lundi 7 décembre 2015
En ne totalisant que 4,15% des voix exprimées, le Front de gauche réalise une contre-performance par rapport à son score de 2010. Analyse.Jean-Luc Mélenchon l’avait annoncé la veille du premier tour des élections régionales sur son blog, avant de se mettre en silence radio (il a annoncé qu’il ne prendra pas la parole avant mercredi) : “Nous allons être humiliés. Notre score sera éclaté entre trois ou quatre types de liste. Pour moi, c’est un crève-cœur. Je peux le dire tranquillement : c’est la dernière fois.” Sa prophétie s’est réalisée : ce 6 décembre le Front de gauche (FDG) ne totalise que 4,5% des voix, un score inférieur à celui qu’il avait réalisé aux régionales de 2010 (5,84%), à peine un an après sa fondation. Comment expliquer cette contre-performance ?Divisions internesLes hypothèses sont nombreuses, et plusieurs facteurs explicatifs peuvent être invoqués. Certains sont exogènes : les appels au vote utile face à la menace d’une vague bleue marine annoncée par les sondages ; la chape de plomb sécuritaire liée à l’état d’urgence, qui ont rendu inaudible le discours du FDG ; la politique de François Hollande, qui démobilise tous les électeurs de gauche…Mais le FDG lui-même est loin d’être exempt de responsabilités dans son propre échec. Depuis sa percée aux présidentielles de 2012, il n’a fait que reculer électoralement, dès les législatives un mois plus tard. Après une courte période enthousiasmante où il a réussi à incarner une alternative crédible à la gauche du PS, le FDG et son poids électoral se sont peu à peu émiettés.En cause, ses divisions, notamment entre le PCF et le Parti de gauche (PG), partisans de deux stratégies différentes, et le manque de lisibilité qui en découle à chaque échéance électorale. Aux dernières régionales, le FDG est ainsi parti divisé dans quatre régions : Nord-Pas-de-Calais-Picardie, Auvergne-Rhône-Alpes, Pays de la Loire et Centre-Val-de-Loire. Et quand il parvient à rester solidaire, et à s’allier à EE-LV, comme en Midi-Pyrénées-Langudoc-Roussillon, le FDG atteint encore péniblement les 10%.Le paradoxe du Front de gaucheLe politologue Philippe Marlière, enseignant à l’University College London et co-fondateur des Socialistes affligés, résume ainsi le paradoxe du FDG : “Alors que la politique sociale et économique du gouvernement est décriée, rejetée par une partie croissante de l’électorat de gauche, le FDG n’en bénéficie absolument pas, voire recule”. La généalogie de cette impasse remonte à 2012 selon ce spécialiste, co-auteur de La Gauche ne doit pas mourir (éd. Les Liens qui Libèrent) :
“Le Front de gauche a oscillé entre deux stratégies depuis 2012. La première peut être qualifiée de ‘centriste’ : tout en s’opposant rhétoriquement aux mesures les plus droitières du PS, une partie du FDG a essayé de faire des accords électoraux lors des élections intermédiaires – c’est la ligne du PCF. Cette ligne brouille les pistes, non pas en raison des alliances en elles-mêmes, qui sont nécessaires pour avoir des élus et être efficient politiquement, mais parce qu’elle a été mal expliquée : il aurait fallu dire que les politiques socialistes au niveau local, aussi imparfaites soient elles, elles sont meilleures que celles de droite.L’autre stratégie peut être qualifiée de ‘gauchiste’. Elle se résume à un volontarisme du verbe, à une surenchère rhétorique consistant à attaquer durement et nommément le PS. Les tenants de cette ligne ont oublié de faire des propositions concrètes, et ont négligé le fait que pour devenir majoritaire à gauche, il faut pouvoir rassembler un électorat plus modéré, et ouvrir un contrat de gouvernement pour faire la différence”.S’intéresser au peuple dans sa diversitéLes déclarations eschatologiques de cette fraction du FDG qui parie de manière répétitive depuis des années sur l’effondrement du PS – sur le modèle du PASOK en Grèce –, et sur le fait que le FDG passera bientôt devant lui, ont eu pour effet de l’isoler. Et la violence verbale des “coups de balais” de Jean-Luc Mélenchon ne semblent avoir fait qu’accentuer cette tendance.D’où le fait que l’électorat du FDG soit circonscrit sociologiquement aux classes moyennes de la fonction publique. “Tant que le FDG ne s’intéressera pas sérieusement au peuple dans sa diversité, celui issu de l’immigration, des banlieues, la classe ouvrière, ces catégories assez absentes de sa composition et de son électorat, ça ne marchera pas”, estime Philippe Marlière.“La mort définitive du FDG dans sa forme actuelle”Se pose alors la question de l’offre politique. Ce peuple est-il en demande de radicalité à gauche ? Quel programme faut-il soutenir pour apparaître crédible dans le camp progressiste aux yeux du plus grand nombre, alors que le paysage politique est en pleine recomposition ? C’est un défaut central du FDG, qui explique ses échecs successifs depuis 2012, selon Aurélien Bernier, collaborateur au Monde diplomatique et auteur en 2014 de La gauche radicale et ses tabous (éd. Seuil) : “Le vote en faveur du PS se fait par défaut, pour sauver les meubles, mais le PS n’est pas porteur de changement. Les électeurs qui veulent changer les choses votent actuellement pour le FN, pas pour le FDG. Pour changer la donne il faut donc que le FDG ait un programme progressiste moins timide sur l’Europe, de démondialisation et de rupture avec le libre-échange”.Le FN, en tête dans six régions, profite en effet de l’abstention et capte la rancœur populaire envers les institutions et les partis politiques traditionnels. Comment sortir de cette impasse, alors que le FDG est à genoux ? “Le résultat d’hier soir signe la mort définitive du FDG dans sa forme actuelle. Il faut trouver une nouvelle radicalité, qui est attendue”, conclut Aurélien Bernier.Par Mathieu Dejean
http://mobile.lesinrocks.com/2015/12/07/actualite/le-front-de-gauche-se-remettra-t-il-des-elections-regionales-11792212/