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Setna, c’est plus fort que soi…

Publié le 28 février 2008 par Maitrechronique
Surtout, ne pas se tromper d’histoire ni même commettre l’erreur consistant à attendre de ce disque une quelconque réplique à l’éruption incandescente et néanmoins kobaïenne de Magma. Au risque d’être fort déçu.
Parce qu’au vu du pédigrée de Nicolas Candé – leader, compositeur, batteur de Setna né voici quelques années, en évolution depuis 2004 et qui publie aujourd’hui «Cycle I», premier album du groupe – un musicien qui connaît son Christian Vander illustré sur le bout des doigts, on serait facilement tenté de croire que la musique de ce jeune normand et de ses amis va s’inscrire dans la droite lignée d’un groupe bientôt quadragénaire, qui l’a forcément hanté depuis sa jeunesse, ce qu’il sera le premier à reconnaître.
Une attente pour certains d’autant plus marquée que quelques indices supplémentaires pourraient laisser deviner une filiation directe avec leur groupe chéri : présence de James Mac Gaw, guitariste de Magma sur «Unité», très belle composition finale du disque ; diffusion de l’album sur un label dont le nom, Soleil Zeuhl, est en soi une vraie revendication artistique à visée magmaïenne ; choix de couleurs sonores dont la peinture en évoquera d’autres, avec la mise en avant d’un voire deux Fender Rhodes, d’une basse grondante (qui évoque parfois celle du Jannick Top de «Köhntarkösz» sur la composition «Connaître» mais aussi, reconnaissons-le, celle de Hugh Hopper dans les premiers albums de Soft Machine), et d’un drumming polyphonique (mais d'une remarquable discrétion, jamais le batteur ne cherchant à écraser le reste du groupe) ; paroles chantées dans une langue inconnue aux intonations mystérieuses (dont la douceur féminine évoque cependant plus l’Ellul Noomi que le guttural et viril kobaïen). Sans parler d’une prochaine participation du groupe à un prochain hommage à la musique de Christian Vander (la réalisation d’«Hamtaï !» n’ayant pas donné pleine satisfaction à son initiateur, ce dernier remet le couvert et envisage une réplique où la plupart des participants seront de retour pour un étrange bis, pourquoi pas après tout...).
Et pourtant… Durant une heure, là où Magma crache une lave brûlante et multiséculaire et vous serre à la gorge, Setna vous embarque pour un voyage en eaux calmes, où l’obscurité de la nuit sur l’océan cède petit à petit la place aux lueurs du jour, sans que jamais le bateau ne soit menacé de chavirer. On pourrait souhaiter une tempête, une houle menaçante, on pourrait désirer le danger, la peur… Vraiment ? Car si le vent souffle parfois dans les voiles de cette embarcation, jamais celle-ci ne semble menacée de se retourner et de précipiter ses passagers vers les profondeurs. Et celui qui est du voyage ressent très vite les bienfaits d’une respiration à pleins poumons.
Les forums de musique dite progressive – je ne sais pas vraiment ce que recouvre cette expression un peu désuète mais c’est ainsi que souvent ils se dénomment – bruissent ici où là d’une certaine déception : ce disque serait trop «mid-tempo», un peu trop monocolore, pas assez ceci, trop cela… Mais, plutôt que de minauder, ne conviendrait-il pas ici de lancer un appel général et durable à l’écoute réitérée ? Qu’on pourra appliquer à toutes formes de musiques d’ailleurs en cette ère de zapping permanent où tout doit être dit en quelques instants… Parce s’il est effectivement très aisé de passer à côté de la musique de Setna au premier coup d’oreille – on me pardonnera cette drôle de formule – il semble bien que son piège délicat se referme assez vite sur vous dès lors que vous aurez opté pour la solution consistant à y revenir et à vous donner le temps de laisser s’installer en vous ses nuances subtiles. Retenue, sobriété et sincérité : tels sont peut-être trois des maîtres mots de la démarche artistique de Nicolas Candé.
Tentez l’exercice, très simple, consistant pour commencer à vous concentrer exclusivement sur son jeu de batterie : goûtez les caresses toutes en retenue sur les cymbales, guettez ce drôle d’instant qui précède la frappe sur les peaux, les frisés délicats sur la caisse claire… Il y a là tout le travail d’un musicien inspiré et conscient (et pour le connaître personnellement, je peux vous assurer que l’homme est au quotidien en parfaite harmonie avec l’artiste) qui mérite d’être souligné. Une fois opérée cette première découverte, vous n’aurez que le choix de prêter une oreille nouvelle aux entrelacs savamment tissés par le Fender Rhodes et le minimoog, à goûter aux volutes apaisées d’un saxophone soprano jamais hurlant mais dense cependant («Intuition» ou «Connaître») ; peut-être confondrez-vous le chant de Setna avec celui des sirènes, peut-être serez-vous heureux de vous laisser emporter par le chorus rageur de James Mac Gaw dans «Unité» qui emmène ses compagnons d’un jour vers des contrées qui évoquent sur la fin le meilleur de Santana, à l’époque du mystique et indémodable «Caravanserai».
Peut-être… C’est tout le mal que je vous souhaite.
D’un point de vue «philosophique», il est bon aussi de préciser que Setna n’est pas Magma non plus, loin s’en faut me semble-t-il : là où Christian Vander prône une sorte de dissolution verticale du moi qui doit «s’évanouir dans l’espace» de la célébration d’un être supérieur omniscient devant lequel l’individu n’est rien, la quête de Nicolas Candé est plutôt intérieure et vise au contraire un accomplissement personnel, elle dessine un chemin pour l’individu qui donne son sous-titre du disque : de la pénombre à la conscience. Musique de l’éveil et de la lumière, la mélodie de Setna vous prend par la main plus qu’elle ne vous désigne comme un terrien condamné.
Et puis… Faut-il finalement se lancer dans le jeu des comparaisons et des filiations ? S’il est vrai qu’on dessine d’autant mieux l’avenir qu’on connaît parfaitement son passé et ses origines, la musique de Setna, bien qu’héritière d’autres courants – parmi lesquels, à ne jamais oublier, ceux de l’Ecole dite de Canterbury avec ses groupes somptueux que furent Hatfield & The North ou bien National Health – existe en elle-même et se révèle des plus prometteuses.
Souhaitons à Nicolas Candé et ses complices un beau et long voyage. A chacune de leurs escales, nous nous proposons d’être présents pour les écouter nous raconter leurs aventures.
Setna
Nicolas Candé : batterie ; Christophe Blondel : basse ; Florent Gac : Fender Rhodes ; Nicolas Goulay : Rhodes et minimoog ; Guillaume Laurent : saxophone soprano ; Natacha Jouët : voix.
Pour en savoir plus sur Setna : http://sesame7.free.fr
En écoute : "Ombres", extrait de "Cycle I" de Setna

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