Le 22 septembre 2015, l’affaire Volkswagen éclate au grand jour suite aux accusations faites par les Etats-Unis. Le groupe est accusé d’avoir trafiqué, entre 2009 et 2015, ses moteurs diesels par l’intermédiaire d’un logiciel afin qu’ils passent les tests de pollution. Le groupe allemand encourt une amende colossale qui pourrait s’élever à presque 16 milliards d’euros. L’agence américaine de protection de l’environnement (EPA) est à l’origine de l’affaire. Une enquête est également menée par le département de la Justice des Etats-Unis. Début 2014, l’université de Virginie-Occidentale est mandatée par l’ONG International Council on Clean Transportation (ICCT) afin d’étudier les émissions de moteurs diesels. Alertée, l’EPA débute en mai 2014 des investigations avec son homologue californien, le California Air Ressources Board (CARB) et en informe le constructeur.
Volkswagen fait parti des premiers constructeurs automobiles à tenter l’aventure du moteur diesel sur le continent américain où ce marché de niche est en pleine expansion et où les normes de dépollution définies par l’EPA sont parmi les plus strictes au monde.
Ce scandale n’est pas le premier du genre et les Etats-Unis n’en sont pas à leur coup d’essai en la matière. En effet, cette affaire fait suite à de nombreux cas récents du même type: la société pétrolière britannique BP, la banque française BNP Paribas, ou plus récemment le groupe pétrolier français Total accusé de manipuler le cours du gaz aux Etats-Unis. Le point commun entre toutes ces entités est bien évidemment le fait qu’elles soient toutes européennes et qu’elles représentent un poids important dans l’économie.
A la veille de cette affaire, Volkswagen était numéro un mondial du secteur, devant le japonais Toyota. L’automobile représente 17% des exportations allemandes et pèse pour 14% du PIB, c’est un joyau incontesté. Le Volkswagate va entrainer de nombreuses conséquences économiques. Le cours de l’action du groupe a chuté de près de 40% à la bourse de Francfort dans les jours qui ont suivi la révélation du scandale. Le groupe déclara promptement l’interruption de la commercialisation aux États-Unis de ses modèles diesels de marque Volkswagen et Audi. Ces modèles représentaient près d’un quart du total des ventes de la marque Volkswagen en août aux États-Unis. Dans une période où les consommateurs demandent de plus en plus de transparence, d’éthique et dans un contexte de prise de conscience des enjeux environnementaux, cette affaire ne pouvait pas plus mal tomber. Il est primordial de ne pas oublier ici le contexte de guerre économique.
L’influence américaine sur les normes
Cette affaire relance également le problème des divergences des normes entre l’UE et les Etats-Unis qui, sources de conflits, font peser des risques de sanctions colossales qui ruineraient l’industrie européenne. On fait face ici au paradoxe du rôle protectionniste de telles normes dans un marché qui se veut ouvert et de la partialité de l’arbitre, qui n’est au autre que le tribunal américain, chargé de gérer les litiges dont les affaires récentes ont montré que sa seule préoccupation est de ne pas défavoriser le désir d’élargissement de puissance des Etats-Unis.
L’enjeu des normes est stratégique et au-delà de l’atteinte portée à l’image de Volkswagen, cet agissement soulève la question des divergences de normes entre les marchés américains, chinois et européens. Les normes représentent des moyens protectionnistes extrêmement efficaces dans un contexte de guerre économique. En effet, leur poids juridique dans les marchés où elles s’appliquent est élevé et les sanctions pour leur non respect parfois exorbitantes. Le problème majeur est que cette domination et cette puissance sont à sens unique: quelle juridiction européenne pourrait sanctionner pour fraudes un des membres du Big Three d’une amende d’un montant de plusieurs milliards de dollars ? Finalement, à travers les normes, c’est le protectionnisme américain qui s’impose à l’Europe.
Une attaque bien construite
Au-delà du scandale proprement dit, l’affaire Volkswagen peut être considérée comme une attaque informationnelle de la part des Etats-Unis qui élargissent leur puissance en affaiblissant les économies adverses. L’Etat américain a pour but de soutenir et de protéger les intérêts économiques de ses entreprises aussi bien sur le plan national que sur le plan international. Cette attaque vise immédiatement le secteur automobile de moyenne gamme diesel dans lequel Volkswagen est leader des ventes aux Etats-Unis et indirectement le marché chinois sur lequel Volkswagen, à travers ses différents partenariats et alliances, est devenu leader devant GM et Toyota.
La stratégie américaine est extrêmement bien ficelée et intervint à un moment opportun. Il y a seulement quelques mois, les sanctions prises par l’Europe à l’encontre de la Russie ont pénalisé les exportations allemandes. Ensuite, la récente diminution de la croissance en Chine et sa crise boursière ont également déstabilisé le commerce extérieur de l’Allemagne et les exportations de Volkswagen. Ces deux marchés représentants une part substantielle des profits de Volkswagen, le scandale est survenu à un moment où l’entreprise se trouvait déjà affaiblie. Les Etats-Unis ont bien compris qu’un atout si puissant soit il peut être déstabilisé par l’information. En touchant le point fort de l’Europe, les Etats-Unis peuvent espérer que la chute d’un leader entraine un effet domino et que l’Allemagne entraine le reste de l’Union Européenne dans sa chute.
La première étape de l’attaque consiste à « attaquer » ses propres entreprises, comme ce fut le cas il y a deux ans, afin d’adopter une attitude qui ne paraitrait pas unilatérale. En 2013, General Motors était déjà accusé pour une fraude semblable à Volkswagen mais l’amende ne s’élevait qu’à 1,6 millions de dollars.
Par la suite, l’attaque fut relancée par l’intermédiaire de Greenpeace et de son rapport intitulé Le côté obscur de Volkswagen, l’ONG dénonçait le double discours du constructeur allemand qui faisait l’éloge de la propreté de ses véhicules alors qu’ils étaient fortement pollueurs. C’était les prémices du scandale. Prémices qui auraient du attirer l’attention de Volkswagen…
La Justice américaine a également joué un rôle important dans la stratégie des Etats-Unis. Volkswagen fait l’objet d’une enquête pour violation des normes écologiques aux Etats-Unis à quelques jours de l’ouverture du COP21. La justice américaine met la pression sur les entreprises étrangères qui concurrencent parfois sérieusement les entreprises américaines.
Volkswagen s’est piégée elle-même
Volkswagen a « menti » ce qui aux Etats-Unis est parfois plus grave que l’objet du mensonge lui-même. Par ailleurs, c’est l’occasion rêvée pour les Etats-Unis d’imposer leurs normes en pleines négociations avec l’Europe sur le traité transatlantique. Ce traité imposera des règles bilatérales à tous les pays associés. Par exemple, dans le secteur automobile: en matière de crash test, pour vendre une voiture aux Etats-Unis, l’Union européenne imposera aux constructeurs européens des normes acceptables sur le sol américain et inversement. Nous sommes aujourd’hui dans ce rapport de force. Les Etats-Unis veulent à tout prix imposer leurs normes au monde entier, là où l’Europe se cherche encore par manque d’unité et d’hégémonie. L’affaire Volkswagen est un scandale industriel retentissant qui se doit d’être sanctionné, mais c’est aussi une preuve de l’offensive économique américaine qui se joue de manière dissimulée mais avec des exemples qui affectent durablement l’opinion publique.
L’affaire Volkswagen est révélatrice de la difficulté allemande à faire face aux manœuvres souterraines de guerre économique. Les champions économiques, et plus précisément dans le secteur automobile, sont continuellement confrontés aux grandes mutations technologiques. L’enjeu dans cette affaire est peut être plus important que ce que l’on pourrait croire et son issue pourrait conditionner l’avenir de l’industrie automobile et asseoir une nouvelle domination américaine comme c’est déjà le cas avec Google pour l’information. L’industrie automobile européenne est confrontée à de nombreux défis, et les attaques américaines à répétition ne lui permettent pas de prendre le virage dans les meilleures conditions.
L’enjeu caché de la voiture automatisée
L’automobile représente presque 20% des exportations allemandes et le risque auquel est confronté l’Allemagne, qui a fait de cette industrie le socle de son économie et de sa puissance, c’est celui du changement profond de son business model. C’est aussi celui de son ajustement à un nouveau modèle de mobilité en lien avec les impératifs de la transition énergétique et avec l’envahissement des géants de l’information. On pourrait craindre que les Google ou Apple évoluent en véritables pivots de la sphère automobile et ne laissent jouer aux constructeurs que le rôle de sous-traitants à leur service. Une révolution plus grande pourrait également voir le jour: celle de la transformation brutale et totale de l’acte d’achat automobile. On pourrait rapidement basculer dans une logique de parcs gérés par les réseaux d’information et que l’automobile, avec tout ce qu’elle représente symboliquement et socialement, devienne un objet banalisé. Cette (r)évolution est à l’opposé du positionnement actuel de Volkswagen et de l’Union Européenne plus généralement. Par leurs attaques répétées, les Américains sont en train de prendre la main sur l’avenir d’un secteur stratégique en pleine mutation. Cette affaire pourrait malheureusement démontrer que seul le véhicule électrique est viable à terme, mais pas n’importe quel véhicule électrique : le véhicule électrique américain de marque Tesla combiné aux nouvelles technologies de Google ou d’Apple.
L’Allemagne, pour garantir le bien-être matériel de ses citoyens et sa capacité à imposer ses choix sur la scène internationale, a toujours été en recherche de puissance économique. Le pays est considéré comme un exemple de compétitivité. L’affaire Volkswagen rappelle à quel point une telle situation est fragile et que l’image bâtit durant des décennies peut se voir déstabiliser à tout moment par une attaque de ce type. Main dans la main avec le gouvernement, Volkswagen s’est lancé dans la conquête de marchés extérieurs. Les excellents résultats en termes de balance commerciale justifiaient toute cette politique. Le positionnement qualitatif « made in Germany » était fortement mis en avant, l’entreprise allemande en avait fait un actif immatériel de haut niveau. L’image du pays et la bonne santé économique sont corrélées à la réussite de cette entreprise. L’Allemagne est donc très dépendante de la conjoncture internationale et c’est pour cela qu’une telle affaire peut affecter son image.
Sources
[1] Le Figaro, « Pollution: Volkswagen accusé de tricherie aux Etats-Unis » (21/09/2015), http://www.lefigaro.fr/societes/2015/09/19/20005-20150919ARTFIG00074-pollution-volkswagen-accuse-de-tricherie-aux-etats-unis.php, consulté le 3 octobre 2015.
[1] United States Environmental Protection Agency, « Notice of Violation » (18/09/2015), http://www3.epa.gov/otaq/cert/documents/vw-nov-caa-09-18-15.pdf, consulté le 26 septembre 2015.
[1] Sputnik News, « Affaire Total: la justice US comme outil de guerre économique » (23/09/2015), http://fr.sputniknews.com/international/20150923/1018363932.html, consulté le 3 octobre 2015.
[1] Le Dauphiné, « Moteurs truqués de Volkswagen: la justice allemande ouvre une enquête » (23/09/2015), http://www.ledauphine.com/france-monde/2015/09/23/moteurs-truques-de-volkswagen-la-justice-allemande-ouvre-une-enquete, consulté le 3 octobre 2015.
[1] Knowckers, « Volkswagate ou la riposte informationnelle à la stratégie de contournement par VAG des normes ultra-protectionnistes américaines » (08/10/2015), http://www.knowckers.org/2015/10/volkswagate-ou-la-riposte-informationnelle-a-la-strategie-de-contournement-par-vag-des-normes-ultra-protectionnistes-americaines/, consulté le 25 octobre 2015.
[1] Géopolis, « L’Europe fonctionne dans une certaine vassalité à l’égard des USA » (7/07/2015), http://geopolis.francetvinfo.fr/ecoutes-leurope-fonctionne-dans-une-certaine-vassalite-a-legard-des-usa-69575, consulté le 3 octobre 2015.
[1] AutoBlog, « India says GM flouted emissions test regulations » (24/10/2013), http://www.autoblog.com/2013/10/24/india-says-gm-flouted-emissions-test-regulations/, consulté le 11 octobre 2015.
[1] Greenpeace, « Le côté obscur de Volkswagen » (2011), http://www.greenpeace.org/france/PageFiles/300718/Le_cote_obscur_VW_fr.pdf, consulté le 24 octobre 2015.
[1] France 24, « Volkswagen n’en a pas fini avec les révélations sur les fraudes aux tests anti-polluants » (15/10/2015), http://www.france24.com/fr/20151015-volkswagen-scandale-automobile-logiciel-publicite-fraude-diesel-essence-lamborghini, consulté le 24 octobre 2015.
[1] L’Usine Digitale, « Le logiciel dévore Volkswagen » (12/10/2015), http://www.usine-digitale.fr/article/le-logiciel-devore-volkswagen.N356414, consulté le 24 octobre 2015.
[1] Blog de Paul Jorion, « L’affaire Volkswagen et le modèle allemand » (23/09/2015), http://www.pauljorion.com/blog/2015/09/23/laffaire-volkswagen-et-le-modele-allemand-par-michel-leis/, consulté le 3 octobre 2015.