Occupied est une nouvelle coproduction franco-suédo-norvégienne de dix épisodes diffusée depuis le début octobre sur les ondes de TV 2 en Norvège et la mi-novembre sur Arte. Cette science-fiction se déroule dans un avenir pas si lointain alors qu’un gouvernement vert a été élu à la tête du gouvernement norvégien. Alors que son premier ministre Jasper Berg (Henrik Mestad) annonce en grande pompe que le pays, pour vaincre les changements climatiques, a décidé d’arrêter la production de pétrole, l’Europe, déjà en pleine crise, s’affole et demande aux Russes d’intervenir en son nom. Cette occupation insidieuse est ressentie différemment selon les points de vue, soit, celui de Hans (Eldar Skar), le garde du corps du premier ministre, de Thomas (Vegar Hoel), un journaliste engagé, son épouse Bente (Ane Dahl Torp), une restauratrice et Irina (Ingeborga Dapkunaite), l’ambassadrice de Russie. Création de l’auteur Jo Nesbo, Occupied est un thriller politique rondement mené qui a le mérite de ne pas seulement se cantonner à la haute politique, tout en abordant un sujet terriblement d’actualité. Et quand une fiction fait parler d’elle en partie à cause de l’irritation qu’elle suscite chez certains pays, on peut dire que l’objectif est atteint.
De l’audace à l’occupation
Quelques minutes après son discours énergétique plus que marquant, Jasper est kidnappé par des hommes en cagoule et jeté de force dans un hélicoptère qui prend la fuite sous le regard impuissant de Hans. Mais voilà qu’environ une heure plus tard, le premier ministre est relâché et fait volte-face concernant son nouveau programme; c’est que les Russes occupent les forages pétroliers avec l’accord des pays européens et exigent que l’approvisionnement redémarre, sans quoi le pays sera lui aussi occupé. Les États-Unis ayant quitté l’OTAN, le pays n’a donc pas le choix de s’incliner. Bien qu’en coulisse Jasper tente de négocier le plus rapidement le retrait des Russes, son ambassadrice Irina ne cesse d’imposer de nouvelles conditions. La situation est d’autant plus critique qu’elle a échappé de peu à un attentat le jour de la fête nationale. C’est Hans qui lui a sauvé la vie et dès lors, il n’y a qu’en lui qu’elle a confiance. En parallèle, la victime avait auparavant permis la réouverture du restaurant de Bente, criblée de dette, en amenant plusieurs clients russes. Son mari Thomas, tout en s’indignant publiquement de la mollesse du premier ministre, tente d’en savoir davantage sur la situation en questionnant ceux qui fréquentent l’établissement de sa femme, ce qui n’est pas couronné de succès pour le moment.
La qualité première d’Occupied est de réunir deux genres dans lesquels les pays nordiques ont excellé par le passé : le drame politique et le polar. En effet, ici on parvient habilement à entrelacer les deux. On assiste à plusieurs jeux de coulisses entre la Norvège et la Russie et la diplomatie y est mise à rude épreuve. Du côté relevant davantage du genre policier, on retrouve dans les trois premiers épisodes deux enquêtes individuelles bien menées impliquant Hans; une fois concernant l’attentat, l’autre sur un accident ou un meurtre, selon les différentes versions.
Plus important encore, les enjeux d’Occupied sont on ne peut plus crédibles. Le premier ministre Berg partait de bonnes intentions, d’autant plus que son plan était de développer le thorium : une ressource naturelle que l’on retrouve à profusion en Norvège et qui produit de l’énergie propre. C’est la menace d’occupation et même de guerre qui fait reculer l’homme par égard à la population dont il est responsable. Il est difficile de blâmer son choix, mais reste que le journaliste Thomas et ses écrits virulents à son encontre représentent un peu la conscience des norvégiens. À l’opposé, nous avons son épouse qui doit la réouverture de son restaurant à la clientèle russe qui a tôt fait d’adopter sa cuisine. De son point de vue, au diable l’occupation pourvu que son commerce roule. En pleine mondialisation, il est en effet difficile de se démêler entre intérêts personnels et collectifs.
Science-fiction réaliste
Quelques fois, il y a ces coïncidences où la réalité rencontre la fiction, mais dans le cas d’Occupied, il est évident de Nesbo maîtrisait son sujet. C’est peut-être un hasard (ou pas) si la série a été diffusée en même temps que la Conférence de Paris 2015 sur le climat (COP21), mais voilà plusieurs décennies que les réchauffements climatiques sont au cœur de l’actualité planétaire et presque tous les pays démocratiques ont un parti vert. Ce qu’il y a d’intéressant ici est que la Norvège qui est tout de même le 7e producteur mondial de pétrole fait preuve de beaucoup de maturité en n’attendant pas d’être aculée au pied du mur. Malheureusement, la réaction inverse était aussi à prévoir : ce ne sont pas tous les pays qui en sont au même stade surtout lorsqu’il est question d’or noir. Qu’il s’agisse d’un manque d’argent pour se moderniser ou d’un manque de volonté, il y aura toujours une excuse pour retarder l’inévitable transition et dans ce cas-ci, c’est toute l’Europe qui menace ce petit pays.
Dans la réalité, une telle décision d’un pays comme la Norvège aurait bien entendu ébranlée l’Europe et c’est dans un souci de réalisme que Nesbo a désigné la Russie comme étant l’envahisseur, mais ç’aurait pu être l’Angleterre, la France ou tout autre pays puissant. Justement, le scénario a été écrit avant la crise ukrainienne et « l’occupation russe » (appelée par certains) qui en a découlé. Lorsque la série a été diffusée, le parallèle était évident, ce qui lui a donné une certaine notoriété, au point où la Russie a cru bon de réagir par communiqué : « Il est désolant qu’en ce 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale des scénaristes, agissant comme s’ils avaient oublié les efforts héroïques de l’armée soviétique dans la libération de la Norvège, intimident les téléspectateurs norvégiens avec une menace qui n’existe pas ». Controverse, certes, mais c’était lire de travers l’intention de Nesbo parce que de son point de vue, peu importe qui est l’occupant, ce sont les répercussions sur les norvégiens et la façon de réagir d’un peuple face à cette menace en 2015 qui l’intéressait avant tout.
Occupied a rassemblé en moyenne 800 000 téléspectateurs pour ses deux premiers épisodes avec une part de marché 3,2%. La semaine suivante, ils étaient encore 770 000 (part 3,1%) et puis 740 000 (part 3%) pour les épisodes 6 et 7. Pour Arte, ces chiffres sont bons, sans toutefois être extraordinaires, mais au moins l’audience s’est stabilisée alors qu’on a déjà dépassé la mi saison. Et qui sait? Peut-être qu’on assiste ici à un nouveau genre où l’environnement serait au cœur des récits? En tout cas, Occupied ouvre dignement la voie.