Une nouvelle édition de la compilation “1” inclut cinquante vidéos rares et restaurées, comme celles de “Penny Lane” ou de “Strawberry Fields forever”. Rencontre avec le principal artisan de cette restauration.
Il restait donc quelques pistes à explorer dans le catalogue des Beatles ! Après une multitude de rééditions des disques, concerts et raretés, voici donc les vidéo clips, ou plutôt les films promos, puisque, dans les années 60, nous étions encore loin de la déferlante MTV. Sur le front de l'image, les Beatles étaient plutôt du genre pionniers et le DVD/Blu Ray, qui sort aujourd'hui, présente rien moins qu'une cinquantaine de films restaurés (vingt-sept dans la version simple). Que Jonathan Clyde, homme à tout faire assez smart des disques Apple, est allé présenter dans les cinémas du monde entier. De Los Angeles à Tokyo, via Paris. Où il nous a reçus, près de l'Etoile, affable et détendu, après la visite de l'expo Warhol.
Pourquoi avoir attendu si longtemps avant d'exhumer ces films ?
Après le succès de la compilation de leurs tubes (« 1 »), en 2000, qui a dépassé toutes les attentes, EMI avait proposé de rééditer tous les films promos que les fans des Beatles demandent depuis longtemps à voir ou revoir. Mais Ringo, Paul – et George à l'époque – n'y voyaient qu'une manœuvre commerciale et n'étaient pas chauds du tout. Ils ont fini par se convaincre que ces films avaient un intérêt artistique, et par s'investir dans le projet. Mais il a fallu, ensuite, partir à la recherche des bandes. Ce qui n'était pas une mince affaire. Apple avait conservé quelques films, certains en très bon état, mais pour d'autres, dont les copies s'étaient dégradées, nous avons dû passer des petites annonces.
Pour Penny Lane, par exemple, une des pièces essentielles de cette rétrospective, nous avons fait appel à un collectionneur américain. Et pour les films de la BBC, c'est un ancien employé de la chaîne qui nous a apporté une aide précieuse. A une époque où la BBC avait décidé de faire le ménage dans les bandes pour gagner de la place, il a sorti celles des Beatles en douce. Il était horrifié de les voir partir à la poubelle. On a eu la chance qu'il se fasse connaître.
Les Beatles ont-ils inventé le vidéo-clip ?
Il existait déjà des petits films pour accompagner certains morceaux de jazz dans les années 30 ou 40, alors je n'irais pas jusqu'à dire qu'ils l'ont inventé, mais ils étaient très en avance sur leur temps. Leur travail avec Richard Lester pour Quatre Garçons dans le vent et Help leur a donné beaucoup d'idées. A l'époque de ces films, le cahier des charges était simple : porter leur musique à l'écran, puisque le public en réclamait toujours plus, mais en trouvant d'autres formes que la comédie musicale qui leur semblait désuète.
Richard Lester débordait d'énergie créative, il leur faisait jouer plusieurs rôles, plusieurs scènes dans le même morceau. Il leur a appris à se libérer des carcans, à mêler le réalisme à une fantaisie légèrement surréaliste. Et il les a encouragés à tourner eux-mêmes leur propres films. Après Help, tout le monde voulait qu'ils fassent ensemble un autre film, mais ni Lester ni les Beatles n'étaient partants. Pour aller où ? Ils adoraient travailler ensemble et Richard Lester est toujours très ému quand on évoque leur collaboration, mais ils avaient le sentiment d'avoir été jusqu'au bout d'une formule, et même de l'avoir un peu délayée sur le tournage de Help.
Comment leur approche de ces films a-t-elle évolué au fil des années ?
Au début, il s'agissait juste d'être présents partout où on les demandait. En 1965, ils ont convenu avec Brian Epstein, leur manager, que le meilleur moyen serait d'envoyer des films dans tous les pays où ils n'avaient pas le temps, ni la force, de se rendre. Ils ont alors choisi un réalisateur pour enregistrer cinq morceaux en une journée de l'automne dans un studio de Twickenham. Ils l'ont fait de manière assez classique, avec des farces un peu désuètes, mais avec beaucoup de charme et d'humour, et un naturel qui a donné aux spectateurs l'impression de les voir vraiment tels qu'ils étaient. Beaucoup plus que dans leurs films, où ils cherchaient quand même à être des acteurs.
Ensuite, ils ont collaboré avec Michael Lindsay-Hogg, le réalisateur d'une célèbre émission pop Ready steady go qui les a poussés à être plus ambitieux, à filmer en 35 mm et en couleurs. Mais c'est vraiment avec le film de Strawberry Fields forever qu'ils ont commencé à considérer ces objets promotionnels comme de véritables formes d'expression artistiques. Ils étaient curieux de tout. De peinture, de théâtre, de cinéma. Ils se faisaient projeter des films de Bergman ou de la Nouvelle Vague et, par l'intermédiaire de leur ami Klaus Voorman, bassiste mais aussi dessinateur, ils ont rencontré un jeune réalisateur suédois Peter Goldman. Avec lui ils se sont véritablement lâchés. Dans le registre de l'époque. A fond dans le psychédélisme ! Pour A day in the life, ils ont continué leur exploration en décidant de filmer le grand orchestre qui les accompagnait, à l'aide de cinq petites caméras dont ils ne savaient pas ce qu'elles iraient chercher. Le montage est étonnant. Tout à fait dans le ton de l'époque lui aussi.
Où ces films étaient-ils montrés ?
Je me le suis demandé en réalisant cette rétrospective. Je me souviens d'avoir vu certains de ces petits films dans l'émission Top of the pops, où les Beatles ne se rendaient pas. Mais il n'y avait pas tant de place que ça pour la musique à la télévision. Et la BBC était encore très rigide, pas très portée sur les délires formels. Les films étaient envoyés partout dans le monde mais on ne garde aucune trace de leur diffusion et on ne sait donc pas dans quel contexte ils ont été vus. J'aimerais bien savoir dans quel pays Strawberry Fields a été montré à l'époque.
Vous avez un faible pour un de ces films en particulier ?
Ceux que j'ai cités. Et aussi Hey Bulldog qui a une histoire particulière. Avant leur départ pour l'Inde, les Beatles devaient tourner, en quatrième vitesse, une bande promo pour Lady Madonna. Une équipe est venu les filmer à Abbey Road où ils enregistraient. Comme ce jour-là, ils travaillaient sur Hey Bulldog, le clip était juste constitué d'images de studio sur lesquels on avait plaqué la musique de Lady Madonna. Dans les années 90, quelqu'un est retombé, chez Apple, sur les bobines du tournage et les a raccordées avec la chanson qu'ils enregistraient vraiment. C'est très émouvant : ce sont les seules images des Beatles en train d'enregistrer à Abbey Road. On sent vraiment la singularité du courant qui passait entre eux.
Publié le: Samedi 7 Novembre 2015 - 23:30Source: telerama