Titre original : Fargo
Note:
Origine : États-Unis
Créateur : Noah Hawley
Réalisateurs : Michael Uppendahl, Randall Einhorn, Noah Hawley, Jeffrey Reiner, Keith Gordon, Adam Arkin.
Distribution : Patrick Wilson, Ted Danson, Jean Smart, Kirsten Dunst, Jesse Plemons, Jeffrey Donovan, Rachel Keller, Nick Offerman, Kieran Culkin, Angus Sampson, Bruce Campbell…
Genre : Drame/Thriller/Comédie
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 10
Le Pitch :
Entre le Dakota du Sud et le Minnesota, les Gerhardt, une puissante famille du crime organisé, se préparent à livrer bataille contre un conglomérat de gangsters établi à Fargo. Un affrontement qui sera précipité par un accident impliquant une coiffeuse et son mari, le boucher d’une petite ville jusqu’alors paisible. Histoire vraie…
La Critique :
La première saison de Fargo a prouvé, presque à elle seule, le sens de la démarche de Noah Hawley, le créateur à l’origine du show. Au départ, la mise en chantier d’une série TV dérivée du film culte des frères Coen avait en effet de quoi laisser dubitatif. Ce genre de trucs, on ne le sait que trop bien, n’est bien souvent motivé que par le désir d’exploiter en toute sécurité une marque forte et ainsi récolter des lauriers (et le fric qui va avec) sans trop forcer. On peut aussi se planter bien évidemment, tout spécialement en s’attaquant de front à quelque chose d’aussi mythique que le cinéma de Joel et Ethan Coen. Pourtant, à l’arrivée, le premier acte de Fargo, la série, s’est avéré excellent. L’annonce d’une saison 2, très rapidement, n’a pas manqué de soulever quelques craintes. Et bien, une fois n’est pas coutume, cette dernière est encore mieux que la précédente…
Fargo est une anthologie. Un peu comme True Detective, si ce n’est que dans le cas présent, il existe des liens entre les personnages des deux saisons. L’histoire, premièrement, se déroule plusieurs années avant le début de l’intrigue de la première saison, en 1979, et s’articule grandement autour du massacre de Sioux Falls, Dakota du Sud, qui est plusieurs fois évoqué dans la salve initiale d’épisodes. L’un des protagonistes principaux est d’ailleurs Lou Solverson. Auparavant interprété par Keith Carradine, il apparaît ici plus jeune, sous les traits de Patrick Wilson. Il est donc possible de regarder, de comprendre et d’apprécier la saison 2 de Fargo sans avoir vu la précédente, ou même le film des Coen. C’est dommage, mais tout à fait possible. Les choses sont bien faites.
Habilement, cette nouvelle histoire, on le rappelle inspirée d’événements s’étant réellement produits, en profite pour s’éloigner encore un peu plus du film. Quand l’intrigue principale, du moins son postulat, du premier acte, rappelait fortement celui du long-métrage, ici, pas grand chose à voir. D’emblée, la trame apparaît plus limpide. Plus simple et plus directe, quand bien même certains points et certains personnages semblent assez mystérieux. Ceci dit, dès que toutes les bases sont posées, l’étau se resserre et tout le monde converge vers la même direction. C’était aussi le cas précédemment, mais pas aussi brutalement qu’ici, où les ramifications sont peut-être moindres.
Paradoxalement, ce désir d’efficacité, par le biais d’un élagage en règle, permet à l’intrigue de captiver encore plus que précédemment, même si une telle affirmation va de pair avec les affinités que le spectateur pourra ressentir vis à vis du schéma narratif mis en place par les scénaristes. Le fait que tout s’articule autour d’un seul événement va d’ailleurs dans ce sens.
Du côté du traitement, des personnages notamment, la patte reste par contre la même. Toujours aussi savoureuse car oscillant en permanence entre un habile décalage et une gravité prégnante. Les acteurs pour leur part, sont absolument tous fantastiques. Il faut dire qu’encore une fois, le casting a de quoi laisser pantois, avec en première ligne le prodige Jesse Plemons, une nouvelle fois surprenant de justesse dans un rôle diamétralement opposé à celui qui l’a fait connaître dans Breaking Bad, et Kirsten Dunst, qui interprète son épouse un peu à la ramasse, et dont le jeu démontre d’une capacité incroyable à embrasser elle aussi toutes sortes de registres. En une poignée de scènes, elle se fond littéralement dans son personnage de femme au foyer frustrée et se fait in fine le vecteur de problématiques superbement intégrées sur la place de la femme à la fin des années 70 aux États-Unis. Une réflexion appuyée par le personnage interprété par Rachel Keller, dont le sort fait, en fin de saison, écho à celui de Kirsten Dunst. Patrick Wilson, impeccable comme toujours, tout en retenue, est lui aussi fantastique. En flic intègre croulant sous les problèmes, il confère à son rôle une dignité dingue, à l’instar de Ted Danson, un vétéran du cinéma américain que l’on est bien content de retrouver dans un rôle à sa mesure. Bien sûr, difficile de parler de tous les acteurs, excellents chacun à leur façon, mais il faut absolument notifier que Nick Offerman est parfait et que la petite apparition de Bruce Campbell en Ronald Reagan, constitue à elle-seule l’un des moments les plus jubilatoires offerts par la télévision américaine en 2015. Oui, rien que ça.
Bijou d’écriture, Fargo se distingue alors toujours autant par l’ambiguïté de ses personnages. Pions sur un échiquier retors, ils symbolisent, alors qu’au fond, beaucoup ne sont que des gens ordinaires, les intentions d’un scénario faussement simple. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que Fargo n’a rien d’une simple série policière. Il y a des flics et des gangsters, mais au fond, et pas la peine de trop creuser pour trouver le pot aux roses, on trouve de vibrantes réflexions sur la famille, sur l’ambition et la rédemption, mais aussi sur la violence et l’état de notre société. Drôle, cette saison 2 l’est assurément, mais jamais de façon légère. Devant Fargo voyez-vous, on rit, mais on rit jaune.
Il y a aussi cette autre détail que nous ne pouvons pas mentionner ici. Un petit détail assez dément, qui n’apporte pas grand chose au résultat final en terme de narration, mais qui prouve bien que Fargo n’est pas une série comme les autres. Quand cette chose intervient, sans crier gare, une pensée s’impose à l’esprit : ailleurs, tout ceci aurait probablement foiré dans les grandes largeurs. Ici, c’est simplement génial. La liberté de ton est totale et jamais Noah Hawley ne s’interdit des délires qu’il sait intégrer à sa sauce sans la dénaturer.
Visuellement, comme si cela ne suffisait pas, cette saison 2 va encore plus loin que la première. Faisant de l’œil aux grands faiseurs d’images du cinéma, les réalisateurs impliqués multiplient les audaces de mise en scène, comme cet incroyable plan dans un ascenseur. Jamais ce n’est vain et c’est toujours à tomber à la renverse. Avec moult split-screens et autres audaces, le show évolue largement en dehors des anciennes limites imposées par le petit écran. Avec sa photographie, sublime, également. La cohérence est absolue et le résultat jubilatoire.
Plus que jamais, Fargo, la série, s’affranchit de son modèle pour tracer sa propre histoire, en gardant néanmoins le même ADN. Ce deuxième acte s’avère monumental sur le fond et sur la forme. Il impressionne en permanence en mixant notamment plusieurs émotions, n’est jamais manichéen ou vain. Percutante, cette histoire de gangsters fait jeu égal avec les plus grandes références du septième-art. Dans la violence, entre émotions contradictoires, sang et larmes, elle touche au vif grâce à sa sincérité et son ton unique. Immersive comme jamais, au cœur des grands espaces enneigés, elle regorge de morceaux de bravoure et se paye en plus le luxe de maintenir le niveau jusqu’au bout. Et ce n’est pas l’hallucinante ouverture du dernier épisode, au son du War Pigs de Black Sabbath, pleine de poésie nostalgique, véritable parabole philosophique sur le sens de la vie et son ironie cinglante, qui nous incitera à penser le contraire. Monumental !
@ Gilles Rolland
Crédits photos : FX