Artistes et marques : une longue histoire

Les artistes et les marques ont toujours cheminé ensemble, c'est ce que Géraldine Michel révèle dans Quand les artistes s'emparent des marques (Dunod, 2015). Depuis la naissance du concept de marque, jusqu'à notre époque où les marques symbolisent des modes de vie, les artistes les ont utilisées pour ponctuer leurs œuvres ou les dénoncer. Peinture, musique, cinéma, vidéo, etc. : l'auteur analyse et interroge ce phénomène, permettant de découvrir le foisonnement d'œuvres issues de cette relation, abondamment illustrée dans l'ouvrage.

Marketing Community : Quelle sélection d'artistes avez-vous faite pour cet ouvrage ?
Géraldine Michel : Mon idée première dans ce projet consistait à rassembler différents types d'artistes (peinture, photo, cinéma, littérature...), de différentes époques et nationalités. Nous avons donc opéré une sélection très large, à laquelle nous avons ajouté des " coups de cœur ".

Nous avons souhaité proposer un livre accessible au grand public sur le questionnement des marques qui sont omniprésentes dans notre société et notre objectif était de comprendre pourquoi et comment les artistes les intègrent dans leurs œuvres. Le travail était considérable, nous n'avons pas pu tout analyser, nous avons donc placé en fin d'ouvrage une sélection de 50 œuvres supplémentaires pour aller plus loin.

Que révèle votre étude sur le rapport des artistes aux marques ?
C'est le cœur du sujet. Les artistes utilisent les marques dans leurs œuvres avant même le Pop art. Leur utilisation varie dans le temps : au départ, la marque est un repère géographique ou temporel. Ainsi, quand Manet fait figurer la bière Bass dans son œuvre " le bar des folies bergères ", il montre la diversité sociale de la population qui fréquente le lieu. Cézanne, encore, qui représente le journal l'Evénement dans un tableau, l'utilise comme un message à son père dont il espérait la reconnaissance.

Plus tard, les marques donnent un aspect réaliste à l'œuvre, ainsi Hergé les utilise dans Tintin pour ancrer son personnage dans la réalité comme lorsqu'elles s'invitent dans les films de James Bond ...

Les artistes contemporains, quant à eux, prennent un vrai plaisir à jouer avec les marques. Speedy Graphito indique que c'est une façon d'entrer en connivence avec le public...
Les artistes s'amusent à transformer les marques, écraser des canettes, sublimer ou faire dégouliner des logos. Et tous ces jeux rendent la marque vivante. Dans le film Logorama, les marques sont de véritables personnages et ont subi un véritable casting pour figurer dans le film.

" Soit l'artiste cherche à exprimer les valeurs de la marque, soit il va les parodier et les confronter à la réalité de la société. "

Est-ce que le rapport des artistes aux marques est très différent selon les époques ?
Ce n'est pas certain. À toutes les époques les marques ont été à la fois sublimées ou au contraire dénoncées, boycottées. Au début les marques constituaient un témoignage de réalisme, mais aujourd'hui on a dépassé cela. Les marques sont porteuses de valeurs, elles apportent du sens. Soit l'artiste cherche à exprimer les valeurs de la marque, soit il va les parodier et les confronter à la réalité de la société. Les artistes ont en général un message percutant qui marque d'autant plus le public qu'il s'appuie sur la symbolique de marques bien connues de tous.

Les marques sont de plus en plus riches et forcément elles sont aujourd'hui utilisées avec toute leur richesse dans les œuvres, elles renvoient à des significations sociales, incarnent des personnages, réveillent des émotions, jouent sur le sentiment de nostalgie... .

Comment les marques se servent-elles de ce lien avec les artistes ?
Certaines marques ont bien compris la richesse qu'elles pouvaient retirer du monde artistique. Ainsi Heinz a collaboré avec The Who en leur envoyant des produits pour réaliser les photos de leur pochette de disque et savait que l'utilisation de sa marque par un groupe de musique reconnu permettrait de la faire rentrer dans la culture populaire. Pour les marques, c'est désormais le " Graal " de figurer dans une œuvre artistique. Certaines marques ont l'intelligence de rebondir par rapport aux œuvres qui sacralise leur marque comme objet culturel. C'est le cas de Chanel qui n'hésite pas à rappeler le travail sérigraphique d' Andy Warhol sur le parfum N° 5 ou bien encore le cas de Boucheron qui remémore à ses clients l'œuvre de Marcel Proust citant la marque Boucheron. Au final, les entreprises réutilisent, revisitent ces œuvres artistiques pour nourrir leurs marques car elles comprennent bien que ces représentations faites par les artistes font partie de l'histoire de la marque et de sa trace laissée dans la mémoire collective.

Quand les artistes s'emparent des marques
Géraldine Michel, Stéphane Borraz
Collection: Hors collection, Dunod
2015 - 176 pages - 192×250 mm
Voir la fiche détaillée du livre