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Le Brady juste avant la fin des cinémas de quartier

Publié le 24 novembre 2015 par Les Lettres Françaises

bradyDerrière une façade criarde surmontée d’un néon bleu, une double cour des miracles. Celle des films de série Z et des fictions anarcho-délirantes de Jean-Pierre Mocky, projetés à deux pour le prix d’un. Et celle que forment les spectateurs de ces bizarreries cinématographiques : « une accumulation de gueules de traviole, burinées par le travail, la rue, l’alcool et le malheur, qui ferait fuir n’importe qui ». Nous sommes en l’an 2000 au Brady, un des derniers survivants de l’âge d’or des salles de quartier à Paris. Jacques Thorens est alors caissier-projectionniste de ce lieu où montrer un film relève plus du bricolage que de la technique. Dans son premier livre, Le Brady, cinéma des damnés, il relate cette expérience avec humour et délicatesse.
Et il en faut, pour éviter le mépris ou la condescendance que les drôles de clients du Brady suscitent souvent chez les cinéphiles plus classiques. Égarés par hasard dans ce « temple de l’épouvante ». Dedans-dehors, Jacques Thorens a la posture idéale pour raconter sans juger ni hésiter à se moquer un peu. Car « il y a des limites dans le n’importe quoi », ironise-t-il lorsqu’il rapporte l’anecdote d’un policier demandant à un SDF installé sur une grille de déplacer un peu sa bâche, pour laisser les piétons circuler. L’auteur se met volontiers en scène dans son personnage de « glandeur » bulgare qui, après des études de cinéma et d’arts graphiques, s’est retrouvé à jouer de la guitare à la caisse du Brady. Et à combler ses lacunes en matière de nanars et de détresse humaine.

Le Brady, cinéma des damnés est le journal de bord de ce projectionniste bien heureux d’échapper à la froideur des multiplexes. Succession de notes ficelées comme de courtes nouvelles, ce livre offre un voyage rythmé comme un cabinet de curiosités. Propriétaire du cinéma jusqu’en 2011, Jean-Pierre Mocky est l’un des farfelus principaux du quotidien burlesque décrit par Jacques Thorens. « Une tête brûlée qui fait du cinéma quoi qu’il arrive, avec un vieux peigne à cheveux et trois clous », résume le chroniqueur. Autour de cet original, s’activent toutes sortes de travailleurs. Bénévoles pour la plupart. C’est à qui aura la tête la plus déglinguée. « Il regrettait que les acteurs d’aujourd’hui ressemblent à des préservatifs en caoutchouc, sans âmes ».

Au Brady, le sexe ne se limite pas aux paroles joyeusement provocantes de Mocky. Il est partout. Sur l’écran, dans Gorge profonde (1972) de l’Américain Gérard Damiano, dans Ilsa, la louve des SS (1975) de Don Edmons et dans bien d’autres sommets d’un mauvais goût de carton-pâte qui connût son apogée dans les années 60-70. Et surtout, dans la salle. Connu des homos peu fortunés, le Brady servait en effet de lieu de rencontres, et plus si affinités. Les toilettes du cinéma sont d’ailleurs un autre thème récurrent des textes de Jacques Thorens. De cette lecture, on sort nostalgique d’une époque que l’on a pas connue. À moins d’avoir été copain avec Laurent le bissophile et ses amis amateurs de cinéma bis.

Anaïs Heluin

Le Brady, cinéma des damnés, Jacques Thorens, Verticales, 353p, 21 €.



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