I
En 1970, Jacques Rivette se lance dans un projet qui se révélera être tout à la fois le prolongement du travail initié avec la Nouvelle Vague, et une rupture radicale avec tout ce qui a pu être réalisé pour le cinéma, avant et après. Out 1, qui ressort pour la première fois en salles, et en coffret DVD, est un objet unique et universel, éloquent et inaccessible. Encouragé par le producteur Stéphane Tchalgadjieff, Jacques Rivette décide de se lancer dans une œuvre d’improvisation la plus libre possible, aussi bien dans la durée que dans le scénario. On devine aisément deux influences fortes derrière un tel défi, qui aboutira à un film de près de treize heures. Celle d’une époque, d’une part, qui est alors en train de faire sa révolution en passant normes, conventions et habitudes à la moulinette – façon Jean-Christophe Averty avec son poupon en plastique dans les Raisins Verts... Ce qui ne va pas sans une certaine violence – et il faut reconnaître que l’on doit se faire un peu violence pour regarder Out 1 en intégralité, certaines scènes s’étirant dans des longueurs infinies… Ce titre, il l’a choisi comme celui d’un manifeste des marges, du hors-norme et du hors-cadre, à une époque où l’on ne parlait que de ce qui devait être « in » (cf la chanson de Gainsbourg, « Qui est in, qui est out », de 1966). D’autre part, et surtout, il y a dans ce film fleuve une déclaration d’amour inégalée au théâtre. Rivette n’a d’ailleurs jamais fait la distinction entre les deux, entre le cinéma et le théâtre.
Les deux premières heures du film sont quasi exclusivement composées de scènes d’improvisation, par deux troupes de théâtre, en plein Paris, l’une menée par Michèle Moretti, l’autre par Michael Lonsdale. Petit à petit viennent se greffer d’autres personnages, fantomatiques, lunaires, intrigants… en tête desquels Jean-Pierre Léaud, qui interprète Colin Maillard, un aveugle-mendiant-joueur d’harmonica, et Juliet Berto, arnaqueuse mutine et désarmante. A ces noms de comédiens, il faut ajouter ceux de Bulle Ogier, Bernadette Laffont, Françoise Fabian, Marcel Bozonnet ou encore Jean-François Stévenin, qui était surtout assistant-réalisateur pour ce film. Ils ont été plus d’une trentaine à participer au tournage. La principale indication que Jacques Rivette leur avait donnée était une trame inspirée de L’histoire des Treize, de Balzac, parcourue par un thème cher au réalisateur : le complot. Une autre des rares contraintes était celle de l’unicité du décor, Paris, filmée comme un personnage principal. Dans un entretien aux Cahiers du cinéma, en février 1989, Jacques Rivette déclarait : « Si on prend un sujet qui traite du théâtre de près ou de loin, on est dans la vérité du cinéma. Parce que c’est le sujet de la vérité et du mensonge et qu’il n’y en a pas d’autre au cinéma : c’est forcément une interrogation sur la vérité avec des moyens qui sont forcément mensongers. (…) Le théâtre, c’est la version civile du cinéma, c’est son visage de la communication avec le public; alors qu’une équipe de film, c’est un complot, c’est complètement fermé sur soi, et personne n’est encore arrivé à filmer la réalité du complot. »
Out 1, de Jacques Rivette, avec Jean-Pierre Léaud, Juliet Berto, Michael Lonsdale, 12h55 (en huit parties), en salle. Coffret DVD (7 DVD et 6 Blue Ray) : comprend la version intégrale et la version courte (4h24), un documentaire inédit composé d’entretiens avec les acteurs du film, et un livret de 120 pages. Editions Carlotta.
II

Musicien à ses heures perdues, il se met à écrire des chansons engagées. Il devient à ce titre l’un des tout premiers songwriters américains. Bob Dylan, entre autres, a déclaré avoir été très influencé par Joe Hill. La B.O. du film est une ballade qui lui rend hommage, interprétée par Joan Baez. Joe Hill a été exécuté en 1915, condamné pour un crime crapuleux qu’il n’avait pas commis. Le film de Bo Widerberg retrace le parcours de ce héros atypique avec un mélange très réussi de légèreté, d’apologie de la liberté, d’ode à la nature et aux grands espaces, d’une part, et de réalisme social et d’hommage aux luttes collectives, d’autre part. Le tout porté par une guitare slide très présente – il y a peu de dialogues – qui donne au film une saveur de vieux blues, et par le jeu de Thommy Berggren, tout en énergie, souplesse et vivacité.
Joe Hill, film de Bo Widerberg, avec Thommy Berggren, Anja Schmidt, 1h50, en salle.
Luc Chatel