10 novembre 2015 / Tiffany Blandin (Reporterre)
Avis défavorable de la commission chargée de statuer sur son utilité publique, gouffre financier pour des acteurs publics endettés, désengagement des partenaires privés, impacts environnementaux, existence d’une alternative chiffrée… rien n’a, pour l’instant, fait dévier le gouvernement de son obstination à faire sortir de terre la ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Bordeaux à Toulouse et à l’Espagne.
« J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer. » Alain Rousset, le président de la Région Aquitaine, avait le sourire le 26 septembre dernier quand il a indiqué que Manuel Valls avait validé le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO). Et pour cause, il a bien cru que sa LGV ne verrait jamais le jour. Certes, le Conseil d’État doit encore donner son aval avant que ne démarre le chantier de cette nouvelle ligne qui doit partir du sud de Bordeaux puis se scinder en deux pour desservir Toulouse et l’Espagne, dans la continuité de la ligne Tours-Bordeaux. Mais le gouvernement a l’air résolu à mettre ce projet sur les rails. En effet, en choisissant de poursuivre sa validation, l’exécutif a tout bonnement ignoré l’avis négatif de la commission chargée de statuer sur l’utilité publique d’une telle ligne. Cela ne s’était jamais vu pour un projet d’une telle envergure.
Dans le Sud-Ouest, quasi-unanimité contre la LGV
Cette décision peu commune n’a pourtant pas surpris les opposants à la LGV. « Dans ce dossier, on n’en est plus à une aberration près ! » lance Denise Cassou, du collectif d’associations girondines Coordination vigilance LGV. Il est vrai que le projet est démesuré : 327 kilomètres de lignes nouvelles au milieu des vignobles et sites naturels, 65 millions de mètres cubes de terre déplacés, 9,5 milliards d’euros d’investissement (soit près de 17 fois le coût de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes !). Et l’affaire n’est pas plus raisonnable quand on y regarde de plus près, comme le prouve la carte publiée en bas de cet article par Reporterre. Voilà pourquoi depuis dix ans, la population du Sud-Ouest se bat contre ce projet. Là-bas, la LGV fait quasiment l’unanimité contre elle. Sur les 20.000 riverains, élus, associations et chefs d’entreprise qui ont donné leur avis pendant l’enquête publique, 92 % étaient contre.Premier grief des opposants, les LGV coûtent trop cher. C’est même la Cour des comptes qui le dit. Son rapport sur la grande vitesse ferroviaire publié en automne 2014 estime que le modèle du tout-TGV est « à bout de souffle, au coût devenu insupportable ». « Les LGV sont des aberrations économiques, complète Raymond Girardi, maire d’Argenton et président d’Alternative LGV, une association d’élus opposés au GPSO. En France, ces lignes sont toutes déficitaires, parce que leur coût est trop élevé. Et, comme il se répercute sur le prix des billets, les usagers se rabattent sur l’automobile, le covoiturage ou l’avion. »« Le réseau historique est dans un état déplorable »
D’ailleurs, le secteur privé est en train de faire l’amère expérience du gouffre financier que représente la grande vitesse. Le groupe de BTP Vinci, qui a financé près de la moitié de la « grande sœur » de la LGV du Sud-Ouest, la ligne Tours-Bordeaux, a adressé une lettre à Manuel Valls expliquant que, sans intervention de l’État, la société créée pour l’exploitation de la ligne« sera très prochainement en situation de défaut vis-à-vis de ses prêteurs ». La raison ? En échange de son investissement, Vinci avait négocié de toucher pendant 50 ans les redevances versées par la SNCF pour pouvoir faire circuler ses trains. Mais comme les prévisions de fréquentation sont finalement trop basses, la compagnie ferroviaire refuse de programmer plus de 15 aller-retour quotidiens. Alors que Vinci tablait sur une bonne dizaine de trajets supplémentaires.Si cet échec commercial se confirme, les sociétés privées refuseront de financer le projet GPSO. Autrement dit, il faudrait alors trouver 9,5 milliards d’euros dans les caisses de l’État, des collectivités locales et de SNCF Réseau, ex-Réseau ferré de France (RFF), l’établissement public propriétaire des voies ferroviaires.De surcroit, le groupe SNCF (qui comprend SNCF Réseau) affiche une dette de 44 milliards d’euros, qui va encore gonfler ces prochaines années, puisque le géant du ferroviaire est actuellement engagé dans quatre chantiers de LGV. « La SNCF paie déjà 2 milliards d’euros d’intérêts chaque année, soit 20 % de son budget, dit à Reporterre Gilles Savary, le député PS de la Gironde, spécialiste des transports. C’est inadmissible. Ces sommes devraient être consacrées à la rénovation du réseau historique qui, à force d’être délaissé, est dans un état pitoyable. Cela en devient dangereux pour les usagers. » Ces dernières années, les accidents se sont en effet multipliés. En juillet 2014, à Denguin, près de Pau, la collision de deux trains avait fait une cinquantaine de blessés. L’incident était dû à un dysfonctionnement électrique qui avait déréglé les feux de signalisation.- La gare de Toulouse-Matabiau.
« Ça ne pouvait pas être pire »
Pour se consoler, les opposants à la nouvelle ligne peuvent toujours lire le dossier du maître d’ouvrage. SNCF Réseau y cite plus de 1.200 fois le terme « développement durable », se targue de prévoir plus d’un milliard d’euros pour compenser les dégâts environnementaux, et estime que les effets de la LGV sur la biodiversité seraient « faibles à négligeables ». Malheureusement, la promesse est balayée d’un revers de main dans le rapport d’enquête publique : « Les impacts (…) seront plus importants que faibles à négligeables. »Au total, 4.830 hectares d’espaces naturels seraient directement impactés par la LGV. Dont le bassin versant du Ciron, une zone humide exceptionnellement préservée, probablement le site le plus fragile de la région. Et c’est à cet endroit précis que SNCF Réseau a choisi de placer le raccordement des deux parties de la LGV, ainsi qu’un barreau ferroviaire pour relier les deux voies, coupant ainsi une trentaine de cours d’eau. « Je ne m’explique pas pourquoi cette installation a été placée là. Ça ne pouvait pas être pire, se morfond Alexandra Quénu, chargée de mission pour Natura 2000 dans la Vallée du Ciron. Le site va être enclavé dans un triangle de rails. En plus, pendant les années que dureront le chantier, le bassin va être massacré, entre les déplacement de terre, le désherbage chimique, l’écoulement des eaux perturbé. »- Le vignoble de Sauternes.
Le financement de la LGV Tours-Bordeaux
En réalité, il y a une autre raison à cette obstination. Si le Grand projet du Sud-Ouest déraille, c’est tout le projet de la ligne jusqu’à Paris qui disjoncte. Pour comprendre, il faut remonter à 2011. Cette année-là, l’État peine à boucler le financement de sa nouvelle ligne, la LGV Tours-Bordeaux. Alors, l’idée d’impliquer les collectivités locales de l’Aquitaine et des Midi-Pyrénées dans ce projet surgit. Cinquante-huit communes, départements et régions sont démarchés. Au total, 1,01 milliard d’euros a été promis par les collectivités d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées, non concernées par cette ligne. En échange, l’État signe un protocole qui conditionne ces financements à la prolongation de la LGV vers Toulouse et l’Espagne.Alors, avec le rapport d’utilité publique négatif, les têtes de l’exécutif local ont vu leurs rêves deLGV s’évanouir. Beaucoup ont donc retiré leurs billes de la liaison Tours-Bordeaux, dont la région Midi-Pyrénées. En février dernier, 795 millions d’euros n’avaient toujours pas été versés par les collectivités locales. Pas sûr que la situation se soit débloquée, car le secrétariat d’État aux Transports n’a pas souhaité nous communiquer les nouveaux chiffres.Considérant les enjeux, que fera le gouvernement si le Conseil d’État ne valide pas le projet ? Le cas s’est déjà présenté, avec la LGV Poitiers-Limoges. En décembre 2014, la haute juridiction a remis un avis négatif concernant cette ligne. Un mois plus tard, le projet a été officiellement validé.
LE TRACE ABERRANT DE LA LGV DU SUD-OUEST
- Tracé de la LGV Sud-Ouest à destination de Toulouse et de l’Espagne.
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Source : Tiffany Blandin pour ReporterreDessin : © Red !/ReporterrePhotos :
. TGV Atlantique : Flickr (Patrick Janicek/CC BY 2.0)
. Matabiau : Flickr (David McKelvey/CC BY-NC-ND 2.0)
. Sauternes : Flickr (Angel de los Rios/CC BY 2.0)
. Technicentre : Flickr (patrick janicek/CC BY 2.0)http://www.reporterre.net/Ce-projet-fou-de-LGV-en-Aquitaine-que-le-gouvernement-essaie-d-imposer