Magazine Cinéma

Le Pont des espions, de Steven Spielberg

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 4/5 

Commençons par une interrogation, une surprise, un étonnement. En effet comment ne pas commencer par se demander : mais où donc est passé John Williams ? Trop pris par la partition de Star Wars qui sort dans les sallse seulement quelques semaines après ce Pont des espions ? A une époque le monsieur n’aurait pas rechigné à cumuler les deux, mais c’est qu’il se fait vieux. Qu’est-ce que ça change ? Hé bien beaucoup de choses figurez-vous. Le compositeur avait imposé sa marque sur la filmographie de Spielberg. Ses envolées mélodiques faisaient partie intégrante de la recette d’un bon film de Spielberg qui signe ici son deuxième film sans le compositeur (le premier étant La couleur pourpre produit et donc composé par Quincy Jones). En gros un film de Spielberg sans la musique de John William c’est un peu comme une buche de Noël sans décoration, ça sera quand même bon mais il manque quelque chose pour profiter pleinement de l’expérience.

Le Pont des Espions

© 2015 Twentieth Century Fox

Cela dit, intéressons-nous à ce film qui ne manque tout de même pas de qualités. Tout d’abord son scénario co-signé par les frères Coen est d’une incroyable subtilité. Le film se passe dans les années 50-60 durant la Guerre Froide, période que n’avait jamais abordée le cinéaste. Un espion russe (Mark Rylance) est arrêté à New York et, pour éviter d’envenimer les relations déjà tendues entre les deux puissances, un avocat (Tom Hanks) est choisi pour défendre cet espion dans le procès qui l’oppose à l’Etat Américain. Alors que les Russes ont capturé un aviateur américain, Tom Hanks est envoyé à Berlin pour négocier l’échange des prisonniers.

L’histoire, bien que connue, n’a jamais été abordée au cinéma et le scénario s’emploie à plonger dans les rouages qui ont conduit à cet échange sur le pont de Glienicke. La grande force du scénario est de mettre en avant la relation qui lie l’avocat James Donovan et l’espion russe Rudolf Abel. Malgré l’enjeu politique, c’est l’implication personnelle et la qualité humaine des personnages qui ressortent durant ce film. Les frères Coen arrivent également à insérer subtilement l’humour qui les caractérise malgré la gravité du sujet. Loin de détoner, cette touche d’humour tombe toujours juste.

Spielberg sait filmer, et ça se voit. Le film est maîtrisé du début à la fin. La caméra ne fait aucun mouvement inutile, les cadrages sont tirés au cordeau, chaque plan a une intention. L’ouverture en ce point est magistrale. Spielberg met en scène la traque et l’arrestation de Rudolf Abel à Brooklyn dans une économie d’effet renversante. La musique est absente, laissant les bruits de la ville rythmer cette chasse à l’homme. Ici pas de dialogue inutile, l’information passe par l’image. On est immédiatement embarqué par l’histoire. Ce qui est très fort, c’est qu’on s’attache immédiatement à ce personnage d’espion russe sur le point d’être vilipendé par le peuple américain.

Steven Spielberg est passé maître dans l’art d’introduire ses personnages et encore une fois dans ce Pont des espions l’ingéniosité ne manque pas. Rien n’est lourd, tout est limpide, et l’une des grandes forces du cinéma de Spielberg est sa facilité de lecture. Le jeu sur la lumière est également une réussite. Inutile de revenir sur la collaboration entre le cinéaste et son chef opérateur depuis La liste de Schindler : Janusz Kaminski. Le travail de l’ombre est grandiose et le climax du film, l’échange entre les deux espions sur le pont de Glienicke est un grand moment de cinéma.

Steven Spielberg a cette capacité à rendre « cinématographique » n’importe quelle situation. Le bonhomme a de la bouteille, on lui a reproché son côté girouette qui l’a mené à réaliser des films de genres très différents, mais c’est à mon sens une force de son cinéma. Cette force, il la tient également de son équipe, car un film de Spielberg c’est avant tout un travail d’équipe et c’est peu dire qu’il sait s’entourer. Encore une fois le film est monté par Michael Kahn, complice monteur du cinéaste depuis Rencontre du troisième type. Le rythme est très bien tenu, même si on peut reprocher quelques temps morts au milieu du film. Les raccords sont travaillés et on sent que la nouveauté du montage numérique depuis Cheval de Guerre a donné une nouvelle jeunesse à la collaboration entre les deux comparses.

099239.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx

© 2015 Twentieth Century Fox

Tom Hanks est ici dirigé pour la quatrième fois par le réalisateur, et pour la quatrième fois il fait des étincelles. Il est incroyable de voir qu’à chaque fois le cinéaste fait appel à lui pour incarner des personnages extrêmement différents. Tom Hanks a cette faculté à se rendre attachant sans effort et à incarner dans les productions de Spielberg la gentillesse et la droiture. La sobriété de son jeu fonctionne très bien et montre qu’encore aujourd’hui très peu d’acteurs américains réussissent à avoir cette régularité dans la qualité de jeu. Face à lui Mark Rylance incarne un espion russe stoïque au possible. L’acteur est magnétique et accapare l’attention dans chaque scène. Il évite parfaitement les clichés, ne force pas sur l’accent et prouve que la réussite d’une interprétation ne réside pas forcément dans le dialogue. 

John Williams n’est pas là donc… Thomas Newman prend le relai pour habiller de musique ce film et malheureusement ce n’est qu’une réussite partielle. Une réussite parce que, oui, la musique est belle et bien composée, on ne peut pas dire que Thomas Newman ne sait pas y faire (pour preuve sa collaboration avec Sam Mendes). La musique est présente où il faut, habille le film comme il faut : il n’y a pas de « fausse note ». Oui mais… et c’est là que le bât blesse et que la réussite n’est que partielle : Thomas Newman passe après une collaboration de près de 40 ans entre Spielberg et Williams et il doit être dur de trouver sa place. Malheureusement on a l’impression que pour satisfaire le cinéaste et sûrement aussi le public Thomas Newman essaye de faire du John Williams mais n’y arrive pas totalement. Résultat : une partition qui manque un peu de personnalité, aucun air ne ressort et on a du mal à reconnaître la patte du compositeur de American Beauty.

048082.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx

© 2015 Twentieth Century Fox

   Steven Spielberg reste fidèle à lui-même en racontant une histoire d’envergure internationale en restant au niveau de l’individu. Son film est maîtrisé de bout en bout et même si l’on peut regretter quelques points le film reste une grande réussite. Le film offre également une belle alternative aux diverses productions qui sortent en ce moment.

Anatole Vigliano

Film en salles depuis le 02 décembre 2015


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


La Nuit Du Blogueur 3810 partages Voir son profil
Voir son blog