Contrats et marchés publics : le sous-traitant d'un candidat évincé peut avoir intérêt à agir contre le contrat du candidat retenu (Conseil d'Etat)

Publié le 13 novembre 2015 par Arnaudgossement

Par arrêt n°391183 du 14 octobre 2015, le Conseil d'Etat a jugé que le sous-traitant d'un candidat dont l'offre a été rejetée à la suite d'un appel d'offres peut avoir intérêt à agir pour demander la suspension ou l'annulation du contrat conclu. L'ouverture du recours en annulation et en suspension de l'exécution d'un contrat administratif aux tiers se confirme.

Les faits. Dans cette affaire, la société Pyxise, sous-traitante du groupement Garniou/Moreschetti Axians dont l'offre a été rejetée, a saisi le juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision de rejet de l'offre du groupement précité du 2 mars 2015 et à la suspension de l'exécution de ce marché ; que par une ordonnance du 3 juin 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis a fait droit à la demande de suspension de l'exécution du marché et rejeté le surplus des conclusions de la société ; que le pourvoi de la région Réunion tendant à l'annulation de cette ordonnance doit être regardé comme dirigé contre ses articles 1, 2 et 4 ;

Le précédent "Département de Tarn-et-Garonne". Par un arrêt d'Assemblée n°358994 rendu le 4 avril 2014, le Conseil d'Etat avait jugé que "tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles" :

"2. Considérant qu'indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité ; que les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat ; que ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ; que la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini ; que, toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l'Etat dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l'excès de pouvoir jusqu'à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet ;"

Aux termes de cet arrêt fort commenté, la Haute juridiction a considérablement ouvert le recours tendant à l'annulation d'un contrat administratif ou de certaines de ses clauses non réglementaires divisibles, en permettant aux tiers de former un tel recours.

L'arrêt "société Pyxise". L'arrêt rendu ce 14 octobre 2015 par le Conseil d'Etat s'inscrit dans la continuité de l'arrêt "Département de Tarn-et-Garonne". La Haute juridiction ouvre au sous-traitant d'un candidat évincé le droit de former un recours tendant à l'annulation ou à la suspension du contrat conclu.

L'arrêt précise :

"5. Considérant que si la société requérante n'est pas un concurrent dont la candidature ou l'offre a été rejetée ou qui aurait été empêché de présenter sa candidature, et si en sa seule qualité de société susceptible d'intervenir en qualité de sous-traitante, elle ne justifie pas d'un intérêt lésé pouvant la rendre recevable à contester la validité du contrat en cause, il ressort des pièces du marché que l'offre d'un des groupements candidats reposait sur la technologie que fournit cette société ; que, dans ces conditions, elle justifie être lésée par la conclusion du contrat litigieux de manière suffisamment directe et certaine pour être recevable à en demander l'annulation ainsi que la suspension ; "

Aux termes de cet arrêt

- la seule qualité de sous-traitant ne suffit pas à elle seule à démontrer l'intérêt à agir de celui qui demande l'annulation et la suspension de l'exécution d'un contrat administratif

- le sous-traitant doit justifier "être lésé par la conclusion du contrat litigieux de manière suffisamment directe et certaine". Tel est le cas lorsque l'offre non retenue du candidat dont il est le sous-traitant reposait sur sa technologie.

En d'autres termes, c'est au cas par cas que le juge administratif, saisi d'une demande d'annulation et de suspension de l'exécution d'un contrat administratif, devra apprécier l'intérêt à agir du sous-traitant d'un candidat évincé.

Arnaud Gossement

Cabinet Gossement Avocats

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(...)

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; que, lorsque le tribunal administratif est saisi d'une demande contestant la validité d'un contrat, le juge des référés peut être saisi, sur ce fondement, d'une demande tendant à la suspension de son exécution ; que lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de ce contrat et conduire à la cessation de son exécution ou à son annulation, eu égard aux intérêts en présence, il peut ordonner la suspension de son exécution ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis que le 19 mars 2015, la région Réunion a conclu avec la société Nextiraone un marché public intitulé " Wi-fi régional grand public ", ayant pour objet la fourniture, la maintenance et les travaux d'aménagements accessoires pour la mise en oeuvre d'une solution de bornes d'accès public gratuit au réseau internet sans fil dite " Hotspot Wi-Fi ", sur plusieurs sites identifiés de l'île de La Réunion ; que la société Pyxise, sous-traitante du groupement Garniou/Moreschetti Axians dont l'offre a été rejetée, a saisi le juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision de rejet de l'offre du groupement précité du 2 mars 2015 et à la suspension de l'exécution de ce marché ; que par une ordonnance du 3 juin 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis a fait droit à la demande de suspension de l'exécution du marché et rejeté le surplus des conclusions de la société ; que le pourvoi de la région Réunion tendant à l'annulation de cette ordonnance doit être regardé comme dirigé contre ses articles 1, 2 et 4 ;

3. Considérant que pour ordonner la suspension du marché litigieux, le juge des référés a relevé qu'il appartient au juge des référés, saisi de conclusions tendant à la suspension d'une " mesure d'annulation ", de prendre en compte, pour apprécier la condition d'urgence, d'une part, les atteintes graves et immédiates que l'annulation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux intérêts du requérant et, d'autre part, l'intérêt général ou l'intérêt de tiers, " notamment du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la mesure demandée ", qui peut s'attacher à l'exécution immédiate de cette mesure ; qu'en se fondant ainsi sur une règle de droit non applicable à la demande de suspension de l'exécution du marché en litige dont il était saisi, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis a entaché son ordonnance d'erreur de droit ; que par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, les articles 1er, 2 et 4 de l'ordonnance attaquée doivent être annulés ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension de l'exécution de ce marché, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

5. Considérant que si la société requérante n'est pas un concurrent dont la candidature ou l'offre a été rejetée ou qui aurait été empêché de présenter sa candidature, et si en sa seule qualité de société susceptible d'intervenir en qualité de sous-traitante, elle ne justifie pas d'un intérêt lésé pouvant la rendre recevable à contester la validité du contrat en cause, il ressort des pièces du marché que l'offre d'un des groupements candidats reposait sur la technologie que fournit cette société ; que, dans ces conditions, elle justifie être lésée par la conclusion du contrat litigieux de manière suffisamment directe et certaine pour être recevable à en demander l'annulation ainsi que la suspension ;

6. Considérant, toutefois, que les moyens invoqués par la société requérante à l'encontre du contrat en litige, tirés de l'absence de publication au Journal officiel de l'Union européenne et de délai minimum de réponse de cinquante-trois jours, et de ce que ce contrat méconnaît l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales et l'article 10 du code des marchés publics ne sont pas de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité du marché en cause ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la condition d'urgence ni sur la fin de non-recevoir opposée par la région Réunion à la demande de suspension du marché en litige, cette demande doit être rejetée ;

8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la région Réunion qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Pyxise la somme de 4 500 euros à verser à la région Réunion au titre de ces mêmes dispositions pour l'ensemble de la procédure ;


D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er, 2 et 4 de l'ordonnance du 3 juin 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la société Pyxise tendant à la suspension de l'exécution du marché en litige et ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Pyxise versera à la région Réunion une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la région Réunion, à la société Pyxise et à la société Nextiraone.