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Vers un art populaire

Publié le 10 juin 2008 par Eric Viennot

Pbgep2045 A l’occasion des Ubidays et de l’officialisation de Beyond Good & Evil  2 (pas sûr d’ailleurs qu’il sorte sous ce titre), Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft, a fait une déclaration qui n’a pas été très appréciée des journalistes spécialisés, s’inquiétant que le jeu prenne une orientation trop casual. « Nous avons constaté que de nombreux joueurs avaient particulièrement apprécié Beyond Good & Evil. Mais nous avions un autre public à l’époque. Nous avions plus de core gamers, que de joueurs plus occasionnels (...) Nous pensons que le jeu était un peu trop difficile pour le joueur moyen. Nous allons donc faire en sorte de rendre cette suite plus accessible, nous assurer qu’elle est en accord avec le nouveau public qui s’intéresse désormais aux jeux vidéo. »
La plupart des commentateurs se sont focalisés sur la question de la difficulté du jeu, mais peu ont souligné les conséquences plus générales de cette déclaration que, pour ma part, je juge plutôt positives.

Pour moi l’échec commercial de BGE tient davantage au public de l’époque (5 ans - 6 ou 7 ans quand sortira BGE 2- c’est énorme dans notre industrie) et à la façon dont le jeu a été marketé qu’à la difficulté du jeu. Ubisoft a eu du mal à positionner ce titre au gameplay et à l’univers peu classiques. L’univers décalé de BGE, inspiré de Miyazaki (Porco Rosso), avait effectivement de quoi dérouter un certain nombre de joueurs. L’éditeur a donc tenté une stratégie conservatrice qui n’était pas à la hauteur de l’ambition du jeu : vendre BGE comme un jeu hardcore, ce qu’il n’est pas à mon sens. J’assurais à l'époque la promotion d’In Memoriam 1 chez Ubisoft. J’ai pu assisté aux présentations de BGE qui étaient faites au même moment. Les commerciaux passaient en boucle les extraits les plus spectaculaires et les plus « hardcore » du jeu. Leur crainte était visiblement que la dimension poétique et narrative soit mal perçue. A leur décharge, Ico, sorti l’année précédente, était resté comme l’exemple type du jeu artistique et poétique, encensé par la critique, mais boudé par les joueurs.
Il est probable que l’accueil mitigé de BGE soit dû en partie à ce mauvais positionnement. Mais Ubisoft avait-il d’autres choix à l’époque ? Les hardcore (surtout adolescents) ne sont pas forcément retrouvés dans ce jeu engagé, à l’univers décalé (une héroïne fille un peu garçonne, accompagné d’un cochon bougon) et au gameplay jouant plus sur la variété que sur la profondeur.

Depuis Rayman, Michel Ancel a toujours tenté de rendre ses jeux accessibles au plus grand nombre, n’hésitant pas, par exemple, à dépouiller au maximum l’interface de King Kong, quitte à éliminer les jauges de munitions, ce que lui ont reproché certains hardcore gamers. L’univers humoristique et poétique qui est la patte de Michel Ancel, et qui, à mon sens, en fait le plus japonais des créateurs occidentaux, n’a pas pu trouver son public sans doute parce qu’il est arrivé trop tôt. Michel a su anticiper dès le début des années 2000, l’évolution des codes du jeu vidéo, dûe en particulier au vieillissement du public des joueurs et à l’arrivée de nouveaux entrants (filles notamment). C’est une excellente nouvelle qu’Ubisoft, aidé par l’émergence du casual gaming, ait constaté ce changement de mentalité et d’habitude et soutienne désormais cette orientation. Plutôt que de rendre les jeux plus faciles, il s’agit de rendre désormais les jeux plus accessibles, à l’image d’Assassin Screed par exemple. Ce n’est pas tout à fait pareil. Entre les jeux hardcore d’un côté, consommateurs de temps, et majoritairement difficiles d’accès, et l’aspect purement utilitaire des jeux casual, dépouillés d’ambition artistique, cela conforte l’existence de cette voie du milieu que j’avais évoquée dans ce blog, l’an dernier. Cette troisième voie, en devenant progressivement majoritaire, permettra de voir apparaître des jeux plus adultes. Elle facilitera le développement de cet art populaire que personnellement j’appelle de mes vœux.

PS : pour ceux qui n'ont pas encore eu la chance de l'avoir entre les mains, je signale la sortie de l'excellent magazine Amusement. Dans une maquette très classe qui rappelle Graphis (une référence!), ce magazine, se démarque des autres avec des contenus et des articles de fond, loin des sempiternels tests et news. Ouf ça fait du bien !

Illustration : Beyond good and evil, 2003


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