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Interview de féministe #27 : Audrey

Publié le 09 novembre 2015 par Juval @valerieCG

Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.

Interview de Audrey.

Bonjour, peux-tu te présenter ?

Je m'appelle Audrey, j'ai un peu plus de 25 ans, je viens d'obtenir un bac + 5 en droit des affaires, je serai bientôt demandeuse d'emploi. Je suis une femme blanche, cisgenre, agnostique, hétéro-romantique mais + - asexuelle. Je viens d'une classe moyenne à aisée. Je souffre d'une maladie génétique orpheline, j'ai été diagnostiquée à 14 ans, j'ai des difficultés d'élocution. Depuis quelques temps, je fais des recherches et des démarches pour détecter un haut potentiel (autrement dit, HQI, surdoué ou zèbre) ainsi qu'un syndrome d'Asperger. En plus de tout ce que je viens de décrire précédemment, je serais donc neuroatypique, à bien des égards. Politiquement, je me définis comme étant "de gauche" (bien que de nos jours, je pense que le clivage droite/gauche ne veut plus rien dire), je me définis comme trotskiste et libertaire. J'ai des tendances anarchistes. Autre chose importante, je suis childfree.

Depuis quand es-tu féministe et quel a été le déclic s'il y en a eu un ?

Je dirais que je suis "féministe" depuis toujours, même si je n'ai mis le mot dessus que récemment. Déjà petite, je n'étais pas une gamine "genrée". Je n'aimais pas les poupées, je ne portais pas de robes, j'avais une sainte horreur du rose. Je n'ai jamais fait la différence entre les filles et les garçons, d'ailleurs, j'ai été élevée avec un frère qui a un âge proche du mien et aussi loin que je me souvienne, mes parents ne nous ont pas donné une éducation genrée. Je jouais avec ses jeux et inversement, nous avions des jeux en commun. Je vois par contre la différence avec ma petite soeur, âgée de 8 ans, qui est très genrée. Je ne sais pas si c'est imputable à une différence d'éducation (mon frère et moi avons été élevés par nos grands-parents maternels, pas ma soeur) ou si, me concernant, c'était lié à la forme d'autisme dont je suis peut-être atteinte. Il faut dire que petite, je n'avais pas réellement conscience du monde extérieur, j'étais dans ma bulle, dans mon monde, j'avais tout simplement d'autres préoccupations que les autres petites filles de mon âge.

J'ai toujours été hypersensible, justicière dans l'âme. Probablement est-ce dû au fait que je me sentais déjà différente, "pas normale". J'ai un passé médical assez lourd (j'ai fait au moins 18 ans d'orthophonie, j'ai été opérée plusieurs fois), et j'ai l'impression que mon enfance, comme mon adolescence ont été "volées". Je n'ai donc pas eu le loisir de me pencher sur ces questions, bien que j'avais conscience qu'il y avait des injustices dans un système comme le nôtre.
D'ailleurs, bien que très intéressée par la politique - au sens strict, pas au sens du spectacle de guignols que nous donnent les politiciens - je ne suis pas très intéressée pour participer à cette mascarade. Le système tel qu'il est en ce moment ne me convient pas, je ne tiens pas à le cautionner en votant. Ce n'est pas une position facile à assumer, étant donné que beaucoup de personnes ont essayer de me culpabiliser, mais je ne démords pas. J'ai des convictions, j'essaie de m'y tenir au mieux, et tant pis si ça ne plaît pas.

Déjà au lycée, je me revendiquais comme étant de gauche. Nous étions alors en plein boom de l'élection présidentielle que 2007, et surprise, mon entourage était essentiellement de droite. à l'époque, je me revendiquais déjà comme libertaire. Ce n'est plus tard que je me suis définie comme communiste. J'étais au courant qu'il y avait des inégalités hommes/femmes, avec ma mère on s'insurgeait de voir les catalogues de jouets avec du rose pour les filles (et des caisses enregistreuses, des caddies, des cuisines et des poupées) et du bleu pour les garçons. Je me souviens aussi qu'on m'engueulait parce que je n'aimais pas du tout faire le ménage (et je n'aime toujours pas), mais je ne sais pas si c'est parce que mes parents estimaient qu'en tant que femme je me devais de savoir faire le ménage, ou s'ils auraient aimé que je les aide un peu plus à la maison. J'ai bien évidemment été confrontée au harcèlement de rue, surtout qu'entre temps j'ai commencé à mettre des jupes et à porter des talons, ainsi que du maquillage. ça s'est fait assez naturellement, c'était là, mais je n'avais pas encore mis de mot dessus.

C'était il y a à peu près trois ans que j'ai compris que j'étais réellement féministe. J'étais plus ou moins "en couple" avec un homme cishet, mais je n'étais pas intéressée par le côté sexuel de la chose. J'ai donc toujours refusé de coucher avec, de manière plus ou moins explicite. Puis, il m'a dit clairement qu'il n'était pas intéressé par une relation, mais la seconde d'après il était en train de me tripoter. Pendant des semaines, je me suis sentie sale, humiliée, j'avais une impression bizarre. J'ai vécu dans le déni, jusqu'à ce que des gens que je rencontre me fassent prendre conscience que j'avais vécu une agression sexuelle.
étant très sensible, ça m'a profondément remuée, j'ai fait des crises d'angoisse et j'ai échoué mon année à cause de cela. J'ai réellement pris conscience que j'étais féministe lors de la légalisation du mariage pour tous, j'ai eu des débats assez houleux avec des membres de ma famille, farouchement contre. J'ai eu le déclic, et j'ai commencé à lire sur le féminisme, tout d'abord via Madmoizelle. Puis j'ai découvert Paye ta Schnek. C'est là que mon militantisme s'est réveillé. Je venais de plonger dans l'engrenage et dès lors, il n'était plus possible de revenir en arrière.

Tu dis que tu es hétéro-romantique et + ou moins asexuelle peux-tu définir ces termes ?

Nous vivons dans une société hétéro-normée, où chacun est hétérosexuel par défaut. Or, je distingue l'attirance romantique et l'attirance sexuelle. Mon côté hétéro-romantique est attiré par les hommes cishet, tandis que je n'ai pas/peu d'attirance sexuelle. J'ai des grosses difficultés à éprouver du désir physique pour quelqu'un.e ce qui me bloque dans toute tentative d'avoir une relation. Je ne souhaite pas être sollicitée pour des rapports sexuels. Bien sûr, j'ai déjà essayé d'en avoir, j'en ai déjà eu, mais je n'ai pas trouvé cela particulièrement transcendant. Si on ajoute à cela un possible Asperger et mon traumatisme dû à l'agression sexuelle dont je parlais précédemment, je n'ai vraiment pas envie de faire du sexe. Cela fait peu de temps que j'ose me revendiquer comme asexuelle, avant je
pensais que j'étais juste bizarre.

Tu dis avoir vécu une enfance où tu ne correspondais que peu aux stéréotypes féminins (jouets, vêtements) puis tu soulignes avoir adopté des habillements considérés comme féminins ; saurais-tu expliquer ce changement ?

Pour moi, les vêtements, le maquillage ne sont pas là pour satisfaire un quelconque diktat de la beauté. Je sais que ces injonctions existent, mais je n'en ai jamais réellement tenu compte. J'ai toujours eu une personnalité tournée vers l'intérieur, sans réelle conscience du monde qui m'entoure, de fait, je fais ce que j'ai envie comme j'ai envie. J'ai longtemps affirmé haut et fort que je me moquais bien du regard des autres. Au lycée, je me teignais les cheveux selon mes envies, peu importe si j'étais déjà harcelée pour d'autres raisons. Aujourd'hui, je considère mon apparence comme un outil politique. On nous dit de ne pas porter trop court, de ne pas se maquiller comme un camion volé? Peu importe, j'ai le droit d'être habillée comme je veux lorsque je me promène dans l'espace public et les autres n'ont aucun droit de regard sur mon apparence. J'ai envie de me montrer au monde comme je souhaite être et ce n'est pas pour quelques relous ou des personnes pudibondes que je vais m'empêcher de porter comme je veux. Si aujourd'hui je me maquille, je mets des talons et des robes/jupes, c'est pour me réapproprier des choses qui sont traditionnellement associées aux femmes. C'est pour me réapproprier mon image, et qu'on arrête de me sexualiser parce que je m'habille d'une façon ou d'une autre. Mon message pourrait être: "je me maquille? Je porte des jupes? Je mets des talons? Et alors?!" Je me réapproprie des codes genrés féminins, c'est une façon comme une autre d'affirmer ce que je suis, ce que je fais, c'est pour moi et pas pour les autres. Une femme ne devrait pas être soupçonnée de se faire belle pour plaire à qui que ce soit. Et celles qui le font effectivement pour plaire, où est le problème? C'est aussi ça le féminisme,c'est avoir le choix d'être ce que l'on veut peu importe l'avis des autres.

Est-ce que tu considères avoir déjà reçu des remarques sexistes au sujet de ta maladie génétique et de tes difficultés d'élocution ?

Des remarques sexistes, pas à proprement parler, mais j'ai déjà été victime de validisme, ça c'est clair. Concernant la question des enfants, par exemple - je développerai un peu plus mon point de vue dans la question suivante - j'ai toujours affirmé haut et fort que je n'en veux pas. Je disais ça quand j'avais 15 ans, puis 20, puis 25. Ca n'a toujours pas changé. J'ai su que ma maladie pouvait occasionner des retards d'apprentissage ou de développement. Par exemple, j'ai eu une puberté assez tardive. Lorsque je dis que je ne veux pas d'enfants, on me claque dans la figure que c'est normal que je n'en veuille pas POUR L'INSTANT, parce qu'en raison de ma maladie, j'ai des retards, donc comme j'ai des retards, ça viendra un jour. Je ne sais vraiment pas comment faire pour que mon choix soit reconnu comme un choix valable et irrévocable. Apparemment, ma maladie ne me permettrait pas de faire des choix, contrairement à toutes les femmes. C'est assez douloureux à entendre. J'ai souvent eu l'impression qu'en raison de ma maladie, de mes difficultés d'élocution, j'étais moins "femme" que les autres, que j'avais moins de valeur, que je ne pouvais pas plaire à un homme. D'autant plus qu'on m'a dit pas plus tard que cette année que mon handicap pouvait peser dans la balance si jamais quelqu'un se décidait à entrer en relation avec moi. Apparemment, beaucoup d'hommes s'arrêteraient à ça. En sus du validisme j'ai aussi subi de l'âgisme. J'ai un visage très juvénile, des grands yeux innocents, et une naïveté qui pourrait être caractéristique des asperger.
Les personnes que je rencontre n'en reviennent pas que j'ai 25 ans. On me donne facilement 18-20 ans. Ce qui est un problème dans le monde du travail car nous manquons de crédibilité.

Qu'est-ce qu'être childfree ?

Les childfree, ce sont des femmes qui ont décidé, en leur âme et conscience, de ne pas avoir d'enfants. La société nous matraque sans cesse avec l'idée selon laquelle pour être heureuse, une femme se doit d'avoir enfanté. Limite, avoir des enfants EST une obligation. En ce qui me concerne, je n'ai JAMAIS voulu d'enfant, de quelque façon que ce soit. Je ne me voyais pas mère, même quand j'étais enfant, je ne jouais pas à la maman, ce genre de jeu. Je n'ai jamais eu le soi-disant instinct maternel. Cela fait à présent quelques temps que je dis à qui veut l'entendre que je ne souhaite pas enfanter. Je me prends pléthore de remarques, du style "tu changeras d'avis" avec le regard complice qui signifie MOI JE SAIS. Ou alors "c'est parce que tu n'as pas rencontré le bon", ou alors "t'es jeune, t'as le temps de voir", "tu risques de le regretter". Ces injonctions me mettent les nerfs en pelote. La plupart des gens que je connais sont en couple/ont des enfants. à mon âge. Quand j'ose dire "mais, c'est pas un peu jeune pour avoir des enfants?" je me fais violemment rembarrer à coups de "t'es qui pour décider si c'est jeune ou pas, elles font ce qu'elles veulent!" D'accord. Mais dans ce cas, quand MOI je dis que je n'en veux pas, pourquoi on n'applique pas le même principe? Pourquoi je suis trop jeune , trop égoïste, que je ne sais pas ce que c'est la vie, que je vais finir seule avec mes chats, qu'avoir un enfant, c'est ce qu'il y a de plus beau? Sincèrement, je me pose la question. Je fais des angoisses à cause de cela, je n'aime pas les enfants, je suis très mal à l'aise quand il y en a un dans le coin. Je me sens nauséeuse rien qu'à m'imaginer enceinte, en fait, la simple idée de la grossesse me révulse. J'ai un rejet violent de
tout ce qui a trait à la maternité, et je me sens incomprise par mon entourage, qui pensent que c'est une phase, que ça va me passer. J'ai été touchée par la vague de haine qu'il y a eu suite au documentaire web de ces femmes qui ont choisi de se faire stériliser, parce que j'envisage de le faire mais j'ai l'impression de faire quelque chose de criminel. En tant que childfree, je défends farouchement le droit à l'IVG et ça m'attriste de le voir reculer. Aujourd'hui, je suis fatiguée de me battre pour faire respecter mon choix, j'ai l'impression de brasser du vent car les mentalités ne changent pas assez rapidement.

Tu parles de validisme et d'âgisme. Peux-tu définir ces termes ?

Le validisme et l'âgisme sont tous deux des oppressions systémiques qui reposent respectivement sur le rapport de domination valides/handicapé.es et le fait d'être discriminé par rapport à son âge. Les personnes valides sont beaucoup plus privilégié.es que les personnes non-valides, dans le sens qu'iels ont plus facilement accès à l'emploi, qu'ils sont mieux payés, qu'on ne les accuse pas d'être assistés, que leurs compétences ne sont pas remises en causes parce qu'ils n'ont pas de handicap. Une personne victime d'âgisme sera considérée comme "trop jeune" ou "trop vieille" - surtout les femmes, d'ailleurs. Chez les hommes on parlera d'expérience, une femme sera tout simplement trop vieille. Pourquoi cette différence? Il faut aussi savoir que les jeunes femmes sont nettement moins crédibles dans le monde du travail. Les gen.tes doutent encore plus de leurs compétences, râlent quand elles prennent du galon, bref, une femme jeune qui réussit bien sa vie est généralement assez mal vue. L'âge est aussi un prétexte pour nous infantiliser complètement. Nous ne serons jamais suffisamment matures pour prendre des décisions lourdes de conséquences, ou pour avoir des responsabilités...à Hollywood d'ailleurs, les femmes d'un certain âge sont boudées au profit de femmes plus jeunes. Le dernier exemple ? Monica Bellucci, qui si je ne me trompe pas avait été choisie pour incarner une James-Bond girl. Monica commence à vieillir, il est vrai, mais elle fait beaucoup plus jeune que son âge. Pourquoi dans ce cas ne pas avoir choisi une actrice de cet âge pour camper un personnage de cet âge? C'est un bel exemple d'âgisme.

J'ai fait des études de droit. C'est un milieu assez élitiste, assez classiste. J'ai cependant remarqué qu'il y avait de plus en plus de femmes dans les amphis. Si ça résout le problème du sexisme? Probablement pas, car elles sont nombreuses à avoir intégré le sexisme. Pas plus tard que cette année, j'ai recommencé à traîner avec des filles, et j'ai entendu de sacrées horreurs: slutshaming, grossophobie...En fait, en tant que personne, je n'ai pas été victime de sexisme à proprement parler. Il y avait surtout de l'homophobie - en particulier aux environs de la légalisation du mariage pour tous. Je me souviens de cette chargée de TD qui était victime de rumeurs persistantes concernant sa sexualité. J'ai envie de dire elle aime les femmes, et alors? En quoi ça la rend moins compétente qu'une autre? Par contre, et ça, je l'ai remarqué, c'est qu'il y a beaucoup plus d'enseignants hommes que de d'enseignants femmes. Et c'est encore un gros problème dans l'enseignement supérieur.

Ta famille sait-elle que tu es féministe ? Qu'en pense-t-elle ?

Pas vraiment. De même, peu de personnes de mon entourage savent que je suis féministe, parce que je ne le crie pas sur tous les toits. Cependant, depuis quelques temps, j'ai commencé à relayer des publications féministes, parce que je vois bien trop d'horreurs dans ma timeline. J'y parle de consentement, de harcèlement de rue, d'IVG, et le pire, c'est que des personnes pas déconstruites me reprochent de trop me plaindre. Mon père et mon frère ne se doutent pas que je suis féministe. Ma mère le sait. Elle a quelques idées féministes, mais c'est une féministe TM. Je crois que c'est un mot qui fait peur. Je n'ai pas envie de passer mon temps à expliquer que oui, je suis féministe, et non, je ne suis pas une lesbienne misandre (et sinon, où serait le mal, franchement?) La dernière fois que je disais en quoi voter FN est problématique notamment au regard du droit des femmes, et par rapport à l'IVG, mon frère s'est marré et il a fait "bon moi je me casse", sous-entendu j'ai pas envie d'entendre des sornettes.

Peux-tu nous donner des exemples de discriminations que tu as subis pendant tes études par rapport à ton handicap ?

J'en ai évidemment vécu plusieurs. Surtout cette année, en fait. La première, c'était à l'occasion d'un concours d'éloquence, organisé entre différentes facs à un niveau national. Nous étions une équipe (trois cismecs, j'étais la seule fille) et un des plaideurs a fini par abandonner le navire. L'enseignante qui nous a encadrés craignait que j'aille plaider en soulignant à plusieurs reprises que j'avais un défaut d'élocution. Ce que j'ai très mal pris, parce que je ne voyais pas en quoi j'étais moins capables que ces cismecs ou l'autre équipe de filles. Le pire, c'est d'avoir insisté sur le fait qu'on devait représenter la fac, que des gent.es important.es allaient être présent.es, ce genre de choses. La seconde, c'était toujours à cause de la même enseignante. Je lui ai posé des questions sur l'éventualité de solliciter une agrégation pour être enseignant.e chercheur.se, car la recherche c'est vraiment mon domaine. Elle m'a clairement fait comprendre que ce n'était pas la peine parce que les places étaient très chères (dans le sens rares) et que je n'avais pas beaucoup de chances de l'obtenir en raison de mon élocution. Autant dire que des métiers comme avocate ou magistrate, ce n'est même pas envisageable. Enfin, des personnes de ma connaissances, lorsque je recherchais mon stage, m'ont dit de ne pas hésiter à me faire embaucher comme travailleur.se handicapé.e. Bah oui, les entreprises ont des quotas.
Je trouve d'ailleurs, en tant que concerné.e que cette histoire de quota est une vaste fumisterie. J'aimerais être embauchée pour mes compétences, mon savoir-faire, mon expérience et non parce que je suis handicapée. Je n'ai pas envie d'être réduite à mon handicap. C'est une particularité, OK, ça fait partie de moi, OK, mais je ne suis pas QUE ça. De plus, n'ayant "que" des difficultés d'élocution, je ne me sens pas légitime à solliciter ces aides. Je bénéficie d'un bon passing, c'est à dire que bien qu'étant potentiellement discriminée en raison de ce handicap, je peux néanmoins passer pour une personne valide, car ce n'est pas marqué sur ma tronche que j'ai des difficultés d'élocution. Je suis relativement passe-partout, aussi je refuse d'entendre parler de cette histoire de quotas.
De la visibilité, oui, bien sûr, ce serait même le nec plus ultra, mais je ne suis pas un quota. Je suis un individu à part entière, avec sa sensibilité, son intelligence, ses idées, ses compétences, et je n'ai pas envie d'être déshumanisée pour faire du chiffre.

Tu parles de "féministe "TM" ; peux-tu expliquer la signification de ce terme ?

L'expression Féministe TM est souvent utilisé dans les milieux militants comme un terme péjoratif. Ces mots désignent les féministes blanches, cisgenre, hétérosexuelles, valides qui, sous couvert de libération de la femme, utilisent des procédés néo-colonialistes pour conformer toutes les femmes à leur vision du féminisme. Ce mouvement ne tient absolument pas compte des différences culturelles, religieuses, de genre, d'orientation sexuelle. Chez ces féministes, j'ai remarqué de l'homophobie, de la transphobie, du racisme et surtout, de l'islamophobie. Ce sont des blanches qui vont s'ériger en "white saviors" [sauveuses blanches] pour voler à la rescousses des femmes qui sont oppressées par le voile islamique (alors que certaines d'entre elles ont délibérément décidé de le porter, par choix et non parce qu'on les y oblige) Les Femen sont, à mon sens, représentatives de ce mouvement féministe. Leur dernier coup d'éclat, très médiatisé, a révélé une islamophobie latente. Un peu moins récemment, il y a eu Lou Doillon qui a fustigé Beyoncé et Nicki Minaj, en leur reprochant d'avoir une
attitude dégradante parce qu'elles se dénudent de manière délibérée dans leur clip pour dé-sexualiser le corps de la femme. Je crois aussi que "osez le féminisme" est un mouvement qui s'en rapproche. On reproche aussi aux lectrices de Madmoizelle d'être un peu trop féministes TM. Ce n'est pas du tout ma vision du féminisme. Je me considère comme étant une féministe intersectionnelle, c'est à dire que je m'emploie à promouvoir la liberté pour tout.es. J'essaie de ne pas voir le monde à travers le spectre de la femme blanche hétérosexuelle. Je considère que les femmes musulmanes ou racisées n'ont pas besoin de nous pour mener leurs propres combats, elles sont dotées d'une conscience et elles font des choix, exactement comme nous. En tant que femme blanche et athée, je n'ai pas le droit de leur imposer ma vision de ce que doit être la femme. Je n'ai pas le droit de dire que le voile, c'est mal. (de toute façon, je ne le pense pas) Je trouve qu'il est prétentieux de penser que notre devoir (en tant que femme blanche ) est de leur ouvrir les yeux sur les oppressions qu'elles subissent.
C'est pour ça que dans des discussions qui dénigrent le féminisme, j'en ai ras le bol d'entendre "mais occupez vous des femmes voilées d'abord". Ce n'est pas à moi de le faire. Ce n'est pas non plus une façon de me dé-responsabiliser par rapport à ça, parce que je ne suis pas légitime dans ce combat, n'étant pas concernée. Ce que l'on déplore à propos des féministes TM, c'est qu'elles se mêlent de tout, et surtout de ce qui ne les regarde pas. On doit aussi apprendre à
se taire, rester à notre place, ne pas "piquer" la visibilité aux autres et ramener la couverture à soi. C'est très important.

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