Mon interview à l’AFP :
Laïcité : élue mot de l’année par un jury de lettrés dans la foulée des attentats djihadistes de janvier, elle a tout pour être une terre de « paix civile », selon des experts. Or, six mois après Charlie, elle est surtout l’objet d’âpres batailles, de tensions et crispations. Pas un mois ou presque ne s’écoule sans qu’une polémique vienne interroger la laïcité, le plus souvent au sujet de l’islam. Depuis janvier, la France a débattu de l’opportunité de proscrire par la loi le port du voile dans les crèches subventionnées et les universités, de bannir les plats de substitution dans les cantines, de considérer la jupe longue dans les établissements scolaires comme un possible signe religieux ostentatoire, etc.
La loi de 1905, dont nul ne conteste le bien-fondé, fixe des principes de base, parmi lesquels la séparation des Églises et de l’État, dont découle la neutralité de la puissance publique – et de ses agents – à l’égard des cultes. Fondamentalement, la laïcité « a pour visée la paix sociale et civile. Quel paradoxe que d’en faire un combat de valeurs, d’une idéologie contre une autre ! C’est un contresens », assure à l’AFP le sociologue Olivier Bobineau. « La laïcité n’est pas la privatisation de la foi », tranche-t-il. « C’est un cadre juridique et politique qui offre la possibilité d’exercer socialement sa liberté de conscience, pourvu qu’elle ne trouble pas l’ordre public. Point ».
Point final ? Ce serait trop simple. Les laïcités sont multiples, observe l’historien Jean Baubérot, qui dans un livre paru au printemps en a compté sept – de la laïcité « antireligieuse » de quelques athées à la laïcité « ouverte » chérie par les responsables religieux -, chaque acteur tentant de faire passer sa conception « pour la seule authentique ». En éditorialiste engagé, Jacques Julliard constatait dans l’hebdomadaire Marianne en mai que la droite et l’extrême droite se sont ralliées « bruyamment à la laïcité », tandis que la gauche, déplore-t-il, « est en train de l’abandonner sur la pointe des pieds ». Chez les premiers prospèrent selon lui des « laïques-désormais », convertis à la laïcité pour la diriger comme une « machine de guerre », contre « les musulmans eux-mêmes ». Et « il y a aujourd’hui à gauche des « laïques-mais » disposés à « prêter la main à la bigoterie communautariste » en acceptant ce que les Québécois ont appelé des accommodements raisonnables, regrette l’essayiste.
Méconnaissance des règles
Au-delà du débat intellectuel, que disent les faits ? L’Observatoire de la laïcité, qui dépend de Matignon, a relevé cette semaine dans son rapport annuel 2014-2015 une « crispation très forte autour de la visibilité religieuse dans l’Hexagone », tout en assurant que « les remontées de terrain, tant publiques que privées, font état de peu de problèmes ayant directement trait à la laïcité ». « Il y a des pratiques religieuses plus rigoureuses, souvent liées à des problèmes de relégation sociale, de ressentiment qui vont renforcer le repli identitaire, on ne le nie pas », dit à l’AFP le rapporteur général de cet observatoire, Nicolas Cadène. « Mais la loi est globalement respectée ». « La laïcité n’est pas un mot magique qui peut être le remède à tous les maux de la société », souligne-t-il, citant l’intuition de Jean Jaurès en 1904 : « La République française doit être laïque et sociale, mais elle restera laïque parce qu’elle aura su rester sociale ».
Alors que la loi de 1905 fête ses 110 ans, l’observatoire voit encore un grand travail de transmission à accomplir. « Quand des difficultés apparaissent, c’est le plus souvent par méconnaissance des règles. Les acteurs de terrain ont le sentiment d’être mal outillés. Certains vont tout autoriser en renforçant le communautarisme, d’autres tout interdire au risque de la stigmatisation. » Olivier Bobineau entend lui aussi, en consultant privé, faire la pédagogie d’une laïcité qu’il voit comme un « cadre du mieux vivre-ensemble » pas franchement menacé par le communautarisme, dans une France « très sécularisée » qui constitue « l’une des sociétés les plus individualistes ». Or, une « ambiance de méfiance et de défiance » règne. « Je ne vous dis pas le travail que nous avons devant nous », glisse-t-il.