséquences, à définir ensemble un nouveau " Programme de Résistance " pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du racisme, de l'intolérance et de la guerre, qui eux-mêmes se nourrissent des injustices sociales.
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Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et les grands-parents, les éducateurs, les autorités publiques, à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. Nous n'acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944.
Magazine Société
Quand j'en appelle aux principes et valeurs du CNR au sujet de notre projet théâtre c'est pour sortir de la nasse comptable dans laquelle on voudrait l'emmailloter. Car c'est dans ce programme qui se créa dans la clandestinité d'abord puis à la Libération le socle social français qui aujourd'hui se délite sous les pressions de politiques libérales tant de gauche que de droite. Rappelons qu'à la Libération le patronat etait mécontent des réformes entreprises. Son opposition à vite été étouffée dans l'œuf tant ils'était discrédité pour avoir massivement collaboré pendant l'occupation. Les forces conservatrices n'étaient pas davantage en mesure de s'y opposer. Alors durant une trentaine d'années, le pacte social scellé à cette époque est maintenu et c'est la période dite des "Trente Glorieuses" remise en cause régulièrement par les libéraux qui puisent une forme de revanche pour imposer leurs théories économiques néolibérales aux effets les plus inégalitaires. Tout comme Manuel Valls qui déclare vouloir sortir du logiciel des Trente Glorieuses. Cela signifiant ne pas chercher les " réponses de demain" dans " les armoires du passé" et " les archives de l'histoire". Aux valeurs universelles se substituent donc çelles de la modernité d'une comptabilité et rentabilité soumises aux lois d'un marché aux effets soi disant régulateurs. Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui commence, nous voulons dire avec notre affection : " Créer, c'est résister. Résister, c'est créer ".