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Historien sensible

Publié le 05 novembre 2015 par Malesherbes

Le chercheur au CNRS, Christian Ingram, qui rompt des lances en faveur de la réédition de Mein Kampf, s’exprime ainsi dans la lettre ouverte qu’il a adressée à Jean-Luc Mélenchon : « Vos propos sur l'ignominie et l'horreur que vous inspire le projet me semblent devoir être portés au crédit de la rhétorique de votre adresse car je vous avoue réserver pour ma part mes larmes et ma nausée aux charniers de Syrie et d'Irak, aux noyés de la Méditerranée, à l'incurie étatique de Calais, et certainement pas à ce texte. » Si je comprends bien sa pensée, il juge les malheurs des réfugiés orientaux plus dignes d’inspirer de l’horreur que Mein Kampf. Je le plains sincèrement s’il ne peut pas voir que ce livre a favorisé les massacres qui ont suivi. Mais je relève surtout deux erreurs indignes d’un savant aussi disert.

La première c’est que, même si on ne cesse de tout classer, ordonner, quantifier, il est un domaine où ceci devrait être banni, c’est quand il s’agit d’hommes. La Bible nous raconte que, afin de ne pas compter les humains lors du recensement des Hébreux, on demandait à chacun de mettre un demi-shekel dans une urne. On comptait ensuite la somme ainsi collectée. Bien plus près de nous, Arthur Koestler intitulait un de ses ouvrages : Le zéro et l’infini. Il justifiait ce titre en expliquant que l’homme jouait le même rôle que le zéro ou l’infini dans une formule mathématique. Dans une fonction en effet, dès qu’une variable tend vers le zéro ou l’infini, il devient très difficile de déterminer la valeur limite de cette formule. Il en va de même de l’homme, ce grain de sable tantôt zéro, tantôt l‘infini. Quand on compte les hommes, il s’agit le plus souvent de blessés, de victimes, de morts, d’otages, tels des objets dont on tient le décompte. Il est donc vain de comparer, de vouloir établir une hiérarchie. Chaque exode, chaque massacre a ses caractéristiques mais on n’a pas à verser davantage de larmes sur l’un que sur l’autre.  

Il est certain que l’on peut être davantage sensible aux malheurs d’aujourd’hui qu’à ceux d’autrefois et cela pour une excellente raison, c’est qu’on ne peut plus rien pour ceux-ci tandis qu’il pourrait être possible d’intervenir pour limiter ceux-là. Mais c’est là une attitude de spectateur. Un scientifique n’a pas à nous faire part de ses états d’âme. Il doit considérer une situation avec les seules armes de la raison. Il est au service de l’Histoire et n’a pas à se prononcer sur ce qui nous est contemporain. Chacun de nous peut être acteur, spectateur ou indifférent, mais nul n’a le droit de se prévaloir de son autorité d’historien pour gloser sur un sujet contemporain.  


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