(Mon texte va uniquement s'intéresser au concept de consentement féminin dans les couples hétérosexuels et en Occident.)
On voit actuellement, émanant des mouvements féministes, émerger beaucoup de projets autour du consentement en matière sexuelle. Des féministes tentent donc d'inculquer l'idée qu'il faut s'assurer du consentement avant de pratiquer tel ou tel acte sexuel et proposent par exemple des ateliers autour du consentement comme cette initiative anglaise.
Face à ces initiatives, on voit surgir énormément de résistances en particulier masculines ; le motif le plus évoqué étant que "cela va fait tomber l'excitation".
Tout mon article servira à démontrer, au travers d'exemples, que le non consentement féminin est à la fois considéré comme sans importance mais aussi et surtout profondément excitant. Vous constaterez que les exemples sont fort différents les uns des autres ; quoi de commun entre un peintre du XVIIIème siècle et une comédie populaire des années 2010. C'est justement là que réside, à mon sens, l'intérêt de l'argumentation. Toutes nos pratiques culturelles sont imprégnées et ce, depuis des siècles, par l'idée que les violences sexuelles sont érotiques, séduisantes, excitantes et que le non-consentement féminin, en plus de n'avoir pas grande importance est excitant. Bien sûr il faudrait nuancer cette assertion ; cela dépend qui prend la femme qui ne consent pas. Pendant des siècles, le viol n'existait pas comme nous l'entendons aujourd'hui. Le viol conjugal n'existait pas et il était souvent fréquent que le viol par un inconnu soit considéré comme grave parce que le violeur avait pris le bien d'un autre, pas parce qu'il avait violé une femme.
Nous vivons une situation assez schizophrénique ; d'un côté on nous explique que rien n'est pire que les violences sexuelles et de l'autre nous sommes conditionné-es à être excitées par leur représentation. Pire nous sommes mêmes fasciné-es par certains agresseurs sexuels si tant est qu'ils ne correspondent pas à l'image d'Epinal du violeur : Matzneff, Polanski, Deen, Cosby, Polac. La liste est longue.
Se tient en ce moment au Musée du Luxembourg à Paris, une exposition nommée "Fragonard amoureux. Galant et libertin". Vous pouvez trouver sur le site du musée la présentation de l'exposition. Un certain nombre de tableaux nous permet de constater la profonde ambigüité occidentale face au sexe et aux violences sexuelles. Le tableau La résistance inutile nous montre une servante face à son maître. C'est un thème qu'on retrouve beaucoup dans l'exposition. On peut et on doit évidemment questionner la question de la possibilité de consentement d'une domestique du XVIIIeme siècle (ou du XXIeme - Carlton - ) face à un homme riche et puissant. S'il existe dans l'exposition des scènes de viol plus explicites, celle-ci n'en est pas une ; étudions le traitement pictural de la femme. Fragonard nous dit qu'il y a quelque chose de l'ordre du non consentement dans ce tableau en l'intitulant "La résistance inutile" mais il rend aussi ce possible non consentement ambigu ; d'une main la femme repousse l'agresseur et de l'autre elle le regarde et lui sourit. Ses mains disent non mais son regard dit oui ; phrase qui ne vous sera pas étrangère puisqu'on la retrouve assez souvent dans les défenses de violeurs. Le tableau montre donc une possible scène de viol ; il est difficile de la savoir mais présentée de façon ambiguë et fortement érotisée.
On est ici dans un parfait exemple de nos profondes ambiguïtés face à la violence sexuelle ; le non consentement devient excitant. Le non consentement est peut-être du consentement ; le consentement et le non consentement sont au fond semblables, se ressemblent et nous excitent également. Les femmes disent non et pensent oui ; il suffit de les pousser un peu. C'est une caractéristique de l'érotisme occidental, en tant que pratique culturelle destinée à procurer de l'excitation sexuelle aux membres d'une société donnée à un temps donné. On la retrouve beaucoup dans le porno des années 90. Il semble que certains scenarii actuels se fassent toujours une spécialité de mettre en scène le non consentement féminin. Dans beaucoup de pornos des années 90, on voit une femme surprise par un homme inconnu. Au départ elle prononce un non catégorique qui devient rapidement un oui devant l'insistance et les gestes de l'homme. Il ne nous viendrait pas à l'idée de considérer qu'on parle "d'agressions sexuelles" puisque la femme a bien dit non et que l'homme a eu des gestes sexuels à son égard pourtant c'est bien de cela qu'il s'agit. La femme à force d'insistances, se déchaîne et devient sexuellement active et incontrôlable. Il ne s'agit pas - précisons-le d'emblée - de condamner le porno. Le porno peut simplement, comme la peinture, le cinéma non pornographique, les séries télévisées, la publicité renseigner sur une société à un moment donné. Le porno peut donc nous aider à comprendre ce qui excite une société donnée à une époque donnée et sur nos représentations genrées.
Mais revenons à Fragonard. Le commissaire d'exposition, à part sur un ou deux cartouches, n'a pas jugé utile ou pertinent, de traiter de cette question du non consentement féminin dans l'imaginaire érotique occidental. Voici ce que dit de cette première peinture le site culture.fr : "Fragonard élague la scène en supprimant les meubles et se concentre sur l'essentiel : le jeu entre l'homme et la jeune servante, qui entend se défendre. Fragonard joue avec les formes; comme celle de l'édredon et les sous-entendus coquins, commente le commissaire."
Il est donc clair, qu'encore au XXIeme siècle, la question du non consentement féminin, est vue comme excitante, comme un "jeu". Qu'encore aujourd'hui, on peut nous présenter des scènes à tout le moins ambiguës en matière de consentement, comme érotiques.
Voici un autre tableau nommé Le Verrou. Le même site en dit "Avec le Verrou, on est dans le jeu libertin de la femme qui hésite et de l'homme déterminé. La femme semble inquiète mais on ne sait pas si elle fait semblant ou non" poursuit le commissaire. "Il y a quelque chose de dramatique dans l'organisation du tableau et la question ; est ce un jeu ou non ? ne semble pas réglée".
Cette scène a été choisie comme affiche pour l'exposition et se montre donc un peu partout dans Paris ; on constate donc qu'une peinture sur laquelle il existe une ambiguïté quant à ce qu'elle représente - un viol ou un acte consenti - a été choisie pour illustrer une exposition sur le sexe et l'amour. Je ne trancherais pas quant à ce que cette peinture désigne ; déjà parce que je n'en ai pas les compétences artistiques et historiques mais aussi parce qu'il me semble qu'il est justement impossible de le faire et c'est là tout le point de mon raisonnement. Contentons nous de souligner que s'il existe un doute quant à ce qui est représente sur cette scène, cela en dit long sur une société à qui on la présente comme affiche d'exposition et en tant que scène érotique.
Tout dans le tableau semble dire que la femme dit à la fois non et oui et que de toutes façons peu importe ce qu'elle dit, la scène est excitante et c'est bien là tout ce qui compte. Tout l'érotisme occidental s'est construit au cours des siècles sur l'idée que les femmes sont ambigües quant au consentement et que c'est justement ce qui est excitant. C'est d'ailleurs ce que j'ai souvent évoqué sur ce blog ; beaucoup de couple hétérosexuels fonctionnent encore sur des recettes anciennes où les femmes se doivent de manifester un refus apparent que l'homme doit vaincre par sa persuasion. Le "non" n'est donc plus un réel "non" mais une sorte de jeu érotique. Entendons nous bien mais cela va mieux en le disant ; il ne s'agit absolument d'excuser les violeurs en se disant que les femmes leur ont envoyé des signaux contradictoires. Il s'agit en revanche de comprendre comment mettre fin aux violences sexuelles et je prétends que tant que le non consentement féminin sera vu comme excitant - c'est à dire que tant que nos pratiques sexuelles flirteront avec le fantasme de la violence envers les femmes - alors il ne sera pas possible d'y mettre fin. On ne peut pas mettre fin aux violences sexuelles sans questionner nos sexualités et nos fantasmes ; pas évidemment de manière individuelle mais en ce que notre société a comme codes pour montrer l'excitation sexuelle.
Ces deux tableaux de Fragonard nous montrent - mais on pourrait en trouver de similaires à toutes les époques - combien sexe consenti et viol sont proches. Nombre de féministes pensent que le viol n'est pas du sexe mais de la violence. Je pense que le viol est du sexe et qu'il est même consubstantiel à la sexualité occidentale en ce que le non consentement féminin est vu comme érotique et excitant. Et c'est bien ce que nous disent les opposants aux ateliers sur le consentement sexuel ; "si on doit demander, ca ne sera plus excitant".
Nos imaginaires érotiques, nos fantasmes ne sortent pas de nulle part et ne peuvent être considérés comme étrangers aux systèmes sexistes (et racistes et homophobes etc) existant en France.
L'érotisme ne nait pas de rien ; ce qui nous excite ne naît pas de rien.
Er le fait est donc, comme nous l'avons vu en début de texte, que le consentement féminin ne semble pas excitant.
En faire le constat n'est évidemment pas approuver cet état de fait. La difficulté principale est de comprendre comment l'on peut mettre fin à cette pratique culturelle là. En clair, comment rendre excitant le consentement et non excitant le non consentement ? Je n'ai évidemment pas de réponse simple à cette question tant elle implique de remettre à plat bon nombre de nos pratiques culturelles. La question des violences sexuelles sera peut-être la question la plus compliquée à régler parce qu'elle implique d'examiner nos pratiques culturelles concernant le consentement féminin et ce dans tous les domaines.
Peu amatrice de comédies et comédies romantiques, j'ai récemment tenté de regarder ce type de films. J'ai donc regardé 40 ans et toujours puceau , qui fut, nous dit wikipedia, un énorme succès mondial. Dans ce film, un homme est conseillé par ses collègues pour perdre sa virginité ; l'une des méthodes implique donc de coucher "avec des pétasses très ivres". Est ensuite déroulée toute une analyse sur le fait que "la pétasse" doit être suffisamment ivre pour ne pas trop voir à qui elle a affaire mais pas ivre au point d'être comateuse. Peu de gens, à part des féministes, relèveront que coucher avec quelqu'un dont on n'est pas sûr du consentement est pour le moins problématique et qu'au vu de certaines scènes, on peut penser que ces collègues sont tout bonnement en train de lui conseiller de violer des femmes ivres. Il ne s'agit pas ici, comme pour Fragonard d'ailleurs, de pointer une personne en particulier et de juger que le réalisateur prône le viol comme moyen de dépucelage mais de justement montrer combien nous avons collectivement des difficultés à considérer le viol pour ce qu'il est. Des millions de personnes ont du rire devant ce film et seraient sans nul doute bien étonnées de me lire. Et pourtant il est caractéristique de constater que dans une comédie très grand public, où l'on est censé rire du début à la fin, avec un happy end, il passe l'idée que coucher avec des femmes qui ne peuvent pas consentir est un ressort comique et une méthode logique pour perdre son pucelage. L'idée ne vient pas du scénariste ou du producteur ; il serait un peu facile de les viser nommément en pensant qu'ils ont un sérieux problème. Non ce sont nos sociétés qui ont une sérieux problème avec le consentement féminin.
La première étape pour mettre fin aux violences sexuelles, est donc déjà de considérer ce qui relève des violences sexuelles et du non consentement féminin. Cela sera infiniment compliqué car nous sommes à la fois conditionnés à considérer le viol comme horrible mais à ne jamais voir des viols nulle part. Peu de gens sortiront de l'exposition Fragonard en réalisant qu'ils ont vu de nombreuses scènes de viol et que ces scènes sont considérées dans l'imaginaire occidental de 2015, comme dans celui du XVIIIème comme érotiques. Peu de gens admettront avoir vu dans 40ans toujours puceau un film où l'on prône le viol comme moyen acceptable pour perdre sa virginité. Peu de gens se questionneront - parce que cela n'est pas agréable de le faire - de leur attrait devant certains films pornographiques où le consentement féminin n'est pas pris en compte.
La seconde étape est sans doute de faire collectivement évoluer l'érotisme - ce qui nous excite si on veut le dire vite - afin que le non consentement féminin ne soit plus considéré comme négligeable et excitant. Il est extrêmement difficile de faire évoluer ce genre de pratiques surtout lorsqu'elles sont vieilles de plusieurs siècles et vendues comme "'une spécificité française" y compris par des féministes. Je n'ai évidemment pas de solutions toutes prêtes face à ces pratiques sauf à nous questionner collectivement et de matière permanente - même si cela n'est pas "excitant" - quant à notre rapport à la sexualité et au consentement des femmes. Il me semble que tant que l'on continuera à considérer que le viol n'est pas de la sexualité, qu'il n'a rien à voir avec, que nos pratiques, usages et habitudes érotiques n'ont rien à voir avec les violences sexuelles alors le combat face aux violences sexuelles me semble perdu d'avance.
Il est sans doute compliqué d'admettre que nous sommes dans une société qui encourage les violences sexuelles. Oh pas toutes évidemment. C'est compliqué car, comme je le disais, on nous a éduqué à considérer le viol comme la chose la plus atroce pouvant arriver à quelqu'un. D'un autre côté, lorsque cela arrive - et cela arrive souvent - les victimes sont moquées, accusées de mentir ou de l'avoir cherché.
Les violences sexuelles sont continuellement érotisées et ce quelles qu'elles soient. Elles perdent alors leur sens ; elles ne sont plus définies comme des actes sexuels pratiquées sans le consentement de la victime, ce qui est la seule et vraie définition. Il y a donc très peu de viols considérés comme tels, puisque les seuls à l'être sont les actes dit monstrueux, qui par définition n'existent pas.
Dans ce contexte-là, il n'est pas étonnant de constater qu'on nie les violences sexuelles et qu'on les érotise.