La stratégie du « barrage au FN » mise en place par le Parti socialiste au lendemain du premier tour des élections régionales a une finalité affichée, et déclinée sur tous les tons et supports, depuis lundi : celle de la mobilisation générale contre un parti « anti-républicain ».
L’appel clair et net du premier ministre comme du premier secrétaire du parti à voter et faire voter pour les candidats de droite dans les régions PACA, Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine (ACAL) vise à démontrer que le PS n’hésite pas quand il s’agit de défendre des « valeurs » et de « faire front (républicain) » contre le parti lepéniste. La virulence de l’injonction faite au candidat socialiste dans la région du Grand Est qui a refusé de retirer ses listes témoigne bien de cette détermination en haut lieu.
Cette stratégie est conçue et voulue par le président de la République afin de se positionner, pour 2017, comme seul, unique et ultime rempart à Marine Le Pen, et à la conquête possible du pouvoir national par le FN. En cas de victoire aux régionales de l’une ou l’autre des candidates Le Pen, l’exécutif pourra, en effet, arguer de l’incapacité de la droite à « faire barrage » malgré le soutien de la gauche. En cas de défaite du FN dimanche, l’argument est également tout trouvé : c’est grâce au désistement républicain du PS que le FN a été battu. Stratégie gagnante à tout coup donc a priori. On comprend donc bien l’intérêt tactique d’une telle manoeuvre, à la fois imparable par rapport à l’objectif présidentiel et incontestable du point de vue moral.
Toutefois, un double problème subsiste. Une telle manoeuvre étant très incertaine en termes d’efficacité et très douteuse du point de vue politique voire tout simplement démocratique.
Une posture peu efficace politiquement
L’efficacité de la manoeuvre peut être aisément contestée. Si, par exemple, l’une ou l’autre des Le Pen était élue, voire les deux, et si ce n’était pas le cas du candidat FN dans le Grand Est, il serait alors assez facile et légitime pour la droite cette fois d’expliquer que le PS est incapable de participer efficacement au « barrage » contre le FN. Ce serait en quelque sorte une énième version de l’arroseur arrosé. Ce qui pourrait conduire à une remise en cause de la stratégie d’ensemble et de ceux qui l’ont mise au point et appliquée avec rigueur depuis la rue de Solferino ou Matignon, voire jusqu’à l’Elysée.
Une telle contestation, outre l’appréciation du résultat de l’élection, pourrait aussi trouver un argument dans le déni de démocratie que constitue une telle décision. Puisqu’elle est venue du haut, qu’elle n’a pas été débattue ou soumise ne serait-ce qu’à la discussion avec les candidats ou les militants locaux. Cette politique « par le haut » étant précisément l’un des moteurs de la défiance profonde dont témoignent aujourd’hui massivement nos concitoyens envers les partis et les responsables politiques en général.
Un déni démocratique
Le déni démocratique va lui-même bien au-delà de la question de l’efficacité de la stratégie adoptée ou de la légitimité des responsables nationaux du PS à prendre des décisions locales en lieu et place des candidats et militants. Il se déploie aussi, si l’on peut dire, dans le peu de considération dont témoigne une telle décision au regard du vote des électeurs. A la fois pour ceux qui ont voté, très largement, pour le FN, comme si ces électeurs pouvaient être écartés du débat démocratique en raison de leur vote – et donc des doléances, demandes, etc. qu’ils formulent à travers lui. Mais encore pour ceux qui ont voté socialiste et plus généralement à gauche.
Car ne pas représenter ces électeurs au second tour, en leur demandant de surcroit de voter pour un candidat, un parti et des listes contre lesquels ils se sont prononcés au premier, pose une question : celle de l’idée même que l’on se fait du combat politique et de son sens profond. Comme si l’on déléguait à d’autres celui-ci, au nom de « valeurs » supérieures ! Ces valeurs supérieures ayant d’ailleurs été déniées à ces « autres », à la droite donc, pendant toute la campagne du premier tour puisque tel ou tel de ses candidats a pu y être dénoncé comme équivalent au FN voire, en PACA, comme pire que le FN !
Les conséquences de la démocratie
La contradiction est si forte qu’elle pourrait parfaitement conduire à une démobilisation à gauche, et donc à un résultat contraire à celui désiré. Et au-delà de cette démobilisation elle-même, on pourrait bien assister à la déstabilisation de l’ensemble de la structure partisane socialiste – en privant celle-ci de ses élus régionaux et de tout ce qui peut être attaché à ses mandats en termes de collaborateurs et de moyens. Une telle déstabilisation pouvant à son tour annoncer des difficultés importantes pour les campagnes à venir, notamment lorsqu’il faudra mobiliser tout ce que la France compte de soutiens et de relais pour le candidat socialiste en 2017.
Ultime figure du déni démocratique, celle liée à la négation de la légitimité même du FN à obtenir les sièges, les élus et les responsabilités locales qui correspondent au vote des électeurs en sa faveur. Débat ancien sur le statut, le rôle et la place de ce parti dans le cadre républicain français. Débat que l’on peut, normalement, estimé tranché dès lors que le FN est reconnu légalement et participe à toutes les élections, et qu’il est un parti dont les élus, notamment les maires, sont soumis comme les autres au contrôle de légalité de leurs actes par exemple. Mais débat qui n’est pas tranché puisque la légitimité de ce parti et de ces idées restent à côté du cadre acceptable de la politique française. Du moins chez les responsables et élus des autres partis, car c’est de moins en moins le cas chez les électeurs et plus largement dans l’opinion.
Gagner aujourd’hui pour perdre en 2017 ?
Ce qui nous ramène à la stratégie de l’exécutif par rapport à 2017. En effet, vouloir à tout prix, et à un coût politique important sinon exorbitant pour le PS, tenir le FN en dehors de la gestion de collectivités locales et la masse de ses électeurs sans la représentation politique à laquelle elle aurait normalement droit, c’est prendre le risque de repousser encore une fois l’échéance de la traduction de la dynamique en voix du FN dans les urnes en représentation politique.
La contention locale du parti lepéniste, organisée et souhaitée par les deux autres grandes forces politiques pourrait bien conduire dès lors à une forme d’explosion au seul niveau politique où les stratégies de désistement, de front républicain ou de « barrage » n’ont plus ni portée ni efficacité, celui de la présidentielle. Niveau suprême et structurant de l’ordre politique français, le seul où un paysage politique tripartite doit impérativement se couler dans le duel obligatoire du second tour,. Mais un duel choisi cette fois par les électeurs au premier tour et non par les partis ou les responsables du gouvernement au lendemain de celui-ci.
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